Gilets jaunes : Les Indignés de l’hiver – par Christophe Barret

Nov 28, 2018 | Billet invité | 3 commentaires

 

Autun 24 novembre 2018

Autun 24 novembre 2018

En mai 2011, j’ouvrais un compte sur les réseaux sociaux de l’internet pour suivre l’émergence et le développement en Espagne du mouvement des Indignés. Un travail de collecte commençait, qui devait m’amener en 2015 à publier mon premier essai, Podemos, pour une autre Europe. Un espoir secret m’animait alors : trouver quelques recettes au même mal qui nous ronge. Pour le dire en un mot : l’appauvrissement généralisé de notre population.

L’espoir, pourtant, n’en finissait pas de s’évanouir, depuis. Mais voilà que survient notre incroyable printemps des Indignés, à nous Français, et que reprend par conséquent ma boulimie d’enregistrer les témoignages, les premières bonnes analyses… et de communiquer. Ces quelques lignes, comme celles sur Podemos, sont donc celles d’un Européen – historien de formation – qui aime à passer par-dessus les Pyrénées pour aller bien au-delà de ce qui nous divise. Les quelques phrases qui suivent ont pour seul objectif de tracer, dans l’urgence, les contours des points communs et les différences que je vois entre ce qui nous arrive à nous et ce que nos frères Espagnols avaient réussi à lancer en référence au petit livre de Stéphane Hessel.

Commençons par quatre différences. La première tient au calendrier et à l’espace. Notre printemps se déploie au début de l’hiver, saison a priori peu propice aux grands rassemblements. Nos rassemblements n’ont certes rien à voir avec les acampadas du mouvement de mai 2011 en Espagne. Seconde différence : aux campements permanents, nous nous sommes obligés de préférer les déambulations dans nos rues ou sur nos routes. Cela est dû à la présence d’innombrables ronds-points dans nos paysages urbains, à moins que ce ne soit le seul moyen que nous ayons trouvé pour ne pas être délogés trop facilement de l’espace public par les forces de l’ordre… Les troisième et quatrième différences tiennent à notre dimension humaine, comme « patrie » – j’utilise un terme qu’affectionnent, dès l’origine de leur mouvement, Pablo Iglesias et ses camarades. Il n’y a pas de guerre des drapeaux, chez nous. La res publica – c’est un royaliste de la NAR qui vous le dit !  – est une et indivisible et ses trois couleurs sont le bleu, le blanc et le rouge. Il n’y a pas, non plus, d’attaque contre un régime politique qui nous empêche de cibler l’essentiel – même si Jean-Luc Mélenchon et une partie de la France Insoumise plaident pour le passage à une VIème République. Nos slogans sont démocratiquement adressés à une politique et à son principal responsable. Notre peuple n’est donc pas à « construire ». Il est conscient de ce qu’il est et de son histoire. Quand il décide d’en avoir un, il défile sous son drapeau symbole de souveraineté nationale ou populaire. Je veux bien, pour l’instant, laisser le choix du terme à mes compatriotes.

En revanche, dans le moment historique que nous vivons, il y a deux choses essentielles pour l’avenir de la mobilisation en cours, qui se sont déjà produites en Espagne et que nous ne devons pas perdre de vue. La première est cet exercice de prise de parole auquel les Français se prêtent maintenant et auquel les Espagnols se sont livrés tout au long de l’année 2011 et que les fondateurs de Podemos, au premier rang desquels Íñigo Errejón (1), ont très bien compris. Pour les Français comme pour les Espagnols, il n’est maintenant plus question d’avoir honte de parler de ses difficultés quotidiennes. C’est le seul moyen de rassembler une majorité.  Plus honte de parler : oui, il devient impossible de boucler les fins de mois ! L’autre point commun, qui n’est encore qu’un vœu ardent en ce qui concerne mon côté des Pyrénées est la nécessité de donner, ici et maintenant, une traduction politique aux événements et aux 80 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} qui ont renoncé à voter à Evry le dimanche 25 novembre.

Christophe BARRET

(1) Voir le chapitre « Marx ressuscité » de mon essai, Podemos. Pour une autre Europe, éditions du Cerf, 2015.

 

 

Partagez

3 Commentaires

  1. jacques-andré Libioulle

    Le petit livre de Stephane Hessel a certes connu un grand succès, mais « l’indignation » ne suffit plus aujourd’hui, il faut passer de celle-ci à une compréhension et une lutte d’envergure.
    Edgar Morin, dans un opuscule intitulé « Pour une politique de civilisation » décrit bien comment les contradictions internes du capitalisme néo-libéral sont devenues destructrices.
    Cette analyse politico-sociologique, brève et lucide, pourrait il me semble nourrir une forme d’action libératrice, au-delà des sempiternelles barricades dont l’efficacité, en tous cas en macronie, reste discutable.

  2. PenArBed

    Vous écrivez : «Pour les Français comme pour les Espagnols, il n’est maintenant plus question d’avoir honte de parler de ses difficultés quotidiennes»
    Pour autant, la Noblesse d’État n’en a que faire et ça ne date pas d’aujourd’hui.
    L’Abbé Sieyès . discours du 7 septembre 1789.
    « Les citoyens qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volonté particulière à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants. »
    Pierre Joseph Proudhon, député en 1848
    – Les représentants du peuple n’ont pas plutôt conquis le pouvoir, qu’ils se mettent à consolider et à renforcer leur puissance. Ils entourent sans cesse leurs positions de nouvelles tranchées défensives, jusqu’à ce qu’ils réussissent à s’affranchir complètement du contrôle populaire. C’est un cycle naturel et que parcourt tout pouvoir : issu du peuple, il finit par s’élever au-dessus du peuple.
    – Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle Assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent.
    Pierre Bourdieu Le 12 décembre 1995 s’adresse aux grévistes :  »Cette noblesse d’État, qui prêche le dépérissement de l’État et le règne sans partage du marché et du consommateur, substitut commercial du citoyen, a fait main basse sur l’État ; elle a fait du bien public un bien privé, de la chose publique, de la République, sa chose. Ce qui est en jeu, aujourd’hui, c’est la reconquête de la démocratie contre la technocratie : il faut en finir avec la tyrannie des “experts”, style Banque mondiale ou F.M.I., qui imposent sans discussion les verdicts du nouveau Léviathan ( les “marchés financiers” ), et qui n’entendent pas négocier mais “expliquer” ; il faut rompre avec la nouvelle foi en l’inévitabilité historique que professent les théoriciens du libéralisme ; il faut inventer les nouvelles formes d’un travail politique collectif capable de prendre acte des nécessités, économiques notamment ( ce peut être la tache des experts ), mais pour les combattre et, le cas échéant, les neutraliser ».
    Il faut comprendre que rien ne changera sans des circonstances particulières d’où émergeront des Hommes d’État.

    • Christophe Barret

      Le constat de Sieyès a aussi été fait en Espagne, dès l’automne 2011, avec la victoire du PP aux élections législatives. La prise de conscience ne s’etait pas immédiatement traduite par une alternance politique. Sachons aussi en tirer des leçons.