Le combat que nous menons depuis sept ans doit trouver, le 10 mai, son aboutissement. Nous le disons sans haine, avec la tranquille certitude qui nait d’une analyse approfondie : il faut que Giscard parte, son pouvoir n’a que trop duré, sa politique, ou ce qui en tient lieu, doit être condamnée.

Il ne s’agit pas d’un règlement de comptes : s’il faut battre Giscard, c’est par souci de la justice, aujourd’hui abolie par le chômage massif et l’inflation non maîtrisée. S’il faut qu’il parte, c’est parce que la société qu’il gère si mal est celle de l’inégalité : insolence des privilégiés, mépris des pauvres, racisme sournois, voilà ce que nous ne pouvons accepter.

Il ne s’agit pas de manifester une opposition systématique au pouvoir établi : s’il faut battre Giscard, c’est parce qu’il a installé méthodiquement la dictature d’un clan et parce qu’il a voulu que la société tout entière soit soumise à la tyrannie de l’argent.

Il ne s’agit pas, en dénonçant le « libéralisme avancé », de détruire la liberté, comme Giscard voudrait nous le faire croire. Bien au contraire, c’est la logique du capitalisme libéral qui détruit la liberté d’entrependre par les concentrations qu’elle opère, et par la domination des groupes financiers qu’elle institue. C’est la centralisation étatique que ce « libéralisme » perpétue par son refus des autonomies régionales. Et c’est la contrainte étatique qu’il renforce par la mainmise du pouvoir sur l’information, par les atteintes répétées à la liberté d’expression et de décision.

L’ESPRIT DE GUERRE CIVILE

Il ne s’agit pas, en contestant Giscard, de s’attaquer à la France comme nous l’a répété pendant des semaines cet homme saisi par la mégalomanie. Sa politique étrangère, sans projet véritable, n’a jamais été autre chose que l’expression d’une double allégeance : car il y a tout de même une différence entre la défense de la paix et l’abaissement devant les impérialismes.

Et ce n’est pas calomnier un homme d’Etat que de lui poser des questions sur le montant de sa fortune, sur les cadeaux qu’il a reçus, sur les profits boursiers qu’il a pu réaliser, sur ses liens avec les groupes financiers. Il n’est pas possible de réélire un homme qui laisse planer tant de doutes sur son honnêteté.

Décidément, Giscard ne peut répondre ni à notre exigence de liberté, ni à notre souci de justice. Il ne peut, non plus être considéré comme le garant de l’unité entre les Français. Faux arbitre pendant sept ans, menant des batailles acharnées contre Chirac et contre la gauche, il vient encore de montrer sa véritable nature : celle d’un chef de clan, ou de gang, qui n’a d’autre politique que celle de la guerre civile.

C’est bien l’esprit de guerre civile qu’il recrée en dénonçant haineusement, comme ennemis ou comme otages, ceux qui représentent une moitié, ou plus, du peuple français. C’est bien l’esprit de guerre civile qui l’anime lorsqu’il place son combat sous la bannière dérisoire de l’antimarxisme et de l’anti-collectivisme. Comme si le Parti communiste, si durement étrillé le 16 avril, pouvait dicter sa loi à un parti socialiste en plein essor. Comme s’il n’existait pas un collectivisme giscardien et capitaliste, sans commune mesure avec les nationalisations envisagées.

NOTRE CHOIX

Nous subissons depuis sept ans le règne de l’imposture. Il faut y mettre fin. Nous accumulons depuis sept ans les erreurs et les échecs. Il faut une autre politique. Nous vivons depuis sept ans dans une société anesthésiée, et désespérée. Rien ne doit être négligé pour que renaisse en elle l’ardeur et l’espoir. C’est pourquoi il nous sera impossible de nous abstenir le 10 mai. Notre choix est fait, que nous voulons dire clairement.

Oh ! bien sûr, il ne peut être question d’une adhésion totale au programme de la gauche, d’un ralliement aveugle à celui qui en est le représentant. Royalistes, nous ne pouvons épouser aucune querelle partisane, parce que nous pensons que la question politique sera insoluble tant qu’un parti, même bien intentionné, prétendra la résoudre à lui seul. Répétons-le encore : nul ne peut être à la fois juge et partie prenante dans les conflits entre les classes et entre les intérêts ; nul ne peut incarner un parti et garantir en même temps l’unité entre les Français.

Au rappel de ce principe, qui commande notre attitude politique, s’ajoutent les questions que nous nous posons sur le programme socialiste, et nos doutes sur sa réalisation. L’esprit de parti n’empêchera-t-il pas la reconquête de la liberté d’expression ? Une tradition désuète ne mettra-t-elle pas en cause la liberté de l’enseignement ? Le vieil atlantisme ne compromettra-t-il pas la lutte pour l’indépendance nationale ? La décentralisation et l’autogestion nécessaires ne sont-elles pas en contradiction avec l’existence d’un parti centralisé ? Les indispensables nationalisations ne se traduiront-elles pas par un étatisme renforcé ? Les socialistes auront-ils le courage de décider la protection des secteurs économiques en péril ?

Tout reste possible : la gestion médiocre, comme les réformes positives. Une seule chose est sûre : Giscard fait la pire des politiques, qui nous détruira si nous n’y mettons fin. En revanche, François Mitterrand représente le moindre mal et la possibilité d’un bien. Royalistes et citoyens, nous aimerions bien peu et bien mal notre pays si nous lui interdisions, par notre abstention, ce possible. C’est pourquoi, le 10 mai, nous apporterons nos suffrages à François Mitterrand. A lui, ensuite, de ne pas décevoir l’espérance qu’il incarne aujourd’hui.

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Editorial du numéro 337 de « Royaliste » – 7 mai 1981

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