Le Front national tiendra son 15ème congrès à Lyon les 29 et 30 novembre. Les succès électoraux de ce parti, la popularité de sa présidente dans une fraction importante de l’opinion publique et la crise multiforme dont souffre notre pays stimulent l’ardeur de ses dirigeants et de ses militants. Puisque Marine Le Pen participera très probablement au deuxième tour en 2017, pourquoi ne remporterait-elle pas la victoire décisive ?

Laissons de côté l’arithmétique électorale, la critique de la thématique frontiste faite par ailleurs (1) et cette indignation morale qui n’a jamais rien empêché, pour envisager froidement l’hypothèse à la manière d’un kriegsspiel politique.

Si Marine Le Pen entre à l’Elysée, que fera-t-elle ? En supposant que tous les habitants de notre pays gardent un calme olympien – ce qui serait très étonnant – la présidente du Front national devra faire campagne pour gagner les élections législatives car la victoire d’un des partis oligarchiques la conduirait à se soumettre ou à se démettre. Nous sommes, on l’oublie trop souvent, dans un régime parlementaire et le gouvernement doit disposer d’une majorité stable à l’Assemblée nationale. Mais nous sommes aussi dans un système médiatique et politicien où le discours autocratique fait prime : le candidat se présente comme s’il était lui-même législateur omnipotent. Ce qui pose aux frontistes deux problèmes : celui du Front national ; celui de Marine Le Pen.

Des candidats comme Nicolas Sarkozy et François Hollande ont pu faire mille promesses qui relèvent du pouvoir législatif car nombre d’électeurs supposaient que l’UMP ou le Parti socialiste remporterait les élections législatives. Ce qui se produisit. Les partis de gouvernement ont été la solution du problème : ils ont permis au candidat élu de gagner son pari – car ce n’est qu’un pari.

Or le Front national n’est pas la solution, mais le problème. C’est un parti d’électeurs, qui dispose de très peu de cadres et qui est divisé. En gros (2), je vois trois groupes fortement opposés :

–          Autour de Jean-Marie Le Pen et de Bruno Gollnisch, les « vieilles chemises » de l’extrême-droite qui cultivent le nationalisme xénophobe.

–          Autour de Florian Philippot, très présent dans les médias, un courant néo-gaulliste ou supposé tel qui défend les services publics et réclame le retour à la monnaie nationale sans insister sur l’immigration.

–          Autour d’Aymeric Chauprade, un courant qui milite pour le « choc des civilisations » : on y dénonce le « remplacement » de la « population historique » française « par une population en majorité africaine et musulmane » et on prépare la « grande séparation » : « Notre pays a accueilli des millions de musulmans. Une partie restera, une autre devra partir » (3).

Bien entendu, on peut affirmer que tous les grands partis sont divisés en tendances et que cela ne les empêche pas de gagner des élections et de gouverner : il suffit que le chef du parti passe verbalement des compromis assortis de distributions de postes. Mais le Front national n’est pas un parti gestionnaire : il clame haut et fort son opposition radicale à « l’UMPS ».

Or Marine Le Pen n’est pas la solution, mais le problème. Comme les autres chefs de partis, elle fédère dans ses discours les tendances contraires – selon la tactique politicienne qu’elle condamne. Mais elle ne peut espérer se maintenir par des compromis car toutes les tendances du Front national proposent des ruptures radicales : sortie de la zone euro, nettoyage ethnico-religieux, rejet des élites… Ces radicalités juxtaposées permettent de rassembler le jour du scrutin des électorats très différents en jouant au législateur qu’on ne sera pas. Mais ces discours radicaux donnent des arguments solides à ceux qui disent que le Front national n’a pas changé. Cette argumentation est d’autant plus percutante que Marine Le Pen, à cause de son nom, continue de porter tout l’imaginaire négatif incarné par son père. Si elle est élue en 2017, elle suscitera des réactions violentes que son parti ne pourra pas contrôler et qui ruineront son projet de rassemblement.

Le congrès de Lyon parviendra-t-il à surmonter ces contradictions ? Il est permis d’en douter.

***

(1)   On retrouvera sur mon blog mes principaux articles critiques et notamment ma Lettre ouverte à Marine Le Pen de mai 2013.

(2)   Pour une analyse fine, cf. l’analyse d’Olivier Dard dans Causeur, n° 18, novembre 2014.

(3)   Manifeste pour une nouvelle politique internationale de la France, 11 août 2014.

