Dans la nasse

Juin 14, 2010 | Economie politique

Ils se préparent pour 2012 (Nicolas Sarkozy, Martine Aubry…) ; ils enfument (François Fillon, Christine Lagarde) ; ils « gèrent » avec un mépris parfait du peuple, des juges (Brice Hortefeux, condamné pour propos racistes, qui n’envisage même pas de démissionner). En bref, ils s’accrochent. Mais ils sont dans la nasse – et les plus lucides savent qu’ils ne sortiront pas de la crise violente et multiforme qui emporte l’Europe de l’Ouest et les Etats-Unis.

Les économistes hétérodoxes en apportent maintes démonstrations mais, cette fois, je ne les prendrai pas pour référence. Au contraire, je conseille la lecture de la presse financière quotidienne : on y trouve des analyses qui témoignent d’un réel souci pédagogique et des aveux d’autant plus impressionnants qu’ils sont faits par des défenseurs patentés de l’orthodoxie économique et financière.

Ainsi la chronique que Jean-Marc Vittori a publiée dans Les Echos du 25 mai (1) parce qu’elle permet de comprendre la raison unique et déterminante de l’austérité imposée plus ou moins violemment par les gouvernements de droite et de gauche. Laquelle ? Mais tout simplement « la quête du AAA ». En clair : les Etats doivent à tout prix conserver l’appréciation excellente qui leur est attribuée par les agences de notation – alors qu’ils se sont lourdement endettés en 2009 pour relancer l’activité économique. Afin de réduire leurs déficits, ils mettent en vente des titres sur les marchés financiers, spéculatifs par définition. Or ces spéculateurs pensent que la croissance est trop faible pour financer le remboursement des emprunts publics : « derrière, ça tourne à l’angoisse métaphysique, car l’Etat constitue la dernière barrière de protection. Elle avait tenu dans les années 1930. Elle risque de sauter cette fois-ci. Et, derrière, il n’y a plus personne pour sauver le monde. Dieu est mort et les banques centrales ne vont pas très bien ».

Tiens donc ! L’Etat, réputé malfaisant par les ultralibéraux, redevient notre ultime protection ! Mais les gouvernements ont aujourd’hui à faire face à de redoutables défis. Pour emprunter au moindre coût, ou pour pouvoir continuer à emprunter, ils doivent préserver leur AAA : « A la quête du Graal a succédé l’obsession du AAA. En France, c’est ce motif caché qui explique tous les grands mouvements de politique économique de ces derniers mois : la décision d’avancer enfin sur le dossier des retraites, le gel des dépenses publiques, l’adoption d’une règle budgétaire ».

L’analyse de Jean-Marc Vittori a été confirmée le 30 mai par François Baroin, ministre du Budget :

« L’objectif du maintien de la note AAA […] conditionne pour partie, en effet, les politiques d’économie que l’on souhaite avoir ». La restriction (« pour partie ») est effacée par le consternant aveu du ministre : « […] au début des années 1980, 80% de l’accès au crédit qui permettait de financer ses projets pour une entreprise, un particulier ou un Etat se faisait auprès des banques ou des banques centrales. Aujourd’hui 80% de l’accès à ces crédits pour financer nos investissements s’effectue auprès du marché ». Il me suffit maintenant de résumer :

1/ L’oligarchie française (entre autres) est, par sa faute, à la merci des spéculateurs.

2/ Elle s’est délibérément placée sous la surveillance d’agences de notation privées qui n’ont aucune crédibilité car elles veulent surtout gonfler leur propre chiffre d’affaires comme l’a révélé récemment un ancien dirigeant de Moody’s.

3/ En gelant les dépenses publiques, en baissant les retraites, en comprimant les salaires des classes moyennes et populaires, notre « gouvernance » nous expose d’autant plus à la récession que nos voisins ont pris des mesures de déflation plus ou moins sauvages. Mais si Nicolas Sarkozy va trop loin dans la rigueur, il risque fort de perdre la présidentielle. Et s’il est trop mou, c’est le triple A qui sera perdu. Petit piège dans le grand !

4/ La Banque centrale européenne, la Commission, le FMI, le G7 et le G20 ne sont d’aucun secours : la moindre réforme, à supposer que les puissants s’accordent, demande des mois ou des années, alors qu’un mouvement spéculatif se déchaîne en quelques heures.

Le piège est refermé. Ça sent la mort.

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(1) Sauf indication contraire, toutes les citations sont tirées de cet article.

Editorial du numéro 972 de « Royaliste » – juin 2010

 

 

 

 

 

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