Le principe d’égalité est l’argument majeur des partisans du « mariage pour tous » qu’ils présentent comme une évidence : tous les couples doivent avoir les mêmes droits, quant au mariage et à l’adoption. L’objection qui consiste à rappeler que certains – le frère et la sœur – sont interdits de mariage est restée sans force mais elle a l’avantage de rappeler que le principe d’égalité n’est pas un absolu. La devise de la République met l’Egalité en relation avec la Liberté et la Fraternité, pour que chaque principe puisse trouver son équilibre et sa limite dans les deux autres. La Liberté ne doit pas engendrer la domination des plus riches – c’est le cas aujourd’hui – et l’Egalité ne saurait anéantir la Liberté comme au temps du stalinisme…

Ces considérations générales trouvent leur traduction juridique dans notre droit public. Par sa décision du 9 avril 1996, le Conseil constitutionnel a jugé que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Tous les citoyens français sont égaux mais seuls les ultras de l’ultralibéralisme contestent l’existence d’un statut de la fonction publique qui établit des droits et des obligations différents du secteur privé parce que les fonctionnaires sont en charge de l’intérêt général. C’est là un cas, parmi tant d’autres, qui montre que l’Egalité, comme la Liberté et la Fraternité, est transcendée par l’intérêt général, qui est le souci spécifiquement républicain. Est-il besoin de rappeler que les auteurs de la Déclaration des droits de l’homme ont pris soin de préciser à l’article premier que « les hommes naissent libres et égaux en droits » et que « les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune » ? Il y a des statuts distincts, établis selon le bien commun.

Le mariage entre personnes de même sexe met à l’épreuve ce principe d’égalité. Le nouveau statut qui réunit différentes sortes de couples peut certes répondre à un principe constitutionnel de non-discrimination dont il faudrait se féliciter s’il n’était pas problématique de deux points de vue :

1/ Comme l’a remarqué Daniel Sibony lors de son audition au Sénat (1), la reconnaissance du droit des couples homosexuels à se marier crée une catégorie juridique – les parents – qui efface la différence propre aux couples hétérosexuels formés par un père et une mère. Les homosexuels qui revendiquaient naguère leur droit à la différence obtiennent un statut identique à ceux, hétérosexuels, dont la différence est désormais juridiquement niée.

2/ L’égalité des droits entre couples hétérosexuels et couples homosexuels se heurte, pour les seconds, au problème de l’engendrement. Le législateur prétend surmonter l’inégalité fondée sur l’existence ou l’inexistence d’une différence sexuelle par la reconnaissance d’un droit à l’adoption. Or notre droit distingue l’adoption simple de l’adoption plénière qui donne à l’enfant adopté un nouvel état civil établissant sa filiation telle qu’elle résulte du jugement : cet enfant est effectivement devenu le fils ou la fille du couple qui l’a adopté (2). Si ce couple est constitué par un homme et une femme, l’enfant n’aura pas de peine ou pas trop de peine à considérer qu’il a un père et une mère. Mais si l’état civil établit qu’il a deux pères ou deux mères, le droit français de la filiation s’en trouve bouleversé et l’enfant adopté sera confronté à deux épreuves : aux yeux des autres enfants, il sera « celui qui a deux papas » ou « deux mamans » et il se trouvera discriminé ; surtout, il comprendra très vite que ses parents de même sexe ne sont pas ses géniteurs et il lui faudra entreprendre la quête de son origine, de sa filiation effective, de son nom véritable – alors que le géniteur sera une personne totalement exclue par le couple adoptant. Quête douloureuse qui inquiète maints psychiatres et psychanalystes (3).

Certes, les partisans du « mariage pour tous » s’appuient sur des études qui tendent à montrer que les enfants des couples homosexuels sont heureux et il n’est pas question de contester cette possibilité – pas plus que les mauvais traitements dans les familles classiques – mais ces enfants ont un père ou une mère identifiable. Contrairement à ce qui est souvent affirmé, ce n’est pas l’amour dans le couple et le don d’amour à l’enfant qui sont en question mais la symbolique, c’est-à-dire le lien, juridiquement établi, par lequel l’enfant se relie à ses ascendants. Ce souci de la filiation fait apparaître un risque nouveau et grave pour l’enfant, quant à la recherche d’une origine introuvable ou difficilement pensable. Pour établir une égalité problématique, on expose l’enfant à des difficultés ou à des impasses qu’il pourra ressentir comme des injustices lorsqu’il sera devenu adulte.

