La France et ses abîmes

Avr 6, 2016 | Res Publica | 1 commentaire

 

Annoncé devant le Congrès après les attentats de novembre, le projet de réforme constitutionnelle a été abandonné. Suite à un prodigieux embrouillamini sur la déchéance de nationalité, cette défaite n’a rien d’historique. François Hollande ne cesse de signer des actes de reddition à diverses puissances, corporatives ou étrangères. Il fera tout de même son possible pour résister à la pression de la rue, en révolte contre le projet El Khomri. Faire son possible, cela signifie que cette résistance a des limites : François Hollande ne sacrifiera pas sa personne à une réforme réputée salvatrice. Contre le coup d’État juridique inspiré par Bruxelles et le Medef, il faut espérer la capitulation du gouvernement. Mais après ? La compétition entre des candidats de droite et de gauche usés, jouant pour se refaire sur la peur du Front national, s’annonce comme une épreuve désespérante pour d’innombrables Français. Elle s’ajoutera à toutes les déceptions et désillusions accumulées depuis trois décennies. Elle risque de conforter l’idée que la France est sur la pente d’un irrésistible déclin.

C’est à ce moment, lamentable, qu’intervient Marcel Gauchet. Le livre qu’il consacre au malheur français (1) mérite une ample recension. Je retiens ici quelques pages que je résume à gros traits. Les Français, lit-on dans les premières pages, « s’inquiètent plus pour leur pays que pour eux-mêmes ». C’est que nous sommes un peuple politique, épris d’histoire et malheureux parce qu’on nous dit que nous sommes en train de sortir de l’histoire. Or Marcel Gauchet stimule notre conscience historique et réveille notre espoir en rappelant que la France n’est pas un pays qui se contente de côtoyer l’abîme mais une nation naissante puis affirmée qui connaît de terribles chutes suivies de prodigieuses remontées. Après les guerres de Religion, Louis XIV, que les Français aiment malgré l’absolutisme, parce que son siècle consacre la grandeur de la France dans sa relation singulière à l’universel ! Après les revers de la guerre de Sept Ans et l’humiliation du traité de Paris, la Révolution française ! Après le relatif déclassement de la France face à l’Angleterre, la tentative avortée du Second Empire. Après Sedan, la Revanche de 1914 ! Après le désastre de 1940, l’épopée de la France libre et la Victoire de 1945 ! Après l’échec de la IVe République et les drames de la décolonisation, la République gaullienne ! Et toujours, à chaque renaissance nationale, cette manière de s’affirmer dans le monde qui est tout le contraire d’une volonté de puissance hégémonique…

Il va presque sans dire que ces chutes et ces remontées ne sont pas inscrites dans un mouvement  de balancier qui caractériserait pour toujours notre destin historique. Il n’y a pas de France éternelle. La France est une construction humaine ; elle peut, comme tant d’autres nations, disparaître à jamais. Nous savons bien que nous aurions pu sombrer définitivement après les batailles perdues de 1940, sous la houlette d’un maréchal de France… En ce début de siècle, il est possible que notre aventure collective soit en train de se terminer. Les élites françaises ne croient plus à la nation française, à la langue française, à la culture française – au peuple français qui peut être gagné par l’esprit de renoncement.

On peut aligner les faits et les chiffres attestant que c’est bientôt la fin. Mais que l’on n’oublie pas les mouvements dialectiques de l’histoire ! Comme tant d’autres peuples, les Français sont humiliés par leurs défaites. Et c’est l’humiliation qui nous donne la force et parfois le génie des renaissances. Nous vivons aujourd’hui dans le sentiment d’un intolérable abaissement. Il ne résulte plus d’une invasion suivie d’une trahison comme en 1940 mais d’une désertion des élites d’une vieille nation toujours pleine de vitalité et de richesses de tous ordres – et dont le monde attend toujours beaucoup.

Le philosophe du politique, aussi humilié soit-il, cherche de justes mesures. Le militant guette les frémissements et tente dès que possible l’aventure périlleuse des révoltes et des révolutions. Il ne faut pas rejouer 1789 ou 1944 mais inventer celles du XXIe siècle. Cela se fera dans le cours de l’action selon des objectifs qu’il faut expliciter sans relâche : casser l’arme monétaire des élites puis les congédier afin de reconstruire la France et l’Europe.

***

1) Marcel Gauchet avec Éric Conan & François Azouvi – Comprendre le malheur français. Stock, coll. Essais-Documents, mars/2016, 378 pages. Marcel Gauchet présentera son livre aux Mercredis de la NAR, le 18 mai.

Editorial du numéro 1098 de « Royaliste » – 2016

 

 

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1 Commentaire

  1. J. Payen

    « casser l’arme monétaire des élites puis les congédier afin de reconstruire la France et l’Europe. »

    En si peu de mots, voilà le programme de Salut public qu’attend le pays !

    Qui saura se saisir du tronçon de l’épée ?