 

 

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3 Commentaires

  1. CRIBIER

    Dans l’hypothèse que vous évoquez, d’une présidence de Marine le Pen, et même si l’on voit mal celle-ci devenir ou accepter d’être, l’arbitre de nos institutions, il est faux de dire qu’un Président de la Vème République, n’ayant pas une majorité parlementaire constituée du seul parti politique dont il serait issu, ne peut que se soumettre ou se démettre. Dans ce cas, et l’histoire l’a prouvé, il y a cohabitation car nous ne sommes pas sous la IIIème République. Que Marine le Pen, dans cette hypothèse refuse la cohabitation et se démette en démissionnant, ou qu’elle l’accepte en ne pouvant faire appliquer le programme du Front national, c’est différent.
    La Vème République fonctionne déjà suffisamment comme un régime présidentiel, alors qu’il n’y a pas de séparation stricte des pouvoirs entre l’exécutif et le législatif comme aux Etats-Unis et que de surcroît le Président de la République est politiquement irresponsable, pour ne pas abonder dans cette caricature anticonstitutionnelle qui voudrait que comme sous la IIIème République, le Président élu soit obligé de se soumettre ou de se démettre en cas de contradiction entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire. Que ce soit pour Marine le Pen ou pour tout autre personne occupant la Présidence de la République. Après, il peut aussi s’agir d’un problème de légitimité, mais dans ce cas celui-ci doit être clairement évoqué.

    • OLIVIER COMTE

      Je voudrais rapprocher les deux points de vue.
      Cribier a raison pour la pratique constitutionnelle, mais celle-ci n’ a intéressé qu’un Président désavoué par le corps électoral durant un mandat de sept ans.
      L’ analyse de Bertrand Renouvin porte sur le conflit, dans une période courte, entre le Président et la nouvelle Assemblée Nationale. Le Président n’ a qu’un pouvoir constitutionnel de nuisance. Le viol permanent de la Constitution ne se fait que par la bonne volonté perverse du gouvernement. Les citoyens
      sont habitués à ce rôle présidentiel de législateur omnipotent , suivant l’ excellente formule de BR.
      Nous connaissons deux exemples modernes de législation sans Parlement: la France de Vichy qui avait usurpé illégalement le pouvoir législatif et la Suisse de la deuxième guerre où la plus grande part de la législation était le fait du Conseil Fédéral qui y avait été autorisé par les deux assemblées fédérales.

      Le problème du FN, héritier de Vichy, favorisé par toutes les manoeuvres récentes pour innocenter Vichy, est qu’il peut difficilement se débarrasser de sa culture anti-parlementaire, particulièrement après une campagne présidentielle qui ne peut qu’entretenir l’ illusion du régime présidentiel.
      La campagne parlementaire du FN devrait donc soutenir l’ autorité de l’ AN, politique rendue difficile par les idéologies et les appétits divergents à l’ intérieur du FN.
      Ce serait donc après une deuxième campagne électorale portée
      principalement sur un soutien parlementaire à la nouvelle Présidente que le FN devrait pratiquer une cohabitation après un échec. Le FN n’a pas la souplesse idéologique et l’expérience du PS et de l’ UMP. La soumission ou la démission définiront la situation.

      La seule chance de la République est cette opposition entre la pseudo discipline républicaine qui serait invoquée par la droite au deuxième tour présidentiel et la pratique habituelle des ententes électorales entre la droite et l’ extrême droite. La solution républicaine serait évidemment une dissolution de l’ AN avant l’ élection présidentielle, restaurant le calendrier électoral modifié par l’ ambition politicienne d’ un Premier ministre socialiste.

  2. cording

    Si le FN et Marine le Pen sont les problèmes, alors comment les résoudre?

    Le Front national n’a que la culture du chef c’est donc Marine Le Pen qui dicte la ligne politique et il n’est pas dit que les 3 composantes du FN aient toutes le même poids en interne et électoralement. L’actuel succès du FN version Marine Le Pen est dû à la ligne Philippot qu’elle impulse notamment depuis son élection à la tête du parti.

    Il n’est écrit nulle part que l’élection de Marine Le Pen à la Présidence en 2017 n’entraine pas l’élection d’une majorité parlementaire favorable étant donné l’impact de cette élection. En effet le choc de la défaite des candidats de l’oligarchie voire la déroute de la gauche et de l’état déliquescent de la droite donc des ralliements suffisants peuvent y pourvoir. Peuvent-ils combler la faiblesse structurelle du FN ? Seront-ils vraiment en mesure de gouverner ?
    L’élection de Marine Le Pen est porteuse de gros risques pour notre pays et il n’est pas sûr du tout que les Français y soient prêts, d’autant plus que, comme le souligne Emmanuel Todd, l’âge moyen du corps électoral ne se prête pas à une telle « révolution », il le porte plus à l’indéfinie conservation du système oligarchique.