1940 : L’étrange victoire allemande – Entretien avec Jacques Sapir
10 dimanche Mai 2020
Écrit par Bertrand Renouvin dans La guerre, la Résistance et la Déportation
Mots clés
armée de l'Air, armistice de 1940, bataille de Stonne, CGT, chars d'assaut, Deuxième guerre mondiale, Général Gamelin, général Guderian, Grande-Bretagne, industrie française, Luftwaffe, Norvège 1940, opinion publique 1940, Parti communiste, Paul Reynaud, Wehrmacht, Winston Churchill
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La bataille qui se déroule sur le territoire métropolitain en mai et juin 1940 continue de faire l’objet de représentations erronées, malgré les travaux de l’historiographie récente, française et étrangère. La défaite des armées alliées était-elle inéluctable ? L’armistice était-il le seul choix raisonnable au vu du désastre ? Co-auteur d’un ouvrage de réflexion stratégique sur les débuts de la Deuxième Guerre mondiale, Jacques Sapir a bien voulu répondre à nos questions.
Royaliste : En 1939, la France est-elle une nation mobilisée ?
Jacques Sapir : Oui, la France s’est mobilisée dès septembre 1939. Mais il faut distinguer entre la mobilisation militaire, la mobilisation industrielle et la mobilisation des esprits en se demandant si la population et les autorités avaient vraiment intégré ce que voulait dire cette guerre. Il faut en effet rappeler que les opérations militaires sont à un très faible niveau du 1er septembre au 10 mai 1940. De fait, dès septembre 1939, il y a une nette montée en puissance de l’appareil militaire, que ce soit en métropole ou dans les colonies. La mobilisation de l’industrie et des capacités productives est elle aussi importante. Par exemple la production de chars augmente fortement à partir de l’entrée en guerre, la production de matériel aérien se met elle aussi en marche mais avec des retards liés à des hésitations sur les choix de matériels. En mai 1940, la production du chasseur Dewoitine 520 – l’appareil le plus moderne de notre armée de l’air – est en train de monter à 150 voire 200 exemplaires par mois. Ainsi 8 appareils avaient été livrés à l’Armée de l’Air en janvier 1940, 23 en février, 34 en total cumulé pour les mois de mars et d’avril, mais 142 en mai et 181 du 1er au 26 juin soit un total de 388. Au total ce sont en réalité 437 avions qui ont été fabriqués par les usines Dewoitine, le décalage avec le chiffre de 388 provenant des avions construits mais non encore réceptionnés par l’Armée de l’Air. Il y a donc bien une courbe ascendante de la mobilisation française qui va dépasser, mais trop tard, la mobilisation industrielle de l’Allemagne en mai-juin – alors que l’Allemagne dispose d’un appareil industriel plus développé que le nôtre.
Royaliste : Venons-en à la mobilisation des esprits…
Jacques Sapir : On se rappelle la fameuse phrase prononcée à la fin d’un discours à la Chambre par Clemenceau le 8 mars 1918[1]: «Ma politique étrangère et ma politique intérieure, c’est tout un. Politique intérieure, je fais la guerre ; politique étrangère, je fais la guerre. Je fais toujours la guerre». En 1939, il n’y a pas ce type de réaction dans ce qu’on appelle les élites françaises. Une partie de ces élites, y compris celles qui sont très engagées dans la guerre, est dans l’idée que la guerre véritable ne commencera qu’à l’hiver 1940-1941, que la France est dans une logique de guerre de positions et qu’il faut attendre le printemps 1941 pour que les armées française et britannique aient les moyens de mener des opérations d’envergure. Cet état d’esprit a des effets importants sur la mobilisation psychologique.
Une autre partie des élites est opposée à la guerre. Il y a une élite pro-allemande qui considère que cette guerre ne devrait pas avoir lieu et une élite qui considère que cette guerre n’est pas la bonne, car c’est à l’Union soviétique qu’il faudrait faire la guerre. La combinaison de ces attitudes différentes ou contradictoires est délétère. Même dans l’entourage de Paul Reynaud, comme Paul de Villelume, plusieurs conseillers estiment que cette guerre est absurde et qu’elle doit s’arrêter au plus tôt. Dans le milieu industriel, Louis Renault partage cette opinion. Dans le milieu dirigeant et dans une partie de l’opinion, on observe une sur-réaction lors de la guerre russo-finlandaise et certains militent en faveur d’une assistance à la Finlande. Après l’armistice finno-soviétique, l’état-major de l’armée de l’Air travaille pendant l’hiver 1940 sur un projet de bombardement de Bakou à partir des bases françaises du Levant.
Somme toute, ceux qui sont persuadés que la France fait la bonne guerre, qu’il faut arrêter Hitler et qu’il faut engager les opérations militaires là où on peut et dès que l’on peut sont relativement minoritaires. Même Paul Reynaud table sur une conduite économique de la guerre. Quand il déclare : “ nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts », il dit quelque chose de tout à fait exact : l’ensemble industriel français et anglais qui dispose du soutien des Etats-Unis est immensément plus puissant que l’Allemagne. Ce n’est donc pas absurde… mais on n’a jamais vu de guerre qui soit gagnée uniquement pour des raisons industrielles.
