Indignez-vous avec Stéphane Hessel !

Jan 17, 2011 | La guerre, la Résistance et la Déportation, Res Publica

TRANSMETTRE

J’emprunte le titre d’un livre de Régis Debray (1) pour dire ce qui me paraît essentiel dans le message que Stéphane Hessel (2) adresse aux Français : la transmission passionnée – « Indignez-vous ! » – de l’idéal de la Résistance qui fut sa raison de vivre sans désespérer et qui est le motif de son engagement politique. Celui qui rejoignit le général de Gaulle à Londres en 1941 nous demande de relire le programme du Conseil national de la Résistance, de prendre la mesure de l’œuvre accomplie à la Libération et de s’opposer aux artisans de sa destruction méthodique.

L’appel a été entendu. Des centaines de milliers de citoyens ont déjà lu et fait lire ces treize pages qui se terminent par un appel à l’action. Ce succès inattendu a provoqué diverses réactions hostiles ou réticentes. Dans le haut patronat, on a repris le thème du passéisme et quelques chroniqueurs ont froncé les sourcils. Trop mince, le texte ! Trop facile, l’indignation qui est toujours sélective ! Et tellement suspectes, ces ventes massives : pour trois euros, « les gens » s’achètent de la bonne conscience… Ne pas être dupe, c’est toujours le grand chic parisien – surtout quand on est soudain confronté à un mouvement populaire.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. L’achat de la brochure de Stéphane Hessel est une manifestation politique qu’il faut replacer dans une longue série d’actes d’opposition à l’oligarchie. Il y eut l’immense écho rencontré en 1996 par le titre du livre de Viviane Forrester, « L’horreur économique », la réaction altermondialiste, le rejet du « traité constitutionnel », la lutte contre le CPE en 2006, les manifestations de 2010 contre la réforme des retraites… On a dénoncé ces phénomènes de rue et d’édition comme autant de protestations rituelles, ringardes et inutiles face à la logique implacable de la mondialisation ; on a fustigé la bêtise des partisans du Non au référendum de 2005 comme on dénonce aujourd’hui l’irresponsabilité de ceux qui militent pour la sortie de l’euro ; on cherche à disqualifier Stéphane Hessel à cause de son engagement auprès des Palestiniens. Rien n’y fait. Depuis 1995, nous assistons – et nous participons – à la mobilisation progressive d’une large fraction du peuple français. Le mouvement est spontané (les partis n’y sont pour rien, les syndicats accompagnent quand ils ne freinent pas) et ne trouve que très lentement sa cohérence. L’altermondialisme ne menait nulle part et le soulèvement de la jeunesse des banlieues pauvres n’a eu qu’une valeur d’avertissement. Mais la lutte de classes devient chaque année plus intense et s’inscrit, selon la tradition française, dans une perspective politique clairement exprimée. Longtemps, le souci politique s’est affirmé dans le pays de manière négative – l’antisarkozysme – et sous la forme d’une défense des acquis sociaux. Stéphane Hessel s’indigne à juste titre que le patronat et la droite s’acharnent à détruire les conquêtes de la Libération mais son appel porte plus haut et plus loin. Ce qu’il nous transmet est un idéal. Avec lui, nous sommes dans l’ordre de l’esprit. A la dernière page, il reprend les termes de l’appel lancé par des anciens de la Résistance à l’occasion du soixantième anniversaire du Programme du CNR : « … notre colère contre l’injustice est toujours intacte ».

Tel est bien l’essentiel de ce qui nous est transmis : l’exigence de justice qui rassemble les indignations nécessairement sélectives des uns et des autres – aussi sélectives que leurs mémoires, leurs fidélités et les engagements. Il est probable que l’ambiance sartrienne de l’après-guerre ne dit plus rien à la jeune génération et que la guerre d’Algérie lui est à peu près incompréhensible. Mais beaucoup ont lu ces dernières années le Programme du 15 mars 1944 et préparé sans le savoir l’adhésion massive à l’appel de Stéphane Hessel.

La révolte est dans l’air du temps, en France, chez nos voisins européens, en Tunisie, en Algérie… Les partis de gauche et les gaullistes feraient bien de se préparer à l’insurrection, afin qu’elle soit pacifique et authentiquement politique – c’est-à-dire décidée à la mise en œuvre d’un programme de gouvernement.

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(1) Régis Debray, Transmettre, Editions Odile Jacob, 1997.

(2) Stéphane Hessel, Indignez-vous !, Indigène édition, 2010. 3 €.

 

Editorial du numéro 983 de «Royaliste » – 2011

 

 

 

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