En extase du soir au matin, BFM-TV encense un président jupitérien, superbe au Louvre le soir de sa victoire, maître du temps et des hommes dans la composition du gouvernement, chef de guerre au Mali et restaurateur de l’esprit de la Vème République.

Et si c’était vrai ? Emmanuel Macron a effectivement rompu avec le débraillé du précédent quinquennat et veut imposer une meilleure répartition des tâches entre l’Elysée et un Premier ministre chargé d’imposer une stricte discipline aux membres du gouvernement. Mais TV-Macron nous dit aussi que le Président est le seul fédérateur d’un gouvernement disparate et que c’est l’Elysée qui a choisi tous les directeurs de cabinet. C’est reconnaître que loin d’être un président-arbitre, Emmanuel Macron a recréé la verticale du pouvoir qui relie le Président, le Premier ministre, le parti présidentiel et les cohortes serviles de la médiacratie.

Pour quelle politique ? On clame que c’est celle de la jeunesse, du changement, du renouveau, dans le bel écrin de notre histoire. Pour le moment, Emmanuel Macron joue avec les images et les brouille. Il convoque ses partisans au Louvre, y fait jouer l’hymne européiste et c’est la main sur le cœur, à l’américaine, qu’il écoute la Marseillaise. Ses propagandistes vantent la jeunesse du parti macronien, mais il s’agit des jeunes de la France d’en-haut et La République en marche est plus que tout autre un parti de classe, le parti de la haute-classe moderniste, libérale et libertaire. Les jeunes pousses du gouvernement, pour lesquelles on a ressorti la fable rocardienne des « gens de la société civile », sont encadrées par Gérard Collomb et Jean-Yves Le Drian, deux représentants typiques de la grande féodalité régionale, par François Bayrou, cacique de la politique politicienne, par Bruno Le Maire, pur produit de la droite classique. Nous n’assistons pas à un bouleversement de la politique qui porterait la nouvelle équipe au-delà de la droite et de la gauche, mais à une tentative de fusion de la droite et de la gauche oligarchiques qui défendent depuis longtemps le même programme, sous l’égide d’un homme « neuf »… qui fut l’un des piliers du quinquennat de François Hollande. Il est probable qu’Emmanuel Macron n’ait pas d’autre ambition que la rationalisation et le durcissement du hollandisme.

Dans ce programme macronien, c’est la désuétude qui frappe (1). L’idéologie libérale qui l’inspire est vieille de trois siècles, les préjugés de classe qui commandent le traitement du chômage par la culpabilisation du chômeur sont ceux de la bourgeoisie capitaliste des siècles passés, la vision de l’Europe est celle qui était cultivée par la démocratie chrétienne dans les années cinquante du siècle dernier et qui est aujourd’hui médiocrement incarnée par François Bayrou. Emmanuel Macron arrive au moment où l’économisme ultralibéral a fait la preuve de sa nocivité, où le soutien inconditionnel au patronat – masqué en « économie de l’offre » – et la flexibilité du travail sont des échecs avérés, où l’Europe rêvée par la démocratie chrétienne se révèle, dans l’Union si mal nommée, antidémocratique et rigoureusement matérialiste sous son carcan monétaire.

Faire du volontarisme dans une dynamique de l’échec est d’autant plus dangereux que notre société est gravement fracturée. Faire des réformes – à commencer par celle du code du Travail – pour amadouer un gouvernement allemand qui est déjà décidé à ne rien céder est une provocation – à descendre dans la rue. Décider qu’il y aura désormais un ministère de l’Europe et des Affaires étrangères signifie que l’Union moribonde et mortifère va déterminer la politique étrangère de la France. Nommer Sylvie Goulard, européiste frénétique, dévote de l’Allemagne, au ministère des Armées est un choix lourd de menaces qui vont très vite se préciser.

Les dissertations sur le centre-droit et le centre-gauche masquent le fait majeur : nous avons affaire à des extrémistes de la purge ultralibérale, de la soumission à l’Allemagne et de l’intégration dans une Union en voie de désintégration. Ces macroniens « en marche », il faut les bloquer.

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(1)    Lire ou relire l’ouvrage de Frédéric Farah et Thomas Porcher, Introduction inquiète à la macron-économie, Editions Les Petits matins, 2016, ainsi que l’entretien accordé par Frédéric Farah à « Royaliste », numéro 1111.

 

 

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3 Commentaires

  1. Joannelle

    Merci encore M. Renouvin d’écrire d’une manière claire et ordonnée ce que je pense mais n’arrive pas à formuler.

  2. Marie-Françoise de Decker

    Enfin une analyse intéressante sur Emmanuel Macron ! merci, je me sens moins seule …

  3. René Fiévet

    Je pense effectivement que Macron fait du neuf avec du vieux. Le phénomène Macron, par son caractère exceptionnel (au strict plan de la réussite individuelle), cache une réalité politique sous-jacente, à l’œuvre depuis de nombreuses années : le glissement idéologique de la société française vers la droite. Car ce qui se met en place est puissant, et presque irrésistible : un gouvernement de centre-droit, sur la base d’une alliance entre des sociaux libéraux venant du centre et (un peu) de la gauche et des néolibéraux (un peu) progressistes venus de la droite. Une situation assez comparable à celle qui a prévalu entre 1974 et 1981, quand Giscard d’Estaing s’est imposé face aux gaullistes. Quel que soit le cas de figure résultant des prochaines législatives, c’est bien l’axe politique des prochaines années : la droite modérée, européiste et moderniste, a pris le pas sur la droite identitaire et conservatrice représentée par Sarkozy et Fillon. Même Alain Madelin, ultra-libéral et libertaire, y trouve son compte.
    Mais revenons au titre même de l’article de Bertrand Renouvin : la présidence Macron sera-t-elle une présidence jupitérienne ? Il me semble que c’est impossible dans notre système institutionnel actuel qui n’est rien d’autre qu’une forme de césarisme démocratique. Un césarisme qui prend, avec Macron, une forme exacerbée. Quand il y avait Sarkozy, il y avait au moins l’UMP derrière lui. Avec Hollande, il y avait le Parti Socialiste. Avec Macron, il n’y a rien. Pas une tête ne dépasse. Ce qui veut dire que, lors de ce quinquennat, notre vie démocratique se réduira à un tête à tête infernal et mortifère entre le Président et les médias. Macron fera comme Sarkozy et Hollande : il faudra qu’il s’occupe de tout, car il sera redevable de tout. Il n’aura pas le choix.
    Il ne peut pas y avoir de présidence jupitérienne, que seul permettrait un retour à un régime parlementaire, avec un Président qui préside et un Premier Ministre qui gouverne, responsable politiquement uniquement devant le Parlement.