Jacques Sapir : Honneur aux soixante-dix !

Oct 10, 2012 | Union européenne | 2 commentaires

Le vote du TSCG par l’Assemblée nationale, le mardi 9 octobre, a inspiré à Jacques Sapir le texte que l’on peut trouver sur son carnet à http://russeurope.hypotheses.org/266 . Je le reprends avec son autorisation … et avec ma pleine approbation.

 

Honneur aux soixante-dix !

Soixante-dix députés ont osé voter contre le TSCG.

Soixante-dix sur cinq cent soixante-huit votants, c’est peu.
Soixante-dix contre quatre cent soixante-dix-sept qui ont voté pour, c’est peu.
Mais soixante-dix qui, venant de tous les horizons politiques, ont osé se dresser contre les consignes d’état-major, contre l’intense pression médiatique, contre le conformisme, contre les petits calculs politiciens, contre la lâcheté servile, cela en vérité fait beaucoup.

Ce Traité sur la Stabilité, la Coordination et la Gouvernance, contient trois mensonges dans la même expression.
Quelle stabilité, quand on voit dans la rapport récent du FMI, posté sur ce carnet, que les mécanismes mis en oeuvre depuis 2010 n’ont fait qu’aggraver la crise? Quelle stabilité encore quand on voit la dépression que connaissent certains des pays en crise? Parler de stabilité est ici un mensonge flagrant.
Quelle coordination quand on sait qu’il n’y a de coordination qu’entre des agents libres, sinon c’est à une autorité hiérarchique que l’on a affaire, et qu’il n’y a dans ce traité qu’asservissement à des agences dites indépendantes ? Ce Traité organise en fait le dépérissement de la démocratie en Europe avec la fin de l’autorité suprême des Parlements nationaux en matière budgétaire. Or, il faut s’en souvenir, c’est par le consentement à l’impôt que commence la démocratie.
Quelle gouvernance enfin dans un Traité qui est en fait inapplicable et qui n’a pas d’autres fonctions que d’être violé à peine signé ? Est-ce ainsi que l’on croit créer un « bonne gouvernance » dans les mots dont on se gargarise à Bruxelles et ailleurs ?

On dit aussi, et c’est un argument avancé en sa faveur, que ce Traité institue une solidarité en Europe. Mais quelle solidarité, dans un traité qui condamne l’Europe à l’austérité et à la récession ? C’est en fait la solidarité de la matraque avec le bâton, comme l’expérimentent les manifestants qui, d’Athènes à Madrid en passant par Lisbonne, se sont levés contre la misère qui leur est imposée. User alors d’un tel argument revient à déconsidérer pleinement l’idée d’une possible solidarité européenne.

Trouvera-t-on ces mots excessifs ? Que l’on regarde alors le rapport du Fond Monétaire International, le World Economic Outlook d’octobre 2012 qui explique bien la marche à la misère entamée au nom d’une austérité qui n’a donc pour but que de sauver un fétiche : l’Euro. Que l’on regarde ce rapport, qui reste prudent dans ses projections, mais qui n’en établit pas moins que la majorité des pays ne pourront respecter les clauses de ce traité qui vient d’être ratifié. Que l’on regarde la note commune à trois instituts (l’INSEE, l’IFO et l’ISTAT) sur la récession dans la zone Euro . Que l’on regarde enfin les rapports de l’UNICEF qui établissent la montée de la dénutrition et du manque de soin chez les enfants grecs . Je pense avoir, par ailleurs, montré dans de nombreux textes, tous les effets pervers de ce traité .

Mais de cela, les thuriféraires du TSCG, les sectateurs de l’Euro, n’en ont cure. Même l’appel des économistes hétérodoxes, avec lequel j’avais des désaccords suffisamment importants pour ne pouvoir le signer, a été scandaleusement censuré par Le Monde . Il était dit que pour faire passer cette amère pilule, on ne reculerait devant aucune bassesse, devant aucune ignominie.
Le TSCG nous a donné l’exemple éclatant du cynisme en politique, quand un candidat à l’élection présidentielle se prononce pour sa réécriture et s’empresse, une fois élu, de le faire voter. Ce n’est pas le codicille sur la croissance, malheureux engagement de 140 milliards d’euros étalé sur trois ans, une aumône, qui peut en changer la nature. Même ses amis politiques le reconnaissent aujourd’hui publiquement. Ce Traité ne fut pas renégocié, et d’ailleurs jamais n’a-t-on cherché à s’en donner les moyens.
C’est ainsi que l’on détruit la démocratie.
Le mensonge électoral nourrit la colère et produit le mépris pour une classe politique qui affiche sa solidarité profonde contre le peuple. Bientôt montera le vieux cri de l’anti-parlementarisme : « tous pourris » ! On dira, c’est le populisme qui monte. Et l’on se trompera, car ce sera alors la stricte vérité.

