Jeunesse de la révolte

Nov 19, 2013 | la lutte des classes

Il y a une jeunesse de la révolte comme il y eut, au 19ème siècle, une « jeunesse de la grève ». Cette référence historique m’incite à la prudence dans l’analyse des mouvements sociaux en cours. Quant aux Bonnets rouges, le mépris de Jean-Luc Mélenchon n’a pas plus de sens que la solidarité manifestée par Ségolène Royal. Partie de Bretagne, la révolte gagne maints départements et prend une tournure antifiscale. Elle est trop neuve pour que nous puissions en faire la sociologie, trop diverse et trop éclatée pour qu’il soit possible d’en prévoir l’orientation – corporatiste, antijacobine, poujadiste, populiste, droitière dans des formes plus ou moins extrêmes…

Quand la grève est jeune, « les désirs et les plaintes, les représentations et les fantasmes des groupes en lutte s’y disent sans médiation » (1). Tel est bien le problème des révoltes nées d’un sentiment très ancien d’exaspération : tout se dit dans la confusion qui caractérise les grandes colères tandis que s’esquissent des passages à l’acte violent. Nous ne savons pas sur qui ou sur quoi la violence latente va se fixer mais il importe d’en limiter les effets en rétablissant de la médiation. Cela paraît complètement abstrait. C’est pourtant le sens profond de la requête que les citoyens de toutes classes et tendances devraient adresser à tous ceux qui exercent des responsabilités politiques : faites votre devoir, faites votre devoir d’état.

Le devoir d’un responsable est de répondre aux désirs et aux plaintes en proposant un cadre politique à l’action collective et des objectifs permettant de concilier les intérêts particuliers et l’intérêt général. Or l’Etat est tombé entre les mains d’équipes qui flottent entre Bruxelles, Berlin et « les marchés » ; les syndicats restent sur la défensive – au risque d’être débordés – et les partis politiques classiques sont devenus des chambres d’enregistrement ou des champs clos de rivalités. Les gens de la politique, de la banque et des médias se répondent les uns aux autres et laissent aux publicitaires le soin de régir leur communication avec les Français. Telles sont les causes d’une exaspération croissante qui cessera lorsque chacun pourra se déterminer selon des enjeux politiques nationaux clairement fixés.

Le rôle du président de la République n’est pas de faire des économies. Le rôle du gouvernement n’est pas d’ordonner des sacrifices imbéciles. Le rôle du Parti socialiste n’est pas de faire accepter le capitalisme financier qui est l’horizon, tout aussi indépassable, de la droite libérale. Les révoltes en cours signifient que toutes les impasses oligarchiques ont été explorées. Que reste-t-il ? Le Front de gauche offre une autre impasse : le redressement économique et le progrès social sous le joug de la monnaie unique réajusté par la magie du verbe de Jean-Luc Mélenchon. Le Front national a certes inscrit à son programme la sortie de l’euro et le protectionnisme mais sa xénophobie le renvoie à l’impasse du nationalisme qui veut fonder l’unité sur une logique d’exclusion.

Les formations radicales croient qu’elles vont profiter à court terme des mouvements sociaux. C’est possible, mais rien ne changera en France tant que le cœur de la cible ne sera pas désigné : c’est l’euro qu’il faut viser. Tel est l’objectif qui peut rassembler les Français de droite et de gauche, mobiliser les syndicats, fédérer les groupes professionnels qui descendent ou descendront dans la rue. En finir avec l’euro, c’est en finir avec l’austérité et amorcer la politique de protection de l’économie nationale qui permettra notre ré-industrialisation. Nous disposons de tous les éléments, théoriques et chiffrés (2), qui nous permettent d’expliciter ce choix politique et d’y rallier un nombre toujours croissant de citoyens révoltés. Les mésaventures de François Hollande et des ténors de l’UMP sont du domaine de la distraction. Les sempiternelles discussions sur les « immigrés » ou sur les « musulmans », les provocations racistes et les postures antiracistes sont des opérations de diversion. Les oligarques ont fait de l’euro une arme de guerre. Faisons la guerre à leur monnaie.

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(1)    Michelle Perrot, Jeunesse de la grève, France 1871-1890. Seuil, 1984.

(2)    Cf. « Les scenarii de dissolution de l’euro », Fondation Res publica, 2013.

 

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