La fabrique de l’impuissance

Sep 22, 2013 | Res Publica | 6 commentaires

Après l’aveuglement volontaire sur l’économie et maintes bévues, l’échec humiliant dans l’affaire syrienne (1). Faute de pouvoir arrêter maintenant ce cours funeste, essayons une nouvelle fois de comprendre ce qui se passe dans la tête de François Hollande. Il n’y aura pas de réplique efficace, à terme, si nous nous contentons de dénoncer la trahison sociale-libérale et la dérive atlantiste de l’équipe au pouvoir. Le hollandisme n’est qu’une illustration de la crise du Politique qui affecte cruellement les principaux pays de l’Union européenne.

Dans un entretien récemment publié, Marcel Gauchet apporte sur ce point des explications décisives (2). Nous sommes « sous le règne d’une oligarchie qui tend à s’affranchir des mécanismes démocratiques au nom de la bonne gouvernance économique ». Cet état de fait est une spécificité ouest-européenne car il est intimement lié à l’idéologie et aux mécanismes de l’Union : ceux-ci  tendent à « vider les appareils politiques nationaux de toute substance » et à construire un appareil post-national et post-étatique régulé par le droit et l’économie – celui de la « gouvernance » qui remplacera les gouvernements élus.

Cette évolution nous est présentée comme une nécessité et même comme une fatalité. Depuis les années cinquante du siècle dernier, le « dépassement des nations » est affirmé comme Loi de l’histoire – une histoire qui trouverait sa fin finale dans le divin marché. Cette version lénifiante du déterminisme historique n’est qu’une vaste foutaise. C’est une volonté collective qui est à l’œuvre, celle des élites européistes qui ont trouvé une formidable combine : tirer tous profits de la présence au gouvernement en se débarrassant des responsabilités qu’implique l’action gouvernementale. Il y a une « impuissance fabriquée », voire « souhaitée » par les principaux artisans de la construction européenne. Cette vérité est difficile à comprendre : les chefs de parti déploient une telle volonté de puissance qu’on espère toujours qu’il en restera quelque chose lorsqu’ils exerceront le pouvoir. Le volontarisme de Nicolas Sarkozy a séduit maints nostalgiques du général de Gaulle et François Hollande eut en 2012 quelques beaux accents avant d’aller plus avant sur la voie des redditions.

Oh ! bien sûr, au fil des discours, on tente encore de nous vendre le rêve européen. Mais « qui se sent représenté aujourd’hui par le Parlement européen ? Qui peut avoir envie de s’en remettre aux inspirations de Manuel Barroso ? » ; la Cour de justice européenne, « c’est le sommet de l’aberration puisqu’elle prétend faire de la politique avec du droit » et le fédéralisme européen « c’est terminé ». Ces affirmations s’appuient sur des analyses approfondies, aux conclusions parfaitement angoissantes. Ainsi, « l’Union européenne est incapable de penser politiquement la mondialisation : sa logique spontanée est de s’y dissoudre ».

Les peuples de l’Ouest-européen rejettent cet européisme dissolvant mais cela ne signifie pas que des insurrections populaires dans la rue ou dans les urnes provoqueraient immanquablement une renaissance politique car les peuples sont en proie à de rudes contradictions : on nous offre « la liberté totale de chacun et l’impuissance complète de tous » et nous vivons douloureusement l’individualisme… qui suppose « une socialisation intégrale de l’existence ».

Marcel Gauchet n’est pas désespéré. La collectivité nationale peut se réaffirmer, l’Europe est à repenser sur le mode de la coopération et de grands hommes politiques pourraient tirer parti de nos contradictions pour le bien public s’ils nous expliquaient clairement comment on peut concilier la liberté individuelle et le projet commun. Ces grands hommes, nous ne les trouvons pas. Les tribuns des deux Fronts désignent d’autres impasses – celle du nationalisme, celle du socialisme hors-sol. Il faut donc à la France une nouvelle génération politique. Elle se formera grâce à ceux qui ont une pensée – une pensée rigoureuse à tous les sens du terme. L’urgence est de faire connaître les livres, les entretiens, les articles qui inspireront, chez quelques-uns, les engagements salvateurs. Il faut Aristote pour qu’il y ait Alexandre.

***

(1)    Cf. sur ce blog les chroniques 84, 85, 86 et 87.

