De la Résistance à la révolution ?
30 lundi Déc 2019
Écrit par Bertrand Renouvin dans la lutte des classes
Mots clés
Alain Supiot, Banque mondiale, Emmanuel Macron, flexibilité, France libre, justice sociale, mobilité, Parti des politiques, réforme des retraites 2020, syndicalisme, ultralibéralisme
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Dans le très remarquable entretien qu’il a accordé à France culture le 18 décembre (1), Alain Supiot explique que la doctrine néo-libérale en matière de retraites avait été formulée en 1994 par la Banque mondiale. L’un de ses rapports recommandait de supprimer les systèmes à prestations définies – par lesquels on sait ce que l’on va toucher – par des systèmes à cotisations définies dans lesquels on sait ce que l’on donne mais pas ce que l’on recevra. Puis la Banque mondiale expliquait qu’il fallait développer les retraites par capitalisation, faute de pouvoir supprimer les retraites par répartition auxquelles les peuples sont attachés. Ceci afin de développer les fonds de pension qui stimulent la Bourse.
Emmanuel Macron se pose en innovateur alors qu’il s’est contenté de reprendre, dans la confusion, des prescriptions vieilles d’un quart de siècle. Ce recopiage brouillon ne diminue en rien la nocivité du dispositif que le gouvernement tente de mettre en place. Cette réforme n’est pas seulement inopérante quant à ses objectifs et injuste dans sa conception. Les textes actuellement bricolés dans le milieu dirigeant s’inscrivent dans un projet général de destruction des services publics, de bradage de l’industrie nationale, de démantèlement de l’Etat et de dislocation sociale dont la nation et le peuple français, parmi tant d’autres, sont victimes.
Après France télécom, c’est la SNCF qui va être privatisée. Après Alstom, c’est Latécoère qui passe sous contrôle américain. On voit des gens de finance venir occuper des postes stratégiques dans l’Etat, comme Marie-Anne Barbat-Layani, directrice générale de la Fédération bancaire française, qui est nommée secrétaire général des ministères économiques et financiers.
La volonté de dislocation sociale se concrétise dans les réformes successives des retraites, d’Alain Juppé à Edouard Philippe, dans les lois facilitant les licenciements en 2008, 2013 et 2016, dans la réforme du code du Travail en 2017. Peu à peu, les oligarques de droite et de gauche ont imposé la flexibilité du travail, accru la précarité des travailleurs, appauvri les chômeurs et cherchent à détruire le maximum de protections statutaires. Il s’agit d’isoler les individus, de les rendre “mobiles” sur le marché du travail afin qu’ils soient employables en tout temps, en tous lieux et aux conditions fixées par les patrons. A la circulation permanente du capital doit correspondre la rotation incessante des hommes sous prétexte qu’ils n’ont pas le choix à cause de l’euro, de la concurrence chinoise et de la mondialisation…
Cette violence faite aux hommes et aux sociétés récuse radicalement la justice sociale qui est le principe et la finalité de la vie en commun. La mobilisation contre la réforme des retraites est l’une des phases de la longue bataille menée par le syndicalisme de résistance (CGT, FO, Sud) contre la mise en place des dispositifs ultralibéraux. Cette bataille s’inscrit dans un mouvement plus général de révolte, qui entraîne maints citoyens et dont les Gilets jaunes sont la pointe avancée. Mais pour passer à l’offensive, il faudrait des promesses concrètement énoncées selon une vision générale de la société à reconstruire et à développer d’une autre manière. Il n’y a rien de tel aujourd’hui dans un espace politique encombré de partis naufragés, impuissants ou fictifs. Faudrait-il se résigner aux luttes sans perspectives ?
