Le débat n’est pas nouveau et ses principaux éléments, politiques ou juridiques, ont été abondamment commentés. En 1986, si l’opposition devient majoritaire à l’Assemblée nationale un grave conflit risque de surgir entre le Premier ministre issu de la nouvelle majorité et un Président de la République contraint selon la formule consacrée de se soumettre ou de se démettre. Les uns, tels Giscard et Chirac, penchent pour la soumission du chef de l’Etat tandis que Barre envisage d’ores et déjà une démission qui résulterait de l’impossibilité de toute « cohabitation » entre le socialisme et la droite libérale.

Ainsi posée, la question paraît simple. La défaite de la gauche étant considérée comme inéluctable, il s’agit seulement de prévoir les modalités de son départ. A entendre les chefs de l’opposition, jamais événement n’a été aussi bien situé dans le temps : 1986 sans doute, 1988 au plus tard. Il ne resterait plus qu’à prendre les paris, en relisant la Constitution pour tenter le discerner, parmi les opposants, le plus habile interprète ou le meilleur gaulliste. Question purement technique même si, sous les lectures divergentes du texte de 1958, les soucis tactiques des candidats potentiels à la présidence si laissent aisément deviner. Pourtant, plus ce sempiternel débat sur la cohabitation gagne en importance et en actualité, plus Il donne une impression d’irréalité. Au juste, pourquoi font-ils la guerre, ces messieurs de l’opposition, qu’en est-il de cette droite et calcule et agit comme si elle était déjà victorieuse et quel est, finalement, la véritable nature de l’enjeu ?

DISCOURS ET SLOGANS

La reconquête du pouvoir politique est bien sûr l’objectif. Mais au nom de quelle certitude idéologique, et pour quel projet commun ? Le réponse n’est pas dans le discours de le droite, tantôt  d’une aigreur banale, tantôt tout bonnement délirant. Ni dans un projet de rechange, notoirement inexistant. Ni même dam une vague communauté d’intentions puisque l’unité de l’opposition n’est, et n’a jamais été, que de pure façade. Précisons. Il n’est pas possible de croire M. Pasqua lorsqu’il dénonce le caractère « marxiste » du pouvoir ; ni M. Labbé quand iI tente d’établir une opposition entre des « choix de société », ni même M. Chirac lorsqu’il déclare que la gauche désire poursuivre la « socialisation ». De toute évidence, la société française n’a été ni marxisée, ni profondément bouleversée par les réformes du début du septennat. L’étatisme, la bureaucratie et les autres aspects du « mal français » existaient avant 1981, malgré la « compétence » et le « libéralisme » de ceux qui géraient le pays. On ne voit donc pas quel choix de société nous aurions à faire en 1986, à moins de prendre au sérieux les slogans libéraux et les poses reaganiennes. Hélas, nul programme, nul projet clair, cohérent et chiffré ne nous permet de savoir comment se traduirait concrètement un libéralisme qui ne fait d’ailleurs pas l’unanimité du RPR, tant il est contraire à la tradition gaullienne, et qui avait été catastrophique au temps de MM. Giscard et Barre.

A l’irréalité des discours et à l’absence de projet s’ajoute l’illusion de l’unité de la droite. Déjà, avant 1981, la difficile cohabitation entre M. Chirac et M. Giscard d’Estaing avait empoisonné l’atmosphère, et ce n’est un secret pour personne que le chef du RPR avait tout intérêt à la victoire de la gauche. Aux deux rivaux de l’époque du libéralisme avancé s’ajoute maintenant un troisième larron, qui est un facteur de divisions supplémentaires. Les ambitions personnelles, les intérêts des partis et les oppositions d’ordre sociologique rendront la lutte impitoyable entre les trois hommes et les trois tendances qu’ils représentent. Tout le reste n’est que manœuvre et hypocrisie.

POUR LA PROPORTIONNELLE

Il serait inutile de rappeler de telles évidences si tout l’effort de l’opposition ne consistait à masquer, sous des flots d’éloquence, le véritable motif de son action : le pouvoir pour le pouvoir, le puissance pour le puissance. Le discrédit qui frappe aujourd’hui la classe politique tient, pour partie, à ce que cette pure volonté de puissance se laisse trop aisément deviner. Entre l’illusion lyrique des uns, maintenant retombée dans la pratique gestionnaire, et le cynisme des autres, le plus simple serait de s’abstenir désormais, en comptant distraitement les coups. Mais la politique n’est pas un spectacle sans conséquences. Même artificielles, les propagandes entretiennent la division entre les Français et, demain, le jeu des rivalités personnelles risque de menacer le fonctionnement de l’Etat. La résignation n’est pas permise, ni le dégoût qui incite à voter pour tel démagogue promettant de chasser les « politiciens pourris ». Sans doute ne peut-on envisager de faire taire les ambitions et d’imposer à tous la vertu – on sait ce que cela donne. Mais il est possible de dépasser l’affrontement artificiel entre la droite et la gauche, de faire apparaître les vrais débats et de montrer, aussi, la réalité du consensus national.

Comme le rappelait Frédéric Grendel (1), il y a tout de même, dans notre pays, un accord presque général sur la diplomatie, sur la politique de défense et sur les institutions. Comme nous l’avons souvent montré, les débats fondamentaux ne respectent pas les frontières entre la droite et la gauche, mais se déroulent â l’Intérieur des camps et des partis. Pour en finir avec l’irréalité de la vie politique, il Importe que ces accords fondamentaux puissent s’exprimer, et que les véritables questions soient enfin débattues.  Telle est la tâche qui incombe au pouvoir, dans la fidélité à l’esprit des institutions. Pour restaurer l’unité du pays, Il faut dépasser l’affrontement entre la droite et la gauche. Pour préserver la stabilité et la continuité de l’Etat, il faut résister à la lecture « anglaise » de la Constitution – celle de Raymond Barre – qui fait dépendre le chef de l’Etat de la représentation parlementaire. Pour garantir le rôle arbitral du Président, il faut éviter qu’il ne devienne totalement le chef d’une coalition partisane ou d’un parti dominant. Un grand pas serait fait dans ce sens si, en 1986, un mode de scrutin proportionnel était adopté (2). Outre une représentation plus exacte de l’opinion, il permettrait de briser la logique bipolaire et d’éviter, par conséquent, la crise institutionnelle que certains souhaitent inconsidérément. Que le Président ait la possibilité d’assumer sa fonction, que le gouvernement puisse s’appuyer sur des « majorités d’idées », et la paix civile se trouverait mieux assurée, en même temps que la démocratie.

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(1) Dans un éditorial du 2 octobre sur « Europe 1 ».

(2) Cf. les analyses de Michel Herson dans « Royaliste » numéro 393.

Editorial du numéro 402 de « Royaliste » – 17 octobre 1984

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