Giscard et le « gouvernement de la peur »

Fév 7, 1980 | Chemins et distances

 

Peu de temps après son élection, M. Giscard d’Estaing annonçait aux Français qu’ils étaient désormais libérés du « gouvernement de la peur ». La formule était quelque peu obscure, mais enfin c’était une bonne nouvelle. Une ère de « démocratie paisible » s’annonçait, une société libérale et « décrispée » semblait devoir succéder à la tourmente de Mai 1968 et aux tensions engendrées par le « système Pompidou ».

Bien sûr, tout n’était pas parfait. Dans le Midi viticole et en Corse, le mécanisme des provocations et des répressions policières entraînait la mort d’hommes et de femmes. Petites « bavures » vite oubliées grâce à des médias domestiqués, spécialistes du détournement d’attention. Il faudra d’autres morts pour qu’on s’interroge à nouveau, pendant 48 heures, sur un malaise corse qui ne cesse pourtant de grandir.

Vivant depuis longtemps sous anesthésie, nous supportons sans douleur apparente les colères corses et lorraines, le chômage et l’inflation, les scandales et l’absence de tout projet. Mais voici que MM. Carter et Giscard nous réveillent, agitant devant nous le vieux spectre de la guerre. Finie, la décrispation. Il devient salutaire d’avoir peur, et de se serrer autour des rares hommes de sang froid qui tentent de maintenir une paix désormais précaire.

LA GUERRE ?

Mais de quelle guerre s’agit-il ? Et de quelle paix ? Il y a peu, le général Gallois rappelait que le monde, depuis trente ans n’avait connu que soixante jours de paix. La planète n’a cessé d’être secouée par les bombes, les grands empires n’ont cessé de s’affronter, cherchant à rafler les pions qui n’avaient pas été attribués. La guerre existe donc depuis longtemps, et nous traverserons des crises tant que les impérialismes soviétiques et américains mèneront leur politique d’agression, d’oppression et de rapine. Aussi la situation actuelle n’apparaît-elle ni plus ni moins dangereuse qu’au moment des premiers bombardements du Nord-Vietnam par les Américains, et évidemment moins tendue que pendant la crise de Cuba en 1962.

Alors, qu’on ne vienne pas nous raconter des histoires. La guerre, nucléaire et mondiale, dont on nous menace, n’est pas en question. Aucun Khrouchtchev n’a menacé Paris et Londres de représailles atomiques, comme en 1956 lors de l’opération de Suez. Aucune alerte, pas même de troisième catégorie, n’a été déclenchée par le Président américain, comme pendant la guerre du Kippour. Et les Etats-Unis se sont bien gardés de menacer l’Union soviétique d’une attaque nucléaire, lorsque les chars russes ont occupé Kaboul, pour la bonne raison que l’Afghanistan n’est pas dans leur camp depuis le coup d’Etat d’avril 1978. Mais en revanche, ils ont immédiatement annoncé que le Pakistan serait défendu, ce qui est une façon de dire aux Soviétiques qu’ils pouvaient aller jusqu’à ses frontières, mais pas plus loin.

Ces quelques remarques ne doivent pas inciter à l’indifférence. D’abord parce que les Afghans sont en lutte contre l’envahisseur et que leur victoire, n’en déplaise à Georges Marchais, serait celle de la liberté. Ensuite parce que, depuis la disparition du « gendarme iranien », toute cette région se trouve déstabilisée, sans doute pour longtemps. Mais l’avance soviétique en Orient n’a pas le caractère irrésistible que l’on dit. Non seulement parce que l’armée rouge rencontre en Afghanistan une vive résistance, mais aussi parce que l’Union soviétique subit en ce moment une série d’échecs diplomatiques et une immense perte de prestige. Quelles que soient les raisons qui ont poussé l’URSS à intervenir aussi massivement (renforcement du pouvoir des militaires, crainte de la contagion islamique), elle a manifestement commis une faute, aggravant ses difficultés économiques, et provoquant le rapprochement des Etats-Unis avec le Pakistan et la Chine, ainsi que la condamnation de sa politique par les pays musulmans réunis à Islamabad. C’est payer cher la mainmise sur un pays qui, avant 1978, ne posait aucun problème à l’Union soviétique.

LE JEU DE LA FRANCE

Dans ce « monde qui change », comme dirait M. Giscard d’Estaing, quelle est la politique de la France ? A lire les déclarations faites depuis le début de la crise afghane, la démarche du chef de l’Etat paraît mal assurée. Les propos présidentiels des premiers jours de janvier, rapidement démentis par les faits, furent suivis d’un certain nombre de déclarations gouvernementales pour le moins confuses. Mais nous y voyons plus clair à présent puisque, au terme de son voyage en Inde, le Président de la République a signé avec Madame Gandhi un texte demandant le respect de l’indépendance des Etats et le libre choix de leur destin.

La recherche commune à la France et au Tiers-Monde d’une voie indépendante des deux blocs impérialistes est tout à fait positive et semble renouer avec le projet diplomatique du général de Gaulle. Encore faut-il que la politique française paraisse crédible. Or M. Giscard d’Estaing n’est pas très bien placé pour dénoncer les « ingérences extérieures » lui qui, voici quelques mois menait à Bangui une opération politico-militaire semblable à celle des soviétiques en Afghanistan. Mais surtout, il faudrait que les bonnes intentions du Président de la République cessent d’être démenties par la pratique diplomatique quotidienne. Par exemple en Iran, où la France a suivi à la lettre les « conseils » de Washington -qui allaient pourtant à rencontre de ses intérêts politiques et militaires dans ce pays.

Espérons tout de même que la politique étrangère de la France cessera d’être celle du commentaire, ou des gestes retentissants mais sans portée. Espérons aussi, malgré la perspective des présidentielles, que cette politique sera conduite dans le souci du bien commun, et non dans l’intention de conquérir les voix hésitantes d’un électorat apeuré. Sans doute le candidat Giscard a-t-il tout intérêt à entretenir la crainte du communisme, qui donne traditionnellement à la droite ses plus belles victoires. Mais ce n’est pas sous le gouvernement de la peur que les Français pourront réapprendre à maîtriser leur destin.

***

Editorial du numéro 309 de « Royaliste » – 7 février 1980

Partagez

0 commentaires