De droite, de gauche et du centre, des voix officielles nous répètent que « l’Europe, c’est la paix ». C’est là le premier argument, et l’ultime, qui permet de foudroyer l’adversaire. Car si l’Europe est la condition de la paix, il faut en déduire que la fin de l’Europe nous conduira à la guerre !

La déduction serait d’une implacable logique si la prémisse du raisonnement était fondée. Or le premier mot recèle une imposture. « L’Europe » du discours officiel n’est qu’une fraction d’Europe, celle des traités qui définissent l’Union européenne. Cette vision étriquée est à l’opposé de la conception politique de l’Europe comme réalité politique forgée par la dialectique des Etats nationaux et des puissances impériales. Une collectivité politique est européenne quand elle participe à l’équilibre européen quels que soient sa religion, officielle ou historique, et son mode de gouvernement. L’équilibre européen implique nécessairement la Russie, quoiqu’on pense du Tsar et de Vladimir Poutine – et la Turquie quoi qu’on pense des Ottomans et de Recep Erdogan.

Quant à sa courte histoire, l’Union européenne ne signifie pas la paix : son ancêtre le Marché commun est l’enfant de la Guerre froide, établi dans une Europe occidentale placée depuis 1949 sous protectorat américain. Ce n’est pas cette fraction d’Europe qui a préservé la paix, mais l’équilibre de la terreur nucléaire entre les Etats-Unis et l’Union soviétique – la France assurant son indépendance par sa propre force nucléaire de dissuasion. L’imposture sur l’Europe s’accompagne d’un mensonge géostratégique : cette « Europe » qui n’est pas toute l’Europe n’a jamais été la condition de la paix.

Qu’on ne nous dise pas que ce passé « européen » d’acteur soumis à l’un des deux Grands est privé de sens depuis l’effondrement soviétique ! Après 1989, d’innombrables Européens ont célébré les retrouvailles des deux moitiés de l’Europe continentale et voulu construire un ensemble commun. Selon cette perspective, François Mitterrand lança l’idée gaullienne de Confédération européenne. Ce grand projet fut trop vite abandonné et l’Union européenne resta un protectorat américain. Certes, la France faisait valoir son indépendance militaire mais ses élites adhéraient bruyamment à la conception américaine de la guerre : guerre du Bien contre le Mal, impliquant l’anéantissement de l’adversaire, au contraire de la conception européenne de la guerre qui est faite en vue d’assurer la paix par l’équilibre des forces.

Il était logique que le protectorat américain en vienne à faire des guerres à l’américaine, hors d’Europe mais aussi sur le continent européen. Souvenons-nous de l’agression qui frappa la Yougoslavie, voici tout juste vingt ans. L’Union européenne – et la France plus particulièrement – avait été incapable d’empêcher le déclenchement de guerres civiles dans lesquelles l’Allemagne joua les boutefeux. Puis l’impuissance se mua en frénésie guerrière. On vit les « nouveaux philosophes », la « gauche morale », les écologistes et « Le Monde » alors dirigé par Edwy Plenel se déchaîner contre la Serbie, répandre les mensonges éhontés de la propagande atlantiste (1) et soutenir à grand bruit l’intervention aérienne de l’Otan commencée le 24 mars 1999.

Pendant les soixante-dix-huit jours que dura la campagne de bombardement, « l’Europe » – l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie, la France – fit la guerre à notre grande colère. « L’Europe » fit la guerre au mépris du Conseil de Sécurité ; elle fit la guerre sous commandement américain dans le cadre de l’Otan, alliance défensive s’acharnant sur un Etat qui ne menaçait aucun de ses membres. Cette « guerre morale » fut une guerre contre le droit au cours de laquelle les militants humanitaires assistèrent, devant leur poste de télévision, au bombardement de Belgrade, de Novi Sad, de Podgorica… sans même protester contre l’emploi de tonnes de munitions à uranium appauvri et à effet cancérigène garanti. « L’Europe » fit la guerre et cette guerre eut pour conséquence le démantèlement de la République fédérative de Yougoslavie, Etat souverain, sans que la cause de la démocratie et des droits de l’homme ait progressé dans la partie indépendante du Kosovo.

Quand on nous dit que « l’Europe, c’est la paix », souvenons-nous de la Yougoslavie.

***

(1)    Cf. Serge Halimi et Pierre Rimbert : « Le plus gros bobard de la fin du XXème siècle », Le Monde diplomatique, avril 2019, page 5.

Editorial du numéro 1165 de « Royaliste » – avril

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2 Commentaires

  1. Franck Boizard

    100 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} d’accord.

    Nous sommes quelques uns à ne pas oublier que la Serbie fut, ô combien, notre alliée.

  2. Méc-créant

    Oui: en mémoire de la Yougoslavie. Merci de le rappeler. Quelle belle Europe de la paix qui a tenu à écraser ce pays, si ignoble, pensez donc: multi-ethnique, multi-religieux, laïque, garni de communautés différentes vivant ensemble. Belle et grande « justice » « européenne » laissant mourir en prison Milosevic avant d’être obligée de reconnaître –dans un silence assourdissant– qu’aucune des accusions portées contre lui n’étaient justifiées. Belle Europe de la paix qui a pu livrer en bombes recommandées et irradiées…la « démocratie » mafieuse au Kosovo. Et pourquoi évoquer Libye, Syrie, Irak…L’OTAN ne suspend pas ses vols!…
    Méc-créant.