Jacques Chirac avait dénoncé la « fracture sociale » sans chercher à la réduire. Aujourd’hui, c’est pire. De nouvelles fractures territoriales et culturelles sont apparues, qui menacent notre existence collective.

Les oligarques français devraient lire très attentivement le nouvel ouvrage de Christophe Guilluy (1). Pour eux, comme pour nombre de citoyens appartenant aux couches supérieures, les analyses de ce géographe, auteur en 2004 d’un très remarquable atlas des nouvelles fractures sociales (2) devrait être un choc salutaire. C’est toute leur représentation géopolitique du territoire national, toute leur idéologie sociale du consensus, tout leur discours sur la défense et la promotion du modèle républicain qui est contestée – le modèle national auquel nous tenons étant sacrifié aux logiques mondialistes et communautaristes.

L’opposition entre la ville paisible et les banlieues ou « quartiers difficiles » habitées par des jeunes issus de l’immigration et transformées en « ghettos » à l’américaine arrange la classe dirigeante et les grands partis : la droite brandit l’étendard sécuritaire et la gauche fait dans le compassionnel. Or les quartiers sensibles ne regroupent que 7{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de notre population alors qu’ils sont l’objet d’une inflation de clichés médiatiques et de crédits – considérables – versés au titre de la politique de la ville. Ces« zones de non-droit » sont en outre visitées régulièrement par les autorités : en 2008, la Seine-Saint-Denis a enregistré 174 déplacements ministériels ! Et Christophe Guilluy de souligner que « souvent présentées comme culturellement reléguées, ces quartiers sont en réalité au cœur de la dynamique de mondialisation des métropoles ». Il est vrai que les quartiers sensibles connaissent le chômage, l’insécurité et l’économie souterraine mais il faut intégrer ces réalités dans des analyses plus vastes.

L’opposition entre les classes moyennes bien installées dans la société et les « minorités visibles » ne résiste pas non plus à l’observation. Ces classes moyennes découpées en tranches (inférieure, supérieure) ne ressemblent plus au groupe social des années soixante qui bénéficiait de la croissance et accédait à la propriété : la question du logement est dramatique, les revenus baissent et une large fraction des « Français moyens » tend à rejoindre les classes populaires. Et ces classes se découvrent « blanches » par opposition aux minorités « de couleur » qui font l’objet d’une discrimination positive – à vrai dire ethnique – conçue selon le modèle communautariste qui a la préférence des élites mondialisées.

Les classes populaires méprisées par le discours dominant (le « Beauf » comme repoussoir) sont devenues invisibles dans les médias et pour les habitants des grandes agglomérations car elles sont aujourd’hui reléguées à la périphérie urbaine et en milieu rural. Les ouvriers glorifiés par les intellectuels de gauche dans les années soixante ne figurent plus dans les « éléments de langage » des grands partis. Abandonnés par ceux-ci, ils sont toujours nombreux et bien vivants mais subissent de plein fouet la destruction du tissu industriel et toutes les difficultés – quant à l’enseignement, quant à la santé – des zones abandonnées. Cruellement, Christophe Guilluy montre que les classes supérieures et les classes moyennes aisées qui achètent des logements dans les quartiers ouvriers et qui votent rose ou vert avec une parfaite bonne conscience sont responsables de l’éviction des classes populaires vers les zones périphériques.

Ces fractures sociales et territoriales sont aggravées par des phénomènes d’ethnicisation précisément décrits et qui risquent de conduire à un « séparatisme » qui ruinerait le modèle national et aggraverait les conflits culturels qui existent déjà. Christophe Guilluy estime à juste titre que des débats et des combats effectivement politiques permettraient de conjurer ces périls. Mais ceux qui pensent comme lui sont marginalisés et seront exclus des prochaines campagnes électorales.

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(1) Christophe Guilluy, Fractures françaises, François Bourin éditeur, 2010.

(2) Christophe Guilluy, L’Atlas des nouvelles fractures sociales en France, Autrement, 2004.

 

Article publié dans le numéro 986 de « Royaliste » – 2011

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