Aveuglement volontaire

Déc 26, 2011 | Economie politique | 1 commentaire

Le choix de la rigueur s’impose, dit-on, pour sortir de l’abîme du déficit et de la dette et pour retrouver, dans l’équilibre du budget, le chemin de la croissance. Telle est la doctrine officielle, qui a produit la « règle d’or » que les pays obéissant à Berlin doivent inscrire dans leur constitution.

Nous avons souvent montré que la théorie de l’équilibre budgétaire était fausse et par conséquent dangereuse pour l’économie. Nous publierons de nouvelles analyses, nous donnerons toutes les références nécessaires mais il n’est pas besoin d’avoir un diplôme d’économie politique pour faire un constat qui se trouve dans la presse quotidienne : la rigueur conduit à la récession.

En Grèce, la contraction du Produit intérieur brut (PIB) sera en 2011 supérieure à 5,5{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} et le pays connaît « la récession la plus profonde » de son histoire, selon les termes employés par le Premier ministre.

Au Portugal, le recul du PIB sera probablement de 1,6{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} cette année et de 3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} l’année prochaine, soit la pire récession subie depuis la révolution démocratique de 1974.

En France, le PIB va baisser de 0,3{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} au quatrième trimestre de 2011 et suivra la même pente au début de l’année prochaine ce qui signifie que nous sommes en train d’entrer à notre tour dans la récession.

Bien entendu, les oligarques ne songent pas une seconde à remettre en cause les mesures d’austérité ; au contraire, ils répondent à la récession qui creuse les déficits publics par une rigueur accrue et ils annoncent le retour à une improbable « confiance ». Nous l’avons dit cent fois, comment avoir confiance quand la baisse des dépenses publiques, le chômage et la pauvreté découragent les investissements privés et font baisser la consommation des ménages ?

Pendant les fêtes de fin d’année, la foule dans les magasins ne donnait pas l’impression d’un pays en crise. Il y a heureusement une partie de la population qui n’est pas encore touchée par la baisse du pouvoir d’achat mais il faut aussi prendre en compte les sacrifices consentis pour acheter les cadeaux et commander les repas rituels – sans oublier le recours au crédit à la consommation, excessivement coûteux.

Nous pouvons donc très facilement comprendre que la récession engendre la récession et que les récessions nationales vont se cumuler au risque de nous entraîner vers une grande dépression dans laquelle l’Allemagne finira elle aussi par sombrer : si nous avons de moins en moins d’argent, nous réduirons nos achats de produits allemands et les classes moyennes n’iront plus passer leurs vacances en Espagne, en Italie et en Grèce.

Ce qui reste difficile à comprendre, c’est la persévérance dans l’erreur des milieux dirigeants qui, pourtant, ne cessent d’invoquer la « réalité ». L’aveuglement volontaire des oligarques n’a pas de cause unique. Il faut selon moi additionner l’influence des milieux financiers qui sont en complète osmose avec les dirigeants politiques, le manque de réflexion provoqué par une vie trépidante et la vision à court terme obscurcie par l’empilement des sondages, l’isolement provoqué par le mode de vie luxueux et la protection policière, la réduction du réel à la statistique, les fantasmes collectifs qui coïncident avec l’intérêt des rentiers (peur de l’inflation), les croyances engendrées par des bricolages idéologiques portant sur le marché mondialisé. S’y ajoute un moralisme implicite : « les gens » auraient besoin de discipline car ils « vivent au-dessus de leurs moyens » ; c’est donc pour leur bien qu’on leur impose des sacrifices, avec une jouissance masquée par le discours compassionnel.

La classe dirigeante ne voit pas que sa corruption fait scandale ; elle croit que les Français ont la mémoire courte et fait confiance à ses communicants pour effacer à coup de slogans ses mensonges, ses reniements et ses turpitudes. A droite, au centre, à gauche, on annonce qu’on va « produire français », « acheter français », faire du « patriotisme industriel » sans enfreindre les règles européennes, sans recourir à la protection économique, sans sortir de l’euro et dévaluer la monnaie ! C’est reconnaître la force du courant protectionniste. C’est aussi prendre les Français pour des imbéciles. Cette humiliation est permanente. Il n’y a aucune chance qu’elle soit oubliée.

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Editorial du numéro 1003 de « Royaliste » – 2011

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1 Commentaire

  1. Jean-Baptiste B

    Merci beaucoup pour ce billet, monsieur Renouvin, je constate une fois de plus et avec un grand plaisir que la nécessité du déficit public, l’ineptie de la « rigueur budgétaire » est bien un fait simple, aisé à comprendre, pourvu qu’on prenne le temps de la réflexion, d’une recherche décente des faits historiques les mieux établies, et qu’on ne soit pas tenu par l’aversion contre l’État de l’idéologie libérale ou la déformation professionnelle des banquiers…

    Mon blog est justement consacré à un courant de pensée économique hétérodoxe, le néochartalisme, et la nécessité du déficit, c »est-à-dire de la dépense nette de la part de l’émetteur de la monnaie y est centrale. Pour les raisons poussant à l’aveuglement quant à ce fait qui devrait être évident, je ne trouve pas mieux non plus qu’une explication multifactorielle, et nos deux listes se recouvrent partiellement.

    Cordialement.

    Jean-Baptiste B.