Régis Debray a raison de souligner « l’inquiétant oubli du monde » (1). On s’accommode de la diplomatie du candidat sortant : « désastreuse banalité » de l’atlantisme, de l’européisme, de l’ethnicisme, de l’urgentisme. Si François Hollande est élu, on risque de rester sur la même pente mais en montrant sa différence par un retrait d’Afghanistan avant la fin de l’année. Tout de même : « qu’il ait fallu dix ans à nos socialistes pour prendre leurs distances envers l’occupation militaire de l’Afghanistan, où l’inepte le dispute à l’inique, n’est pas de bon augure ». Nous souscrivons d’autant plus fermement aux propos de Régis Debray que nous nous sommes opposés dès le début à la participation française à cette guerre conçue et menée de manière imbécile par les Américains et perdue par les Américains dont nos soldats sont devenus les supplétifs (2).

Il faut donc partir vite, très vite, d’Afghanistan. Mais pas n’importe comment. Le retrait des troupes françaises, admirables dans cette épreuve, ne doit pas être un adieu à l’Asie centrale. Au contraire. Une nouvelle diplomatie, libérée de l’atlantisme et de l’urgentisme, se débarrassant de la fiction du pilier européen de l’OTAN et de la doctrine américaine de la guerre, peut et doit se fixer de nouveaux objectifs à la dimension de l’Europe continentale et des menaces qui pèsent sur ses nations. D’Est en Ouest, toute l’Europe est exposé aux ravages de la drogue et aux menées islamistes. Si nous voulons, hors de toute démagogie, mener la guerre contre les trafiquants et résister à la subversion islamiste, nous devons avoir une claire vision géopolitique des enjeux.

A de nombreuses reprises, nous avons insisté sur l’importance décisive de l’Asie centrale et sur le nouveau Grand jeu qui oppose les grandes puissances dans cette région longtemps restée sous tutelle russe puis soviétique. Nous avons beaucoup travaillé, beaucoup consulté. Et nous sommes heureux de voir que le colonel Cagnat ouvre de nouvelles perspectives. Dans trois articles (3), cet excellent connaisseur de l’Asie centrale montre comment l’Armée française peut se redéployer, avec l’accord des Etats de la région, pour accomplir de nouvelles missions. Lesquelles ?

L’échec politique et militaire des Américains en Afghanistan va maintenir ce pays en état de guerre et d’anarchie pendant de très nombreuses années. Les récentes infiltrations de groupes islamistes armés sur le territoire d’Etats voisins fait peser un risque de déstabilisation d’autant plus grand que certaines jeunes républiques (Kirghizstan, Tadjikistan) sont politiquement fragiles. Ces risques sont d’autant plus sérieux que les puissantes mafias de la drogue qui s’approvisionnent en Afghanistan peuvent accroitre l’instabilité – par exemple en attisant les rivalités ethniques – afin de commercer plus librement sur l’ancienne route de la soie devenue route de la drogue. Comme ces mafias qui alimentent les villes européennes sont liées aux islamistes, Paris, Londres, Madrid et Moscou sont confrontés aux mêmes périls. Les analyses précises de René Cagnat montrent que nous pouvons et devons coopérer avec les gouvernements centre-asiatiques et avec l’armée russe pour empêcher une afghanisation de l’Asie centrale et pour briser les mafias. Cette action doit être menée à la frontière afghane, le long de la rivière Piandj.

Les articles du colonel Cagnat doivent être étudiés par les candidats qui veulent en finir avec les dérives sarkozystes. Nous ajoutons pour notre part que l’action diplomatique et militaire de la France gagnerait en cohérence et en crédibilité si le futur gouvernement français décidait de quitter définitivement l’OTAN, de renforcer les moyens de notre Armée en hommes et en matériels et de développer la coopération économique au sein de la grande Europe (4) afin que la France soit en mesure de mener, avec la Russie et les autres nations européennes, sa mission de protection du continent.

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(1) Le Monde, 15 mars 2012.

(2) Cf. sur mon blog ma chronique du 17 janvier 2011 : « Sortir de la guerre américaine » : https://bertrand-renouvin.fr/?p=2902

(3) Revue de Défense nationale, janvier, février, mars 2012. Les articles peuvent être consultés sur le site Theatrum belli : http://www.theatrum-belli.com/archive/2012/02/04/opinion-afghanistan-danger-de-mort-1-2.html

(4) Cf. nos propositions sur la politique de défense nationale et l’organisation d’une confédération européenne sur le site : narinfo.voila.net/

Editorial du numéro 1010 de « Royaliste – 2012

 

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