Royaliste : Quant à l’état d’esprit des Français, quelle est l’influence du Parti communiste et de la CGT ?
Jacques Sapir : Il n’y a pas encore de sondages d’opinions réguliers en France mais nous disposons des rapports des Renseignements généraux. On remarque que l’opinion française est assez convaincue de la justesse de la guerre : elle est légitime et nécessaire. Ce n’est pas l’enthousiasme mais une froide résolution à la guerre. Cela permet de comprendre l’isolement complet du Parti communiste qui dénonce une “guerre impérialiste”. Le Parti a même perdu le contact avec une partie de sa base électorale et il se trouve réduit à son noyau de cadres et de militants très convaincus. On a beaucoup parlé des sabotages que les communistes et les cégétistes auraient organisés dans les usines d’armement. Aujourd’hui, les historiens considèrent qu’il y a eu très peu de sabotages avérés. Mais la main d’œuvre qui fait face à la montée du volume de la production n’est pas au niveau et elle fabrique des produits qui ne sont pas au niveau – par exemple les moteurs d’avion. Les malfaçons sont très nombreuses et résultent toutes de l’inaptitude passagère de la main d’œuvre. En fait, on a répété l’erreur commise en août 1914 quand on a envoyé les ouvriers au front avant de les rappeler comme affectés spéciaux à la fin de l’année. En 1939, les usines de chars, d’avions, de bateaux n’ont pas été très affectées mais dans d’autres usines on a recruté des ouvriers sans formation pour assurer la montée en puissance de l’appareil productif. C’est la combinaison de tous ces facteurs qui a donné l’impression d’un sabotage. Les Etats-Unis ont d’ailleurs connu la même situation au premier semestre de 1942 : psychose de sabotage mais, en réalité, manque effectif et de formation de la main d’œuvre qui s’est par la suite formée sur le tas.
Royaliste : Qu’en est-il de la mobilisation britannique ?
Jacques Sapir : Il y a une véritable adhésion à la politique du gouvernement britannique. Comme les Français, les Britanniques expriment une sombre résolution en 1939. Chaque fois que le roi et les membres du gouvernement s’expriment sur la guerre, il y a un assentiment très profond. Cela dit, il y a au sein du gouvernement britannique des hésitations comme en France : elles proviennent de l’idée que la guerre sera longue et qu’on aura les Allemands à l’usure. Certains ministres soulignent la nécessité de mobiliser l’Empire, ce qui prend du temps. Mais il y a aussi des partisans de l’action immédiate. Churchill, qui est alors Premier lord de l’Amirauté, prend par ses initiatives le risque que ce soit la Grande-Bretagne qui déclenche les hostilités en Norvège en ordonnant d’aller attaquer les briseurs de blocus allemands dans les fjords – donc sans aucun respect de la neutralité norvégienne. En février 1940, dans une opération bien connue, des destroyers anglais, emmenés par le HMS Cossack, entrent ainsi dans un fjord norvégien et arraisonnent le navire ravitailleur allemand Altmark, libérant 300 marins britanniques faits prisonniers par le Graff Spee et que l’Altmark ramenait en Allemagne. Cette volonté d’en découdre à tout prix n’est pas toujours efficace mais elle fait de Churchill, aux yeux de l’opinion britannique, l’homme qui incarne la volonté de battre l’Allemagne – ceci dès le printemps 1940.
Royaliste : Quel est le rapport des forces, le 10 mai 1940 ?
Jacques Sapir : L’ensemble de l’armée allemande est déployé sur le front de l’Ouest et l’on sait que le plan allemand consiste à attirer une partie des forces françaises en Belgique et en Hollande pour procéder au “coup de faux” qui isolera toutes les forces franco-britanniques aventurées vers la Belgique.
Du point de vue matériel, les forces allemandes ne sont pas vraiment supérieures aux forces terrestres anglo-françaises. L’artillerie britannique et l’artillerie française sont largement supérieures à l’artillerie allemande. Quant aux chars, il y a une très légère supériorité numérique allemande mais les chars allemands sont d’une qualité inférieure à celle des chars français. Les divisions de panzers engagées dans la bataille de France sont pour la plupart équipées de chars légers Panzer II et Panzer III mais il y a aussi des chars tchèques, relativement légers mais de très bonne qualité. En face, les chars français sont globalement de bonne qualité avec un blindage et un armement supérieurs aux chars allemands mais les divisions cuirassées sont chargées d’appuyer l’infanterie ou d’opérer de façon isolée. L’idée d’une infanterie d’assaut accompagnant les chars n’existe pas dans l’armée française. De plus ces chars ont une tourelle monoplace, le commandant de char fait aussi office de tireur et de chargeur pour l’armement principal, alors qu’il y a deux ou trois hommes dans la tourelle des chars allemands ce qui les rend plus efficaces. De plus, ces derniers sont systématiquement équipés d’une radio. Les chars britanniques sont de mauvaise qualité et seront massivement détruits par les Allemands, comme on le verra lors des combats d’Abbeville.