***

(1)Cf. Commission des lois du Sénat, audition du 13 février 2013 : http://www.youtube.com/watch?v=pdBrcfgKjl4

(2)Cf. la tribune publiée dans La Croix du 7 février 2013 par deux magistrats : Laurent Bayon et Marie-Christine Le Boursicot.

(3)Cf. l’audition de M. Pierre Lévy-Soussan, pédopsychiatre et psychanalyste, devant la Commission des lois du Sénat : http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video16334.html

 

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6 Commentaires

  1. Alain Moussat

    Moi qui suis « pour » cette loi, je trouve effectivement que le « principe d’égalité à bon dos et ne « sonne » pas bien, dans cette affaire. Il s’agit d’une évolution de la société et le débat intense à laquelle il donne est légitime. Il s’agit de savoir si globalement le changement des mœurs, des idées, des mentalités d’une partie de la population, sera imposé, et peu à peu intégré, puis accepté. Mais attention aussi à ce que disent certains, qui d’une certaine manière ont placé le principe du droit à l’enfant à vérifier (par tests) son ascendance génétique réelle… au delà du symbolique. Le « risque nouveau et grave pour l’enfant, quant à la recherche d’une origine introuvable ou difficilement pensable » me parait être un argument très théorique et idéologique, en tous cas assez improuvable et je dirais et alors… Facile de ne parler « que des mauvais traitements dans les familles classiques », s’il n’y avait que cela (demandez aux ados)… Il faudrait une autorisation d’engendrer alors, une « certification qualité » garantissant que les parents classiques ont un authentique projet d’enfant, seront capables de … etc. Le monde change, l’homme aussi, ne vous enfermez pas sur vous mêmes… Le monde sera toujours difficile et dire « on expose l’enfant à des difficultés ou à des impasses qu’il pourra ressentir comme des injustices lorsqu’il sera devenu adulte » est un peu plan-plan, me fait dire : « Et même si ? » …quand on pense à ce que l’on faisait des enfants autrefois, de la chair à canon ou à machines… Alors que quelques uns ressentent des injustices, on sera triste et ils guériront de ce malaise, les pauvres petits…

  2. CRIBIER

    Il semble que pour obtenir, en France, un agrément d’adoption pour un célibataire, les conditions soient les mêmes que pour les couples :
    – il faut avoir 28 ans minimum lors de l’obtention de l’agrément,
    – les hommes célibataires comme les femmes peuvent obtenir
    l’agrément,
    – il est possible d’obtenir des agréments pour fratries.

    Cependant,les questions de l’enquête tournent beaucoup autour du référent masculin si l’adoptant est une femme, féminin si c’est un homme :
    Quels référents pour l’enfant ? Pour son identification ?
    Pourquoi vouloir adopter en étant seul ? Pourquoi ne pas
    attendre le(la) prince(sse) charmant(e) ?
    Comment expliquerez-vous à l’enfant l’absence de l’autre
    parent ?
    Comment allez-vous vous organiser pour la garde de votre
    enfant quand vous travaillez ? Vos loisirs ?

    Plus ou moins directement, il peut donc y avoir des questions
    sur l’homosexualité, et même si certains conseils généraux ne
    sont pas hostiles, si c’est mentionné, l’agrément ne peut
    aboutir dans pratiquement aucun pays (sauf les Etats-Unis,
    Polynésie Française).

    Comment ce qui était alors hier, considéré comme important dans l’intérêt de l’enfant, au niveau de l’enquête préalable à la délivrance de l’agrément d’adoption, pour les personnes célibataires (donc supposés hétérosexuels), serait-il à présent différent pour les couples homosexuels ?

    Il serait important pour un célibataire de désigner une personne référente du sexe opposé, dans l’intérêt de l’enfant, mais non pour un couple homosexuel?

    En fait, sous couvert de mariage pour tous, il s’agit avant tout, pour les couples de même sexe, d’un moyen d’accéder au droit à l’enfant en méconnaissant les droits de l’enfant, et rien d’autre, ce qui ouvre la porte à toutes les dérives, dont la P.M.A., pour laquelle Christiane Taubira, à peine la loi votée, a d’ailleurs déclaré y être bien entendu favorable.

    C’est donc faire tout simplement abstraction de la nécessaire altérité en couple, pour accéder à l’enfant, et donc recourir au final, à la science et à la matérialisation de l’être humain.