Nous savons quant à nous qu’une “contre-société” militante s’est forgée depuis une trentaine d’année. Ses intellectuels de référence ont été éliminés des principaux médias ou n’y paraissent que par intermittence mais qu’importe puisque la réflexion, intense, se mène sur des blogs et se diffuse par les réseaux sociaux. Nous nous souvenons que la bataille du référendum de 2005 a été gagnée sur la Toile et nous constatons que les analyses diffusées hors médias ont été décisives dans le rejet massif de la réforme des retraites. Les idées directrices se forgent dans les séminaires de recherche, se publient sous forme de livres et d’articles dans cette partie de la presse écrite qui est encore libre, se diffusent immédiatement dans tous les milieux. La critique radicale du néo-libéralisme, de l’Union européenne, du capitalisme financier, de l’oligarchie… est en train d’engendrer des propositions qu’il est possible d’articuler en un ensemble cohérent, révolutionnaire au sens qui était donné à ce terme par le général de Gaulle et la France libre. Conçue à Londres puis à Alger, la révolution accomplie à la Libération doit être poursuivie selon les principes qui l’ont inspirée, reprise dans ce qu’elle a manqué mais aussi réinventée pour que la France puisse affronter les immenses défis de notre siècle.
D’innombrables citoyens forment aujourd’hui cet “intellectuel collectif” qui est prêt à former le parti des politiques, celui de la nation et de l’Etat. Il leur manque, il nous manque celui ou celle qui incarnera le rassemblement et exprimera la nouvelle ambition collective.
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(1) La grande table idées : « Dans un monde réellement humain, comment et pourquoi travailler ? ».
Editorial du numéro 1180 de « Royaliste » – Décembre 2019
3 commentaires
31 décembre 2019 à 10:08
Cette analyse est juste dans son ensemble, sauf au sujet de ce qui nous manque: selon moi, ce n’est pas « celui qui incarnera le rassemblement et exprimera la nouvelle ambition collective »: aujourd’hui, ces contestations et analyses qui ont lieu en ordre dispersé sur la toile ont le défaut de rester œuvres logiques d’imagination intelligente: or, il existe déjà, en même temps, des tentatives concrètes de résister en économie: ces tentatives sont le fait de personnes que quelque chose d’essentiel oppose à l’idéologie « néo-libérale » capitaliste; ces personnes ne sont pas toutes, loin de là, des exclus de l’école ou du lycées; au contraire, on trouve parmi eux des bacheliers, des diplômés de divers niveaux de l’enseignement supérieur et de diverses disciplines, agronomie notamment, mais aussi gestion, parfois même management, ce qui constitue autant de claques à l’idéologie capitaliste dominante, qui a conçu ces enseignements, notamment ceux de gestion, pour fournir les cadres de la victoire définitive du capitalisme sur la revendication ouvrière, les croque-morts de la revendication de socialisme!… Donc à mes yeux, ce qui manque à l’élaboration d’une revendication anti-capitaliste populaire globale, c’est l’intégration critique de toutes ces expériences, qui aurait déjà pour intérêt de mettre au niveau de toute notre société l’œuvre logique d’imagination intelligente en présence de la critique que doit leur apporter la réalité concrète!…
31 décembre 2019 à 12:47
L’auteur de » Derniers jours avant la révolution » aurait-il enfin raison ?
1 janvier 2020 à 11:42
Il y a un angle mort terrible dans cette analyse : l’absence de la question UE-ropeenne. Ce nonuit résonne d1 écho fracassant ! Pas de lutte cohérente qui n’intègre la sortie de l’UErope car celle-ci n’incarne pas seulement le neoliberalisme mais aussi et surtout l’évidement de la démocratie et des nations soit la déconstruction des souverainetés et du politique ! (soi-disant pour nous restituer la democratie quand la messe aura été dite, que tout aura été liquidé et qu’il n’y aura plus rien à decider ! 😄😕)
Dans ces conditions la prétendue prétendue resistance sociale est soit hypocrite soit impotentes du fait de cette contradiction interne latente ! Voire les deux ! ?
De part et d’autre de la bataille il semble bien que la dimension idéologique l’emporte sans coup férir sur l’impératif démocratique. Or le véritable révolution ne serait-elle pas à ce niveau du politique précisement ? La démocratie n’est-elle pas le garant par excellence (sa condition premiere) du politique ?
Il semble que cette question pourtant centrale et les conditions de sa faisabilité ne préoccupe guère nos guérilleros plus préoccupés d’imposer leur conception du monde que d’élaborer un cadre conceptuel pour le progrès de la démocratie …