La supériorité aérienne allemande est certaine mais elle tient surtout au fait que la Luftwaffe demande beaucoup à ses pilotes : les aviateurs de la chasse allemande font trois à quatre missions par jour entre le 10 mai et le 25 juin alors que l’armée de l’Air française veut économiser ses forces car elle sait que ses pilotes sont beaucoup plus expérimentés que les Allemands – rappelons que ce pays n’avait pas d’arme aérienne de 1919 à 1933 – et elle se place dans la perspective d’une guerre longue. Mais les appareils allemands – Messerschmitt et Stukas – sont meilleurs que les appareils français d’anciennes générations : les Morane 406, les Bloch 151, 152 et 155. Ce n’est qu’à partir de début juin qu’on voit apparaître les Dewoitine 520 qui sont à égalité avec les appareils allemands qu’ils combattent avec des taux de succès élevés. Mais, à cause de la doctrine d’emploi française, les aviateurs français ont presque toujours été en infériorité numérique par rapport à leurs adversaires. Les bombardiers sont eux aussi d’anciennes génération au début du conflit mais on voit arriver en avril-mai de nouveaux appareils français – des Bloch, des Breguet – ou commandés aux Etats-Unis. Là encore, la doctrine d’emploi des bombardiers est souvent défectueuse : on les envoie par petits groupes par peur d’user le matériel et on leur demande de bombarder trop bas pour qu’ils soient vus par les troupes françaises alors qu’à une altitude normale ils valaient les appareils allemands, voire ils leur étaient supérieurs comme c’est le cas pour le Le O-45.
Royaliste : Peut-on parler de “l’étrange victoire” allemande ?
Jacques Sapir : Cette “étrange victoire”, c’est d’abord une victoire au niveau du plan d’attaque et de la conception de la guerre qui, très clairement, est en avance par rapport aux conceptions de l’état-major français. Dans l’armée française, la conception du combat a régressé depuis 1918 : nous avions alors la doctrine d’emploi terrestre et aérien la plus évoluée et la plus avancée de l’époque comme l’explique Michel Goya dans “Les vainqueurs”, son ouvrage sur la Première Guerre mondiale. De 1918 à 1939, il y a un étiolement et un retour en arrière sur toute une série de terrains et cela joue important dans la défaite.
La deuxième cause, ce sont les erreurs qui sont commises par le général Gamelin qui tombe dans le piège tendu par les Allemands. Le commandant en chef envoie des forces importantes au secours de la Belgique et des Pays-Bas ; du coup, il ouvre son flanc droit et quand Guderian attaque dans les Ardennes c’est le désastre puisqu’une bonne partie de l’armée française va se trouver encerclée. L’erreur de Gamelin, c’est aussi d’engager les troupes par petits paquets. Si l’ensemble des troupes disponibles avait été engagée pour contrer l’attaque de Guderian, le résultat aurait pu être très différent ! N’oublions pas que les batailles du mois de mai sont extrêmement violentes. En Belgique, à Hannut et Gembloux, les panzerdivision subissent des pertes très importantes et sont bloquées, l’artillerie allemande souffre terriblement face à l’artillerie française – à l’inverse de 1914, où notre artillerie était complètement dominée. Mais les Allemands disposent de la supériorité aérienne… La bataille de Stonne, du 15 au 17 mai, est perçue par les officiers allemands qui ont combattu pendant la Première Guerre mondiale comme l’équivalent de ce qu’ils ont vécu à Verdun[2]. Là encore, que ce soit par manque de transmissions ou par doctrine, les forces franco-britanniques ne poussent pas les contre-attaques jusqu’au point où il était nécessaire de les pousser. En mai 1940, nous ne sommes pas dans une guerre-éclair – la Blitzkrieg est une invention de la propagande allemande[3] – mais dans des combats très violents au cours desquels les forces alliées sont défaites morceau par morceau. Ensuite, c’est l’évacuation de Dunkerque, et ce qui reste de nos troupes se bat sur la Somme où se répètent les erreurs commises à Stonne – multiplication d’attaques violentes et séparées au cours desquelles les forces franco-britanniques s’épuisent. Pour résumer, l’appareil franco-britannique souffre de plusieurs défauts :
1/ Il ne mène pas la guerre qu’il devrait mener, qu’il s’agisse de l’emploi des forces et du commandement.
2/ Il s’obstine à vouloir contre-attaquer sur les points immédiats de percée allemande au lieu de manœuvrer en cherchant à tronçonner la Wehrmacht. Il fallait pour cela une révolution dans le commandement, faisant agir ses forces en bloc.