    En effet, si la P.M.A. est adoptée au profit des couples féminins de même sexe, nécessairement, au nom de l’égalité homme-femme, les couples masculins revendiqueront le droit à la G.P.A., ce qui est logique. Et ce, d’autant plus qu’il sera probablement plus difficile pour les hommes d’obtenir un agrément d’adoption, que pour les femmes. L’argument en faveur de la P.M.A. et de la G.P.A. sera de dire que l’adoption ne permet pas de satisfaire toutes les demandes de droit à l’enfant.

    Il s’agit donc bien d’une revendication à l’égalité du droit à l’enfant pour tout couple, homosexuel ou hétérosexuel,plutôt que d’une revendication au mariage pour tous.

    Au final,le législateur aurait très bien pu passer du P.A.C.S., à l’union civile devant le Maire, pour les couples de même sexe, avec les mêmes droits et obligations entre conjoints homosexuels qu’hétérosexuels, mais sans toucher à la filiation, si la revendication des couples de même sexe était seulement de contracter une alliance reconnue devant la société, or tel n’est pas le cas.

  3. bouillot

    Puisqu’il y a mariage,il y aura forcément divorce! Dans ce cas précis si des enfants sont adoptés par deux hommes qui va garder les enfants?Dans les couples hétérosexuels on donne la garde des enfants à 83{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} aux femmes. Là,on va faire comment?Favoriser un homme par rapport à l’autre?Pour deux femmes ce sera plus facile.Je pense que les hommes hétéro vont plus revendiquer la garde des enfants si on le donne aux hommes homosexuels.

    • Patrick H57

      Dans le cas de 2 hommes on fait comment ? Mais pour les femmes c’est plus facile ? Ces affirmations prouvent que l’homosexualité féminine est plus acceptée, dénotant par là un sexisme (ou un machisme) persistant.
      Dire que 83 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des gardes sont données à la femme ce n’est pas dû à une différence de sexe dans le couple mais à une facilité des juges qui estiment qu’une mère est plus apte à élever tous les jours l’enfant comme si le père n’avait pas autant d’amour à donner. Et dans ce cas ce que Bouillot dit devient plus difficile : quelle femme choisir alors dans un couple de lesbiennes ? Est-ci facile alors ???
      Si des homosexuels mariés ont le droit d’adopter en quoi cela serait-ce un mal à ce que plus d’hommes revendiquent le droit de garde ???

  4. RUMIN

    La « quête des origines » ne se pose-t-elle pas déjà aujourd’hui, par définition, pour tous les enfants adoptés ? La filiation adoptive, fut-elle plénière, signifie toujours qu’il y a une « réalité biologique » avant et en dehors du couple parental.
    Je ne vois pas très bien, concrètement, en quoi la référence à l’altérité sexuelle serait « essentielle » dans le cas d’une adoption par une personne célibataire ; le fait est que l’enfant est adopté par un ou une célibataire qui peut très bien ne jamais se mettre en couple. Et un référent du sexe opposé peut très bien exister auprès d’un couple homosexuel. Les services sociaux vont devoir s’adapter à la loi nouvelle, même si l’adoption restera certainement un parcours du combattant pour ceux qui voudront s’y aventurer.
    D’accord pour rejeter tant la PMA que la GPA, étant précisé que l’adoption commence à poser des difficultés à mes yeux dès lors qu’il existe un lien biologique de l’enfant avec l’un des membres du couple homosexuel et que l’on cherche à organiser, d’une façon ou d’une autre, le silence autour de l’autre géniteur. Mais s’agissant de l’accès à l’institution du mariage, c’est quand même un symbole fort d’une égalité sociale et juridique entre toutes les unions qui coupe court à toutes sortes de jugements de valeur.
    Amicalement

  5. OLIVIER COMTE

    La chronique de Bertrand Renouvin, et les commentaires qui
    suivent , sont parfaitement fondés sur le simple bon sens.
    Le problème de l’ adoption, par des couples homosexuels, ne peut être réglé que par une loi distincte qui demande une longue réflexion.
    La proposition, par Cribier, d’ une union civile qui imposerait des droits et des devoirs nécessaires, qui ne sont pas imposés par le sinistre PACS, a l’ avantage d’ être la meilleure solution et le désavantage de provoquer la fureur des deux forces politiques qui s ‘affrontent.

    Un plat réussi ne demande pas un assaisonnement inutile.
    Le saupoudrage par le condiment « égalité » de tous les problèmes est dangereux, artificiel et malsain. Le principe d’ égalité qui soutient notre société risque de dépérir si on l’ exploite sans retenue et qualification.
    Je me permets de parler comme vieux républicain, longtemps militant d’ extrême gauche.