Après la mort de Diana Spencer : Vive la reine d’Angleterre !

Sep 22, 1998 | Res Publica

Nos émotions nous appartiennent et je ne dirai rien de celles que nous avons éprouvées à l’annonce de la mort accidentelle de la princesse Diana. Nous tenons d’autant plus à les retenir, comme on retient ses larmes, et à les garder secrètes, que l’émotion médiatique aurait anéantit tout sentiment si quelques hommes parlant selon leur cœur – je pense à Jean d’Ormesson (1) – ne nous avaient rappelés à la douce et vraie pitié.

Mon commentaire sera donc strictement politique, comme il se doit dans un journal royaliste qui entend raison garder. La vieille maxime des rois de France doit être prise au pied de la lettre. Face à la montée des pulsions, face à l’exploitation cynique des émotions populaires, il faut sauver la raison – et pour ce qui nous concerne, participer humblement à cette sauvegarde dans notre domaine d’élection. Tâche immense, difficile, et nécessairement étrangère à l’agitation médiatique puisqu’elle implique cette distance et cette froideur que toute une presse, qui prospère sur le terreau de la démagogie, de l’ignorance et de la corruption, reproche à la royauté britannique.

Or c’est bien cette distance qui permet l’arbitrage, qui rend possible la médiation (2), c’est cette froide raison de l’Etat qui assure d’ordinaire aux citoyens une existence paisible. Telle est la fonction de la monarchie royale, fonction indispensable, symbolique et concrètement exercée. Cela ne fait pas de l’Etat, qu’il soit ou non monarchique, un monstre froid qui étoufferait la société. Au contraire, les plaisirs et les joies de la vie sont rendus possibles par la vigilance de quelques gardiens, astreints à une discipline rigoureuse. C’est la manière dont ils assurent la garde qui nous importe, et non pas ce qu’ils font lorsqu’ils rentrent chez eux.

Voici qui ramène à presque rien les commentaires sur les conséquences politiques de la mort de Diana Spencer. Presque rien : un tissu d’âneries prétentieuses (la « nouvelle race » qu’incarnerait le prince William), de sentimentalisme niais (« l’héritage de tendresse » qu’aurait laissé la princesse morte) et de supputations dérisoires sur l’avenir de la monarchie britannique. A l’encontre de ces bavardages, il convient de souligner ceci :

-La princesse Diana n’appartenait plus à la famille royale depuis son divorce. Elle était redevenue une aristocrate anglaise, qui vivait sa vie et qui s’occupait d’œuvres humanitaires, ce qui est tout à son honneur. Cette aristocrate appartenait plus précisément au monde des Olympiens – le terme est d’Edgar Morin – qui est constitué de personnages semi-divinisés. Mais ces artistes, ces sportifs et autres mannequins ne sont que des idoles médiatiques qui n’assurent aucune des médiations nécessaires. Très lointaines et très familières, elles dispensent un peu de rêve. Il est étrange qu’une certaine gauche célèbre la modernité de ces figures de l’aliénation.

-La mort de Diana Spencer émeut parce qu’elle évoque l’implacable destin. Cette émotion compréhensible n’est pas de même nature que celle qui saisit un peuple lorsqu’il porte en terre un grand serviteur de la nation – je pense au roi Baudouin – qui s’est discrètement sacrifié toute sa vie pour le bien de l’Etat. L’amour d’un peuple pour son roi et d’un roi pour son peuple ne ressemble jamais à un conte de fées. C’est un amour exigeant, de la part du peuple, et douloureux pour le roi. Tout le contraire d’un sentiment impulsif, épisodique, spectaculaire : un mariage de raison d’où procède parfois une solide affection.

-La monarchie britannique n’a pas été ébranlée par la mort de Diana mais par l’image d’exemplarité morale que la famille royale a voulu donner aux médias. Ce spectacle, à faible teneur politique, s’est retourné contre la dynastie. La reine d’Angleterre a tiré les conséquences de cette erreur, bien avant que la presse Murdoch ne se serve de la mort de Diana pour déstabiliser la Couronne.

-La monarchie britannique continuera d’évoluer, comme elle le fait depuis bientôt mille ans. Non pas sous la pression médiatique, mais selon le droit et avec le consentement démocratique exprimé par les Britanniques. Nous en reparlerons. En attendant, vive la reine d’Angleterre !

***

(1)Dans Le Figaro du 1er septembre 1997, Jean d’Ormesson écrivait : « A quelques heures de distance, la faux est tombée sur des femmes algériennes dont nul ne connaît le nom et sur une princesse d’Angleterre. Je pense aux unes, anonymes à jamais, et à l’autre, dont le visage ravissant a hanté tant de rêves, avec la même compassion. La mort unit soudain ce que la vie et ses jeux avaient si longtemps séparé. Et, pour les misérables comme pour les puissants, la pitié l’accompagne ».

(2)Je souscris à l’article publié par Régis Debray dans Le Monde du 10 septembre.

Editorial du numéro 691 de « Royaliste » – 1997

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