Dès lors, les Allemands vont pouvoir capitaliser sur la faible distance qui sépare Paris du front – dont Berlin est très éloigné. Le centre de décision politique français est trop proche de la zone des combats. D’ailleurs, en 1939, l’amiral Castex avait proposé qu’en cas de guerre le gouvernement aille s’installer à Alger afin de rétablir une distance de sécurité entre le gouvernement et le front dans une guerre qui se mènera, prévoit-il, par des opérations menées dans la profondeur au champ de bataille[4]. De fait, après la percée allemande sur la Somme, le gouvernement évacue Paris dans la confusion, ce qui entraîne une désorganisation de l’administration – et cela pèse encore plus sur les capacités opérationnelles de l’armée française. Même dans les départements du Nord, l’administration avait bien fonctionné jusqu’à la fin mai mais à partir du début juin elle s’effondre pour deux raisons : les hauts fonctionnaires ne sentent pas une volonté de se battre à outrance chez les dirigeants politiques et, par ailleurs, on ne cesse de déplacer les centres d’administration en reculant.
Royaliste : Fallait-il signer l’armistice ?
Jacques Sapir : Cet armistice fut une erreur tragique de la part des gouvernants français. A l’inverse, il apparaît pour Hitler comme une divine surprise. Quel que soit le mépris qu’il avait pour la France et les Français, Hitler n’en espérait pas tant ! C’est la raison pour laquelle il empêche Mussolini de présenter des exigences importantes car il craint que le gouvernement français renonce à signer l’armistice.
Cet armistice est pour le Führer une occasion inespérée parce que le commandement de la Wehrmacht l’a prévenu que l’offensive allemande était sur le point de s’arrêter. Du 20 au 25 juin, les unités allemandes sont arrivées au bout de leurs capacités logistiques : le système ferroviaire français est détruit et l’armée allemande a moins de camions que l’armée française et elle ne peut fournir immédiatement aux troupes le carburant et les munitions nécessaires. Si l’armistice n’avait pas été signé, l’opération allemande se serait arrêtée pendant quinze jours ou trois semaines.
Tels sont les éléments qui contredisent une partie de l’historiographie française, qui présente l’armistice comme la meilleure solution. Tel n’est pas le cas sur le plan militaire. Mais il y a eu un retournement du gouvernement français au sein duquel les partisans de l’arrêt des combats, minoritaires en mai, l’ont emporté. En juin, la population française continuait d’accepter la guerre. Quand Paul Reynaud est reconnu par une foule de réfugié sur la route de l’exode, il est acclamé ! Malgré les défaites militaires et la fuite sur les routes, la population française continuait de faire corps avec le gouvernement. Paul Reynaud a manqué de courage. Quand il démissionne pour céder la place à Pétain, il le fait sans raisons valables.
Propos recueillis par Bertrand Renouvin
Sous la direction de Jacques Sapir, Frank Stora, Loïc Mahé, 1940, Et si la France avait continué la guerre…Tome I, 2010 ; tome II, 2012.
[1] http://www2.assemblee-nationale.fr/decouvrir-l-assemblee/histoire/grands-discours-parlementaires/georges-clemenceau-8-mars-1918
[2] Lormier D., La bataille de Stonne : Ardennes, mai 1940, Paris, Perrin, 2010, 183 p.
[3] Frieser K-H, (trad. Nicole Thiers), Le mythe de la guerre éclair : La campagne de l’ouest 1940 [« Blitzkrieg-Legende : der Westfeldzug 1940 »], Paris, Belin, 2003, 479 p.
[4] Vimar N., « L’amiral Raoul Castex, le stratège inconnu », La Nouvelle Revue d’histoire, no 7H, automne-hiver 2013, p. 53.
14 commentaires
5 mai 2020 à 10:17
Bonjour,
Excellente analyse.
Merci de rappeler que la Blitzkrieg n’a pas eu lieu en 1940 (quand elle a vraiment été tentée en 1941 contre l’URSS, elle s’est très vite épuisée), seulement comme « effet d’annonce », et que l’armée allemande n’était matériellement pas supérieure à cette date. Un Etat-major en retard d’une guerre…
Quid de la trahison d’une partie des élites dès 1938, en réaction au Front pop., soulevée par certains historiens des plus sérieux ?
6 mai 2020 à 11:32
Bonjour. Si, la Blitzkrieg, au sens de stratégie d’infiltration et de poursuite, à l’image des manoeuvres de Bonaparte, reste une exception de cette campagne de France (qui reproduit exactement la manoeuvre d’Ulm de 1805) dans la seconde guerre. La Pologne en 1939, l’URSS en 1941 sont des manoeuvres d’enveloppement, classiques et sans vrai génie (le général Marcks avait proposé une gigantesque attaque au sud, par l’Ukraine, puis une remontée sur Moscou, mais c’était au-delà des possibilités de la Wehrmacht et des routes russes et pas assez de temps avant l’hiver). Donc le terme est conceptualisé après coup, mais la manoeuvre, qui ne sera plus reproduite (sauf dans les Ardennes en décembre 1944, ou la percée de Saverne de Leclerc quelques semaines auparavant), est vraiment originale ne serait-ce que dans le risque immense pris. JPhI
6 mai 2020 à 10:40
Quelques remarques sur ce texte intéressant, sur un sujet où on pourrait écrire des pages et des pages.