(2)    Cf. la revue « Au fait », n° 3, septembre 2013. Pages 62-78.

 

 

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6 Commentaires

  1. Hélène Nouaille

    Monsieur,

    Je trouve cet éditorial remarquable. A ceci près que Marcel Gauchet a soutenu ce processus – un piège que, vous lisant régulièrement, vous avez évité.
    Merci pour votre lucidité,

    Hélène Nouaille

  2. OLIVIER COMTE

    La politique d’ abandon est habilement soutenue par les cris et gémissements continus des penseurs convenables et intrépides qui ne craignent pas de dénoncer le nationalisme
    responsable de tous les maux. Cette pratique de l’ arroseur-arrosant, accablant ceux qui ne lui résistent plus, est très ancienne.

    Ainsi, sous le titre flatteur de: THE FIX FOR EUROPE: PEOPLE POWER, le jeune révolutionnaire multi-cartes Daniel Cohn-Bendit porte son fer rouge, ou anciennement rouge, sur le front des politiciens qui ne savent pratiquer qu’ une gouvernance fondée sur ce vieil imposteur: l’ Etat Nation.
    Ces vieux politiciens habilement démasqués, le bouillant DCB présente son élixir, jeune et moderne: l’ intégration accélérée européenne par un transfert du pouvoir aux institutions européennes . Un effort pan-européen est donc nécessaire.
    La financiarisation galopante des économies, favorisée par l’ UE, reste inconnue. La crise touche les jeunes, victimes de la politique des vieux. Cette idée fut honteusement pratiquée par la droite.

    L’ article de l’ International Herald Tribune du 4 septembre 2013 est co-signé par un certain Felix Marquardt. Probablement un descendant de la famille des Rougon-Marquardt illustrée par Henri Massis afin de lutter contre Zola.

    Comme toujours, l’ article de Bertrand Renouvin analyse clairement le problème. Je ferai une réserve: je ne souhaite pas comprendre les pensées de M. Hollande, je souhaite que le Président préside et ne conduise pas la politique de la Nation. Pour ce vice de notre Constitution, je me sens bien isolé et je prends toujours un parapluie pour sortir.

    • cording

      L’instauration du quinquennat produit tous ses effets nocifs en réduisant la fonction de Président à celle d’un premier ministre et ce dernier à un dir-cab du président voire d’une doublure. Ce fût d’autant plus évident sous la conduite de notre pays par l’agité qui nous a

      • cording

        gouverné jusqu’en 2012. Mais cela reste vrai avec l’actuel Président. Cela a toujours été l’ambiguïté de la Vè qui ne pourrait se lever qu’avec l’instauration d’une monarchie constitutionnelle et parlementaire dans le prolongement de nos institutions.
        En ce qui me concerne j’évite le terme de « gouvernance » apparu avec l’idéologie dominante donc connoté.

        • OLIVIER COMTE

          Le vocabulaire politique porte clairement son message idéologique. « Modern governance » est utilisé par nos deux vedettes des media dans le premier paragraphe.
          Je crois avoir vu le sens intrinsèquement pervers de « gouvernance » analysé dans ce blog.

          Le quinquennnat aggrave la dérive du septennat mais nous sommes maintenant trop loin de la terre ferme pour espérer reprendre une démarche que j’ appelle, pour utiliser mon vocabulaire habituel, républicaine.
          Je ne suis plus jeune et la bonne éducation voudrait que je laisse mon pays dans l ‘état dans lequel je l’ ai trouvé. Cela
          ne sera malheureusement pas.
          Je suis certain que de nombreux républicains accepteraient
          une monarchie constitutionnelle qui préserverait notre génie national et notre unité. Cette monarchie ne saurait être un recours crédible que dans le cas tragique d ‘un choix entre la disparition de la Nation et un pouvoir fasciste.

  3. LEPAGE

    le réel Pouvoir est à Bruxelles et nos » chefs d’Etats » sont des Préfets à qui on permet de faire joujou sur la scène internationale dans une certaine limite. les jeux sont faits, la cabane est sous le chien, il est même possible de se demander s’il y aura des élections à l’avenir. Suffira d’invoquer une cause fabriquée pour les annuler ou bien d’en organiser mas les bulletins seraient jetés à la poubelle. Tout étant organisé d’avance le « vainqueur » choisi par d’autres. Nous vivons une pièce de théâtre avec des acteurs sans aucune réalité.