De Pierre Mendès France à Pierre Bérégovoy

Oct 30, 2012 | Res Publica

Pierre Mendès France et Pierre Bérégovoy ont mené des vies à tous égards exemplaires. Mais l’honneur ne préserve pas des erreurs politiques sur lesquelles l’homme d’Etat est finalement jugé.

A l’heure où prolifèrent les pâles voyous en col blanc, les corrompus de haut vol et les cyniques de toutes catégories, nous voudrions retrouver des dirigeants qui se distingueraient par leurs qualités personnelles – moralité, intelligence, connaissances – et qui occuperaient de hautes fonctions avec l’humilité qu’impose le service de l’Etat.

Pierre Mendès France sous la IVème République et Pierre Bérégovoy sous la Vème furent effectivement l’honneur de la politique (1), attesté par leur courage et leur honnêteté. Tous deux participèrent à la Résistance : l’un comme aviateur dans les FFL puis comme capitaine du groupe Lorraine avant de devenir Commissaire aux finances à Alger, l’autre comme combattant des FFI à Rouen. Tous deux ont servi tout au long de leur vie la gauche telle qu’ils la concevaient. A l’exception de l’extrême droite, Pierre Mendès France était apprécié de tous et nous nous souvenons pour notre part que le défunt comte de Paris le tenait en haute estime. Pierre Bérégovoy était lui aussi respecté par ses adversaires – peut-être plus que par certains grands bourgeois socialistes qui n’ont jamais songé à se suicider après un échec.

L’hommage rendu aux grandeurs naturelles ne peut cependant tenir lieu de jugement politique. Hélas, la rectitude morale et le courage personnel ne garantissent pas la pertinence des choix politiques. De mon point de vue, assurément discutable, Pierre Mendès France a eu tort de préconiser une politique de rigueur en 1945 et il a su démissionner faute d’avoir pu emporter la conviction du général de Gaulle. Surtout, l’histoire a donné tort à Pierre Mendès France, campé dans une opposition rigide à cette Vème République qui a permis et qui permet encore à la gauche de diriger le pays. La victoire de François Mitterrand en 1981 et son acceptation de notre monarchie élective marqua la défaite, pathétique, d’un homme de grande valeur.

Disciple de Pierre Mendès France dans le domaine économique et financier, Pierre Bérégovoy a cru lui aussi au « tournant de la rigueur » qui marque le début de la fin d’une politique économique qui avait assuré le redressement puis le développement de la France. Ministre des Finances, cet homme qui incarnait par ses origines sociales et ses engagements un socialisme authentique a été emporté par la frénésie de laisser-faire qui a aboutit aux catastrophes en cours. Il fut aussi embarqué dans une aventure européiste que la France ne parvint plus à maîtriser dans les années qui suivirent la chute du Mur de Berlin. Jacques Delors, évoqué avec faveur par Régis Paranque, fut l’artisan tenace mais foncièrement rêveur de cette construction bancale qui s’effondre sous nos yeux faute d’avoir été le résultat d’un projet politique solidement articulé sur la réalité des nations.

Premier ministre d’avril 1992 à mars 1993, Pierre Bérégovoy eut le courage de faire front, dans un climat de déroute alourdit par les scandales financiers. Régis Paranque assure qu’il était resté fidèle à ses convictions : patriote français, socialiste, internationaliste et européen convaincu. Cette fidélité indéniable est partagée par bien des socialistes qui ne voient toujours pas les faiblesses et les contradictions de proclamations cohérentes sur le papier. La politique de juste redistribution des richesses et la protection sociale ne peuvent être conçues et mises en œuvre que dans le cadre national – qui est celui de la vie démocratique. C’est très bien de dire après Jacques Chaban-Delmas qu’il faut « construire l’Europe sans défaire la France » mais cela suppose une France forte dans tous les domaines et capable de montrer sa force car l’Europe ne pourra jamais faire l’impasse sur les différences et divergences d’intérêts nationaux. En 1992, Pierre Bérégovoy et ses amis pouvaient encore penser que l’aventure supranationale pouvait être tentée. Vingt ans après, le pari ne peut plus être tenu.

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(1) Régis Paranque, De Mendès France à Bérégovoy, L’honneur en politique, Pascal Galodé éditeur, 2011. Préface de François Hollande.

Article publié dans le numéro 1021 de « Royaliste » – 2012

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