Tout d’abord il est faux de présenter la IIIème République comme un régime faible, et miné de l’intérieur, face à la menace nazie. L’année 1939 correspond au contraire à un véritable ressaisissement du régime, notamment contre les ennemis de l’intérieur. Jusqu’à prendre des mesures liberticides (les décrets Daladier). Et le personnel politique au printemps 1940 avait pris conscience des insuffisances de Gamelin, dont les jours étaient comptés. Cette période de redressement a été malheureusement totalement occulté par la défaite militaire.
Contrairement à une idée répandue, les militaires français de 1940 étaient compétents. Peut-être même trop compétents. La stratégie défensive qu’ils avaient définie (le front continue) était parfaitement cohérente avec la politique étrangère française des années 20-30, et l’infériorité démographique française. Quant à la passivité souvent évoquée pendant la « drôle de guerre », elle correspondait parfaitement à la stratégie des alliés : le temps jouait pour eux, les industries se mobilisaient, le retard pris par rapport aux Allemands commençait à se combler. A un point tel, que les militaires français ne comprenaient pas pourquoi les Allemands ne passaient pas tout de suite à l’offensive pour profiter de leur supériorité provisoire.
Contrairement à une autre idée très répandue, les militaires français avaient très bien compris l’usage des chars dans la guerre moderne. Ils ne méconnaissaient pas du tout l’importance des divisions blindées, et les idées de De Gaulle n’ont pas eu le caractère précurseur que leur a prêté, avec une certaine complaisance, la légende gaulliste. Mais bien entendu cet usage était en rapport avec la stratégie adoptée. Je n’ai plus les chiffres en tête mais on a pu montrer que la proportion des chars affectée aux divisions blindées par rapport à celle affectée à l’appui direct de l‘infanterie dans l’armée française de 1940 (dans la proportion de 40/60, je pense) était globalement la même que celle qui prévalait dans toutes les armées au monde en 1945, y compris l’armée allemande. Ce qui est exceptionnel, et totalement hors norme, c’est la stratégie allemande qui a consisté à ne jouer qu’une seule carte, et la jouer à fond : la percée par les divisions blindées avec l’appui de l’aviation, et l’exploitation par l’infanterie, conformément à la conception traditionnelle de l’état-major allemand, celle de la « bataille décisive ». Plus tard, les Allemands apprendront à leur dépend, en Afrique et surtout en Russie, que la « bataille décisive » est un mythe dans la guerre moderne.
Les militaires français étaient tellement compétents qu’ils ont tout de suite compris qu’ils avaient perdu la partie. Ils ne pouvaient pas redresser la situation : le reste ne fut qu’une longue agonie. Il y a un passage saisissant dans le livre de Marc Bloch (« L’étrange défaite ») où, aux environs du 25-26 mai, il écoute derrière la porte le général en chef des armées du Nord dire à un de ses collègues général : « je vois se profiler deux capitulations ». Jacques Sapir semble dire qu’il y avait des possibilités de faire autrement pour contrecarrer l’avance allemande. C’est possible, mais à condition de changer de méthode en cours de bataille. Or c’est pratiquement impossible à faire pour une armée, qui ne peut généralement évoluer qu’en fonction de méthodes et procédures définies à l’avance. C’est ce que montre assez bien le Général Beaufre dans son livre déjà ancien, « Le drame de 1940 » (1965). A chaque fois que l’armée française a pu à affronter l’armée allemande en s’appuyant sur ses propres méthodes défensives, elle a plutôt bien tenu le coup : la bataille de Gembloux, la défense de Lille et du périmètre de Dunkerque, par exemple.
6 mai 2020 à 11:41
Bonjour. Dans mon essai de 2010, La diagonale de la défaite, pour répondre à votre première interrogation, j’avais relevé que la totalité des blindés de combat (en y intégrant les Panhard 25 mm ac, comme Daladier avait déjà demandé de la faire à Riom, et comme les historiens le font désormais) représentant environ 1.600 engins, étaient tous endivisionnés dans sept grandes unités (et on oublie les chars légers et bien armée des DLC et autres GRDI). Soit effectivement 2/3 de la Panzerwaffe. Le reste côté français (inexistant en face), ce sont un milliers de chars légérs mais peu manoeuvrant répartis par groupes de 40 en soutien des divisions d’infanterie (ce qui n’est pas une idée stupide par ailleurs). Pour l’exploitation, vous faites en revanche erreur : on ne perce pas, et les panzers n’ont pas percé de front, les divisions blindées en sont incapables face à une ligne de défense et de canons (ils tapaient dans du mou, écrit Bloch, ce qui est très bien vu), ce sont les commandos et les unités d’infanterie qui bousculaient nos positions, et ce sont les panzers qui ont ensuite exploité les percées, les divisions d’infanterie restant loin derrière (d’où le trou bien vu par Gamelin entre la tête du dispositif allemand et des unités à pied ou à cheval dont certaines n’avaient toujours pas quitté leur position de départ alors que Guderian était déjà en baie de Somme). JPhI
7 mai 2020 à 11:16
«trop compétents»… Cela fait penser immédiatement aux analyses de cet excellent Idriss Aberkane. Peut-être, en effet, notre état-major était-il constitué de « premiers de la classe » mais tous ceux-là étaient englués dans leur conformisme académique. Leur méfiance instinctive à l’encontre des idées stratégiques innovantes du colonel De Gaulle n’en sont qu’un des signes.
