Constitution : l’inflation des rajouts

Déc 15, 2002 | Res Publica

INSCRIPTIONS ACADEMIQUES

Dans le rapport qu’elle a remis le 10 décembre au ministre de la Culture, Catherine Clément souhaite «l’inscription du service public de l’audiovisuel dans le préambule de la Constitution, au même rang, à la même dignité que l’Éducation nationale ».

C’est devenu une manie. Quand on veut donner de l’importance à une idée, à une réforme ou à une revendication, on ne propose plus de recourir à la loi mais d’inscrire dans la Constitution la préoccupation du moment. Dans cette course aux dignités, Catherine Clément pratique la surenchère puisqu’elle vise le Préambule de 1958 qui, soit dit en passant, ne mentionne pas l’Education nationale. Les bonnes intentions du rapporteur sont incontestables – de celles dont les enfers juridiques sont pavés.

Il n’est pas difficile de comprendre que l’inflation des rajouts constitutionnels diminue la valeur de notre Constitution : une loi fondamentale qui est trop souvent modifiée cesse de fonder la vie politique. Faite pour organiser les rapports entre les pouvoirs publics et les relations entre ceux-ci, elle tend à devenir un catalogue de déclarations d’intentions et de proclamations morales qui s’alourdit au gré des modes et des agissements des groupes de pression. Bientôt, chaque ministre, chaque rapporteur voudra y déposer son empreinte personnelle sous la forme d’un mot ou d’un alinéa, inscrit de préférence dans les articles les plus prestigieux du texte constitutionnel !

La « culture des ego » ne détruit pas seulement l’enseignement public, ni les grandes entreprises publiques et privées : elle porte le vice au cœur du droit politique. Nos principes politiques sont définis et proclamés par la Déclaration de 1789, « confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » selon les termes du préambule de 1958. C’est introduire de la confusion dans la hiérarchie des normes juridiques que d’inscrire des vœux politiques là où ils n’ont pas lieu de figurer. C’est aussi dévaluer la loi « simple », votée par le Parlement.

Bien entendu, je ne plaide pas pour une conception conservatrice. Il y a une logique juridique qui implique des réformes décisives. Celle instituant en 1962 l’élection du président de la République au suffrage universel est à cet égard exemplaire car elle démocratise par voie référendaire la monarchie présidentielle définie à l’article 5 par les constituants de 1958. Mais nous sommes passés de l’écriture au gribouillage.

Proclamer à l’article 3 de la Constitution, au nom de l’idéologie « paritaire », que « la loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives” est une redondance puisque le préambule de 1958 assure l’égalité devant la loi.

Décider d’inscrire à l’article premier que l’organisation de la France est « décentralisée » est une surcharge, inspirée par le supposé « principe de subsidiarité », puisque la décentralisation caractérise déjà l’administration de notre territoire.

Vouloir que l’audiovisuel public soit en quelque sorte promu à une place d’honneur ne changera rien à la chose médiatique et ouvrira la voie à d’autres revendications qui transformeront peu à peu la Constitution en programme de gouvernement.
Au lieu de semer la confusion dans les esprits avant de se plaindre du brouillage des repères, les scribes mondains seraient bien avisés de retrouver leur rôle critique et d’interpeller les oligarques sur leurs manquements aux principes constitutifs de la res publica.

Ignorance de la Déclaration de 1789 qui affirme « la libre communication des pensées et des opinions » alors qu’une censure de fait règne dans les grands médias.

Oubli de cette même Déclaration qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » alors que les oligarques pratiquent un favoritisme éhonté.

Mépris du préambule de 1946 qui garantit à tout être humain « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens d’existence convenable» alors que les dirigeants de droite et de gauche défendent un système économique fondé sur la précarité.

C’est en considérant que «l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements » que les citoyens de 1789 firent la révolution.

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Editorial publié dans le numéro 806 de « Royaliste » -2002.

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