La guerre, cette révolution

Avr 19, 1999 | Chemins et distances

La guerre est révolution, écrivait Lénine en marge de Clausewitz. Ceci parce que la guerre est la révélation, terrible, de l’homme à lui-même et des qualités de ses dirigeants.

La phrase doit être prise comme un constat, non comme l’apologie de valeurs héroïques qui sont contredites par la tradition monarchique et par la politique royale. La monarchie vaut par la paix qu’elle institue et la symbolique royale prend son sens dans l’unité du peuple, reconnu selon le droit et selon ses droits – et dès lors préservé, autant que possible, de la violence.

Je n’oublie pas que la monarchie capétienne a fait la guerre et que des rois l’ont « trop aimée ». Vain désir de gloire ou nécessité défensive, cet acte ne relève pas d’une plus ou moins grande moralité. Lionel Jospin s’abuse et nous abuse lorsqu’il affirme qu’en Yougoslavie « nous agissons au nom d’une morale, je dirais même au nom d’une philosophie, d’une conception de la civilisation » (1).

Cette guerre n’est pas morale parce que la guerre ne l’est jamais. Ni pour nos religions constitutives, qui interdisent de tuer, ni pour la philosophie kantienne qui inspire l’humanisme laïc (2). Lionel Jospin confond la rigueur et le moralisme, la rigueur et la punition.

Cette guerre n’est pas juste. Car une guerre justifiée se ferait selon le droit, alors que l’agression contre la République yougoslave se fait sans mandat de l’ONU, sans vote préalable du Parlement français et sans même que la Pacte atlantique soit respecté. Qu’on ne se plaigne plus de la monarchie présidentielle : ce que le président de la République et le Premier ministre ont décidé sans l’accord explicite de la représentation nationale, le roi d’une monarchie constitutionnelle n’aurait pas pu le faire.

Cette guerre ne se réduit pas à des « frappes aériennes » destinées à éliminer un tyran. Atténuer la force des mots n’enlève rien à la violence des actes commis contre une nation et plusieurs peuples. Les fusées de l’OTAN ne visent pas le seul Milosevic. Elles tombent sur Belgrade, Pristina, Podgorica, Novi Sad. Elles terrorisent, blessent et tuent des civils. Le fait qu’on parle de « dommages collatéraux » et qu’on inscrive les victimes au chapitre des « bavures » – comme dit « Libération » – statistiquement inévitables, comme disent les généraux américains, ne change rien à la réalité. Contrairement à ce qu’affirmait le Premier ministre au début du conflit, nous sommes entraînés là où nous ne voulions pas aller.

La guerre est un échec – c’est ainsi que nous avons vécu la guerre du Golfe, à laquelle nous nous étions résignés – et cette guerre l’est tout particulièrement : de différentes manières, toutes condamnables, tous les peuples du sud des Balkans sont aujourd’hui martyrisés. Cette guerre est notre échec puisqu’elle attire sur nous les ressentiments des Yougoslaves qui, depuis toujours, vénèrent notre pays – sans que nous ayons pu prévenir ou empêcher le malheur qui frappe les Albanais.

Triste révélation d’une impuissance que nos dirigeants ont théorisée et qu’ils démontraient déjà dans le domaine économique et social. Piteuse attitude des professeurs de « réalisme » qui fuient dans le brouillard des mots, dans la confusion des propos, dans le désordre des comportements la terrible réalité de la guerre.

Consternante révélation de notre soumission aux Américains qui, comme d’habitude, décident de la conduite des opérations militaires sans consulter personne.

Tragique révélation de l’inexistence de l’Europe, qui voudrait trouver dans cette guerre le moyen de s’affirmer elle-même, alors que l’agression contre la Yougoslavie est une guerre contre elle-même – contre ses valeurs, ses principes, sa mémoire, son identité – sous l’égide des Américains qui diffusent en nous leurs fantasmes et leurs préjugés tout en nous imposant leur volonté.

Nous n’oublierons pas, non plus, les hypocrisies et les lâchetés de ceux qui, sachant l’absurdité de cette guerre, ont choisi de se taire.

Mais la guerre est une révolution. Des principes violés et des amitiés perdues, des échecs et des humiliations, naîtra, en France et en Europe, la volonté de changer radicalement le cours de l’Histoire.

***

(1) Intervention du 8 avril, France 2

(2 )Cf. la méditation sur la paix de Catherine Chalier : De l’intranquillité de l’âme, Payot, 1998.

Editorial du numéro 727 de « Royaliste » – 11 avril 1999.

 

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