Être capable de «changer de méthode en cours de bataille», s’il est nécessaire, c’est ce qui fait les grands chefs et… les grandes victoires !
Cette passivité durant la «drôle de guerre» en est encore une illustration criante. Nous n’avions pas des chefs de guerre intrépides ayant le sens du terrain et des opportunités, nous avions des bureau-technocrates étoilés (en fin de carrière, pour la plupart) qui appliquaient les plans pré-établis, sans sortir de leurs normes de caste.
Les premières offensives françaises victorieuses qui ont mené quelques unités en territoire Allemand ont tellement désarçonné l’Etat-major «intelligent» qu’il s’est empressé de les rapatrier (piteusement) en deçà de la frontière dans le confort d’une ligne Maginot autant matérielle que psychologique !
En 1939, la France avait encore des chances de bousculer gravement les armées allemandes et peut-être même d’aller jusqu’à Berlin, qui sait.
Au printemps 40, les carottes étaient définitivement cuites. Le rapport de forces (armement, moral des troupes, apathie / hargne des états-majors) rendait l’issue inéluctablement dramatique. L’armistice devenait alors la conséquence logique de cette chaîne d’erreurs commises par des gens «intelligents» mais d’une intelligence académique finalement inopérante quand le réel s’obstine à ne pas vouloir se plier à leurs schémas de pensée.
Tout cela s’inscrit dans le contexte d’une IIIe République véritablement catastrophique et nocive. Après avoir évité de peu une défaite dès 1914-15, ce régime est intégralement responsable de la cuisante déroute de 1940. C’est lui qui encore a donné les pleins pouvoirs à Pétain !
La France était en position de barrer la route à l’Allemagne hitlérienne des années 30. La IIIe République parlementariste s’en est montrée totalement incapable. Pire, son incurie (dont l’épicentre s’est révélé aux « accords de Munich » du falot Daladier) a encouragé les rodomontades bellicistes du parti nazi.
Sans être vraiment comparable, la situation d’aujourd’hui fait nécessairement penser au désordre prodigieux de l’Exode de mai/juin 40 et procède du même état d’esprit.
Ce sont encore les « premiers de la classe » qui sont aux manettes. Incapables de sortir des leçons apprises dans leurs écoles et de sortir de leurs schémas de pensée idéologiques, ils se trouvent par le fait incapables de (vouloir) définir des stratégies adaptées. Ils sont seulement capables de proclamer que «nous sommes en guerre» et édicter des mesures coercitives et liberticides.
Comme en 40, les troupes (sanitaires, services essentiels,…) sont sur le terrain, se dépensent sans compter tandis que les dirigeants multiplient les communiqués, les faux-pas et les tactiques impuissantes et inadaptées (faute de « munitions” et de logistique…).
Les déclarations brouillonnes et contradictoires du gouvernement engendrent un climat anxiogène propice a un désarmement moral. Pour mieux accepter la férule d’une instance supra-nationale (qui a déjà ses nombreux collabos) larrgement dominée par l’Allemagne ?
7 mai 2020 à 12:02
@Ammarigeon
Merci pour ces précisions. Evidemment, je m’incline devant le spécialiste des questions militaires. Mais j’ai l’impression que vous n’êtes pas en désaccord avec le sens général de mon message. J’en profite pour faire des remarques complémentaires (on a beaucoup de temps libre, actuellement).
Tout d’abord, je pense qu’il y a un très grand retard de l’historiographie française de la Deuxième guerre mondiale. A un point tel qu’on peut même la considérer comme sinistrée. A quoi cela tient ? Je pense que cela vient d’une tradition de l’historiographie française, très influencée par l’école des Annales qui, par définition, ne s’intéresse pas à l’histoire événementielle, et méprise ouvertement « l’histoire bataille ». Mais je crois comprendre que vous faites partie de ceux qui tentent de combler cette lacune, à l’instar de l’excellent Jean Lopez.
Par ailleurs, Jacques Sapir aborde aussi la question de l‘armistice. On peut raisonnablement penser que s’il n’y avait pas eu cet armistice, la bataille de mai-juin 1940 n’aurait pas eu ce caractère de « bataille décisive » qui lui est généralement attribué (sauf évidemment du point de vue gaulliste). Quand on lit les ouvrages d’historiens sur ces événements, on a l‘impression qu’un choix devait être fait entre armistice (acte politique) et capitulation (acte militaire). Toute la problématique tourne autour de cette alternative, qui est devenue centrale. Et comme les militaires refusaient la capitulation (considérée comme contraire à l’honneur militaire), il apparaît que le choix de l’armistice s’imposait de lui-même puisqu’il fallait bien, à un moment ou à un autre, « arrêter les combats ». Si je me souviens bien, c’est la thèse défendue par l’historien Henry Amouroux : l’armistice était de toute façon inévitable.