Oui, le fétichisme de l’Euro, car c’est bien de cela qu’il s’agit, la transformation imaginaire d’un instrument en une fin en soi, et la volonté de pouvoir de ses grands prêtres nous condamnent à un appauvrissement généralisé, à une montée du chômage et, à la fin des fins, comme en Grèce et en Espagne, à la destruction de nos sociétés.
Alors, si dire la vérité vaut que l’on soit taxé d’être excessif, je veux bien être excessif. Car aujourd’hui, la raison et l’intelligence vomissent les tièdes.

Honneur donc à ces soixante-dix députés ! Ils ont eu le bon réflexe et ils ont raisonné de manière juste, en refusant d’accorder leurs suffrages à ce texte inique. Qu’importe leurs raisons circonstancielles, qu’importe d’où ils viennent et à quel parti ils appartiennent ! Quand il s’agit de résister, on ne mégote pas sur ses alliés.
Il y a soixante-douze ans de cela, le 10 juillet 1940, quatre-vingts parlementaires, députés et sénateurs (57 députés et 23 sénateurs) refusèrent d’accorder les pleins pouvoirs constituants à Philippe Pétain. Le vote de l’écrasante majorité mit fin à la République, et institua un régime de fait et non de droit. Le vote de ces quatre-vingts minoritaires fut, avec l’appel du 18 juin, le deuxième acte fondateur de la France Libre, préparant la résurrection de la République défunte.
Ce rappel est aujourd’hui nécessaire.
Puissent les soixante-dix députés qui ont refusé de voter être rejoints par autant de sénateurs que possible. Puissent-ils voir leur nombre croître quand ce texte viendra en seconde lecture.
Les canons furent, par le passé, l’ultime raison des rois.
Les traités sont aujourd’hui l’ultime raison des élites oligarchiques.
Qu’ils se rappellent que l’ultime raison des peuples reste le pavé.

Jacques SAPIR

Directeur d’études à l’EHESS

 


[1] IMF / FMI, « IMF Sees Heightened Risks Sapping Slower Global Recovery », Economic Outlook, 9 octobre 2012, URL : http://www.imf.org/external/pubs/ft/survey/so/2012/res100812a.htm

[2] Association des trois Instituts Économiques Européens, La zone Euro en récession, www.ifo.de , www.insee.fr , www.istat.it

[3] URL : http://greece.greekreporter.com/2012/04/04/unicef-report-children-in-greece-2012-reveals-dissapointing-data/

[4] Voir mon carnet http://russeurope.hypotheses.org/

[5] Jacques Sapir, “Sur le TSCG”, RusseEurope. Le Carnet de Jacques Sapir sur la Russie et l’Europe (Hypotheses.org), 23 septembre 2012. [En ligne] http://russeurope.hypotheses.org/133.

 

 

 

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2 Commentaires

  1. bouillot

    OUI? ils sont 70 à avoir voter contre mais rien ne relie ces députés entre eux. Ils se détestent cordialement FDG contre Verts .FN contre UMP.

    Cela sera comme pour le vote du traité constitutionnel de 2005 un coup d’épée dans l’eau de ceux qui se disent souverainistes.

    On est sur la voie de l’Etat supranational, le compte à rebours est commencé et Sapir se fait beaucoup d’illusion sur l’action des peuples.

  2. vaclav olmac

    Heureusement qu’on a le TSCG pour forcer la France a purgé son Etat obèse.

    Mais cet ultrasocialiste de Hollande, au lieu de couper dans les dépenses publiques, augmente les impôts de 30 milliards d’euros. C’est ce que vous appelez la soumission à l’ultralibéralisme ?????

    Quant à l’euro,il nous protège des hausses de tarif de l’énergie et d’autres coûts. Quitter l’euro renchérira les importations et le déficit commercial parce qu’on ne fabrique plus assez de biens exportables.
    Il faut favoriser les exportations par la baisse des charges sur les entreprises qui pourront ainsi mieux vendre, investir et innover. La condition c’est la réduction du rôle de l’Etat à ses fonctions régaliennes et la privatisation du reste.