Il me semble que ce débat (armistice ou capitulation) est une pure reconstruction a posteriori, à des fins justificatrices. Non pas qu’une telle alternative ne soit pas envisageable (le général Weygand avait posé le problème en ces termes), mais elle suppose un préalable : l’acceptation de la défaite. Il est très significatif que, dans ses premiers discours, le Général de Gaulle ne distingue absolument pas entre les deux notions. Pour lui, capitulation et armistice, c’est exactement la même chose. C’est un jusqu’au-boutiste, comme Churchill. L’idée même d’une « bataille décisive » n’existe pas pour lui. Et il peut parfaitement y avoir une défaite consommée sur le territoire national, sans pour autant qu’il n’y ait ni capitulation ni armistice. C’est ce que suggère Jacques Sapir, avec raison selon moi.
8 mai 2020 à 11:03
@Gérard
Si je comprends bien, vous voulez refaire le procès de Riom. Quand vous écrivez que la IIIème République « est intégralement responsable de la cuisante déroute de 1940 », vous ne faites que reproduire l’acte d’accusation dressé par Pétain et ses acolytes contre la République. Comme vous le savez, le procès a tourné à la déconfiture des accusateurs. Je crois savoir que c’est Hitler lui-même, mécontent de la façon dont se déroulait le procès, qui a exigé qu’on arrête les frais.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que la politique de faiblesse de la IIIème République face à la montée de l’hitlérisme a été largement conditionnée par la politique britannique, qui a été extraordinairement nocive durant cette période. Il était hors de question que la France très affaiblie après la 1ère guerre mondiale, en infériorité démographique et industrielle, se lance seule dans la guerre contre l’Allemagne sans son allié britannique. Par conséquent, la diplomatie française au cours de cette période a été constamment à la remorque du « foreign office ». Quant à l’alliance avec l’URSS, elle était très problématique.
Je persiste à penser que la IIIème République, comme régime politique, était parfaitement en mesure de faire face à une guerre contre l’Allemagne nazie. La IIIème République est morte non pas de ses insuffisances, mais de la défaite militaire. C’est aussi simple que cela. Aucun régime politique ne peut survivre à une défaite militaire qui se traduit par l’envahissement du territoire national. C’est ce qui est arrivé à Napoléon 1er en 1814, et à Napoléon III en 1870.
9 mai 2020 à 1:20
110 gouvernements en à peine 70 ans de troisième République, rien que cette statistique donne une idée de l’instabilité et, partant, de l’impuissance congénitale de ce régime.
Ses hommes politiques étaient ce qu’ils étaient. Les meilleurs d’entre-eux avaient cependant les mains liées et pouvaient difficilement espérer engager des mesures, et encore moins les réformes d’envergure, nécessaires.
Le parlementarisme échevelé de la troisième a mis la bride sur le cou des partis et des intrigants de tous acabits. Les scandales se sont succédés aux scandales. Les événements de février 1934 ont été engendrés par une corruption continue qui avait suscité l’exaspération du peuple. La révolte de 1936 a jailli d’une injustice sociale que les gouvernements n’avaient non seulement pas cherché à renverser mais étaient dans l’impuissance de le faire. La guerre a été déclarée étourdiment.
L’Etat-major était certes lourdement fautif dans sa suffisance arrogante et sa rigidité de pensée. Mais il est un peu trop facile d’exonérer le politique de ses responsabilités ou d’invoquer les entreprises déstabilisatrices de l’Angleterre pour excuser un échec et mat retentissant.
En dernière instance, c’est le gouvernement qui détermine la politique militaire et les moyens pour y parvenir. Si une doctrine militaire est déficiente, il est de la responsabilité des gouvernants de l’abandonner et d’en changer. C’est le gouvernement qui déclare la guerre, pas les militaires, il faudrait ne pas l’oublier !
Dans un pays où les gouvernements durent parfois à peine quelques semaines, comment alors espérer conduire une politique cohérente et susceptible de de rédister aux grosses tempêtes. Durant soixante-dix ans, la France a été un bateau ivre qui a vu se succéder à un rythme fou une multitude d’équipages souvent improvisés. Dans ces conditions le naufrage était inéluctable.
Non, la troisième République n’était définitivement pas en mesure de faire face à une guerre contre une Allemagne nazie déterminée, organisée et énergiquement tendue vers ses objectifs. Les faits invalident brutalement cette spéculation irréaliste.
La clownerie tragique du procès de Riom, pour injuste qu’elle soit, ne peut en rien être prétexte à la réhabilitation d’un régime qui avait engendré la défaite et l’instauration complaisante d’un avatar capitulard, autoritaire et collaborationniste.
Seules les forces vives profondes qui avaient permis à la France de ne pas sombrer définitivement durant ces trois-quarts de siècle, allaient servir de noyau et d’ossature au redressement, à la résistance et à la Libération du pays. En opposition directe à ce qu’avaient été l’esprit et l’institution politique de la IIIe République !…
9 mai 2020 à 13:23
Me préparant à revêtir ma tenue NBC , muni de mon habilitation sortie-métro-boulot, je fais mes dévotions au Général en promettant de revenir plus tard : http://cbonard.blog.tdg.ch/archive/2020/05/09/l-incroyable-popularite-de-charles-de-gaulle-en-pologne-306359.html
9 mai 2020 à 15:19
@Gérard
Je vous remercie d’avoir pris le temps de me répondre. J’ai l’impression que vous confondez deux choses : l’exercice de la responsabilité politique, et la responsabilité propre du régime politique. Je suis bien d’accord avec vous que les décisions prises par les hommes politiques durant cette période engagent pleinement leur responsabilité. Gamelin était le protégé de Daladier. Pétain fut nommé au Conseil Supérieur de la Guerre en 1934 (où d’ailleurs il défendra des thèses en faveur de la constitution de divisions blindées et d’une puissante aviation). Ce sont les hommes politiques qui les ont nommés. Et c’est Paul Reynaud qui a fait entrer Pétain au gouvernement en mai 1940, avec les conséquences que l’on sait.
Mais vous allez plus loin encore, et là je ne vous suis pas : vous laissez entendre que les décisions qu’ont prises ces hommes politiques résultent des faiblesses propres du régime parlementaire. Et, par conséquent, c’est ce régime qui est responsable de la défaite. J’ai plutôt tendance à penser que la politique étrangère de la France durant cette période, et la politique de défense nationale qui en était la traduction, a été dictée par de conditions objectives et géopolitiques, et menée avec une certaine constance, nullement entamée par l’instabilité ministérielle et les scandales.
Le grand intérêt des développements récents de l’historiographie, c’est que les spécialistes des questions militaires (essentiellement étrangers) semblent tous aboutir à la même conclusion : la défaite de 1940 n’avait rien d’inéluctable. Les circonstances, et les erreurs d’appréciation des généraux français ont joué un rôle considérable. Et vous imaginez bien que si la France avait pu éviter la défaite en 1940, comme elle avait su le faire en septembre 1914, vous ne parleriez pas de la IIIème République comme vous en parlez actuellement (ce qui ne veut pas dire, évidement, que ce régime n’avait pas de graves faiblesses).
9 mai 2020 à 21:03
Étrange victoire, intéressante par bien des aspects inconnus de moi, mais étrange conclusion qui trouve en Paul Reynaud l’homme au chapeau, celui qu’il ne portait plus mais qu’il avait mangé.
Drôle de guerre, avait-on dit ; drôle de paix d’avant-guerre rétorque François Delpla, dont le travail est intéressant en ceci qu’il articule histoire militaire et analyses politiques et stratégiques, ce qui manque à ce texte de Sapir , tout intéressant soit-il.
10 mai 2020 à 7:23
Sur ces sujets : intéressante revue critique par Ludovic Chevassus de l’ouvrage dirigé par Jean Lopez La Wehrmacht-la fin d’un mythe. C’est sur la Cliothèque en date du 22 avril 2020 .
https://clio-cr.clionautes.org/la-wehrmacht-la-fin-dun-mythe.html#comment-10378
14 mai 2020 à 10:06
Je viens d’apprendre qu’Emmanuel Macron célèbrera le 17 mai l’anniversaire de la bataille de Montcornet en 1940. D’après ce que je crois savoir, c’est une innovation macronienne. C’est bien la première fois qu’au plus haut niveau de l’Etat on célèbre cette date. Sans doute les gaullistes en avaient rêvé, mais ils n’avaient pas osé le faire. Macron l’a fait.
Car ce qu’on a appelé la bataille de Montcornet ne fut en fait qu’une escarmouche, du moins à l’échelle de l’immense bataille qui se déroulait en même temps sur l’ensemble du front. Et en plus, ce fut une défaite. Certes honorable, mais une défaite quand même, due notamment à l’absence d’appui aérien pour les blindés français.
Bien entendu, la légende gaulliste s’est emparée de ce fait d’armes, avec l’efficacité que l’on sait. Et elle a réécrit l’histoire. Les batailles de Hannut et Gembloux, autrement plus importantes, qui furent une véritable victoire tactique des Français, ont été jetées aux oubliettes de l’histoire. Il est vrai que le général Prioux fut par la suite un pétainiste de stricte obédience, ce qui n’a pas aidé.
Voilà qui nous en dit long sur cette obsession macronienne pour la communication. Il s’agit ici de récupérer l’histoire (ou plutôt la légende) à son profit. Car j’imagine que Macron sait à quoi s’en tenir sur la réalité de cette bataille de Montcornet (il a été dûment renseigné par son cabinet militaire, je suppose). Mais peu importe. Macron ose tout, et c’est à ça qu’on le reconnait.
14 mai 2020 à 11:13
Quand j’écris que le général Prioux fut un pétainiste de stricte obédience, j’exagère un peu. Il ne fut nullement compromis avec le régime. Il fut certes fidèle au maréchal Pétain, mais son pétainisme ne dépassa pas le cadre très confiné de l’oflag dans lequel il s’est retrouvé après la prise de Lille. Et quand il a été libéré et s’est retrouvé à Alger, il a rallié le Général Giraud en 1943. Assez pour se faire mal voir des gaullistes.