La République gaullienne, monarchie élective généralement reconnue comme telle, est aujourd’hui une « monarchie aléatoire » qui est une des trois formes prises par notre Constitution. L’analyse subtile et sévère d’un professeur de droit public dérange tout le monde – y compris nous-mêmes. Tant mieux !

 Notre défense et illustration de la république gaullienne est au point depuis bien des années. Jusqu’à la fin du septennat de François Mitterrand, les institutions de la 5ème République ont fait de nous des monarchistes en phase avec l’actualité et des royalistes confiants – puisque la voie vers l’instauration d’une monarchie démocratique et royale était clairement tracée. Le quinquennat est un attentat contre l’édifice, le régime présidentiel sa négation – mais rien n’interdit de reprendre, de préciser et de prolonger l’œuvre gaullienne.

Or voici qu’on nous tire de notre sommeil quelque peu dogmatique.

Qui, on ?Jean-Marie Denquin, professeur de droit public à Nanterre qui va accéder à un auditoire beaucoup plus large que celui des amphithéâtres grâce à un ouvrage rigoureux (cela va sans dire), relevé de fines pointes polémiques et qui a le mérite de renouveler en profondeur le débat sur nos institutions (1).

Mais lesquelles ? Et selon quel texte constitutionnel ? C’est là que les évidences révèlent leur fragilité. Car il y aurait, selon notre professeur, trois constitutions en un même texte. La première, strictement gaullienne, est celle d’une monarchie élective : c’est celle, rationnelle et raisonnable, que nous connaissons par cœur. La deuxième, conjoncturellement « mitterrandienne » est un régime de cohabitation présenté comme une « monarchie aléatoire » : selon les aléas électoraux (une Assemblée en accord ou non avec le chef de l’Etat) la primauté revient tantôt au chef de l’Etat, tantôt au Premier ministre et au Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation » selon les termes de l’article 20. La troisième constitution est « normative » en ce sens que la jurisprudence du Conseil constitutionnel est en train de créer un système de normes juridiques qui s’impose à tous… jusqu’à un certain point.

D’où un assemblage baroque, passionnant à examiner, mais qui ne satisfait plus personne. Nous prétendons quant à nous que la monarchie royale – quatrième constitution virtuelle de la République – offre une solution cohérente aux difficultés institutionnelles. Mais, pour l’heure, la complexité de l’édifice juridique provoque la rupture du consensus institutionnel réalisé plus ou moins malgré lui par François Mitterrand.

A nouveau on s’agite. Après destruction d’une pièce maîtresse de l’édifice par l’adoption du quinquennat, voici qu’un candidat à la présidence ressort le projet d’un régime présidentiel. Jean-Marie Denquin montre que ces remèdes sont pires que le malaise dû à la cohabitation : pour que le quinquennat réalise à coup sûr la coïncidence des consultations électorales, il faudrait supprimer le droit de dissolution et installer un vice-président. Quant à la solution préconisée par Jean-Pierre Chevènement, elle consiste à « prendre la maladie pour la thérapeutique ». Car « un régime présidentiel n’élimine pas la cohabitation, mais l’institutionnalise au contraire » en créant les conditions d’un conflit radical.

Jean-Marie Denquin se résout à une cohabitation sans gloire, à condition qu’elle soit effectivement souhaitée par les Français, tout en observant qu’il y a pire que le malaise constitutionnel : un « déclin de la légitimité » masqué par le triomphe apparent de l’Etat de droit – ou plus précisément de la pensée sur l’Etat de droit et sur les droits de l’homme. Voici posé le problème de la « constitution normative », qui procède du contrôle de constitutionnalité exercé par les neuf juges du Palais Royal. A la suite de notre bon maître Léo Hamon, nous nous sommes réjouis de l’importance prise par les « juges de la loi ». Mais pour parvenir à un état de complet bonheur, il faudrait que nous soyons assurés de la légitimité du droit et de l’infaillibilité du juge. Il faudrait que le juge constitutionnel soit parfaitement rationnel dans son interprétation d’une Loi transcendante, hypothèses impossibles à concevoir en pleine crise de la vérité (comme idéal de la raison) et dans un Etat laïc qui se doit de proscrire (à juste titre) la sacralisation du juge.

Suffirait-il, de manière toute prosaïque, de respecter le droit, à commencer par la Déclaration des droits ? Hélas, « il n’est pas vrai que le droit soit bon par nature. Le droit est une technique, non une valeur, un moyen et non une fin ». Le régime national-socialiste était lui aussi un système juridique, et « il suffit de définir l’homme comme le faisaient les nazis pour que les droits de l’homme s’avère compatibles avec Mein Kampf » remarque notre professeur.

Il est vrai que nous sommes entre gens de bonne compagnie, persuadés que ces horreurs sont derrière nous ou très loin de notre si paisible et si démocratique Union européenne. Très loin ? Les Balkans, par exemple, sont à deux ou trois étapes du Tour de France… Hélas, notre bonne conscience et nos excellentes manières sont compatibles avec diverses formes de despotisme. Despotisme du Juge sacralisé, auquel les citoyens ne peuvent s’en remettre car une chose est de juger, une autre est de gouverner selon le libre vouloir du peuple. Despotisme des organisations européennes, fondé sur une idéologie ultralibérale mais radicalement antidémocratique.

La critique de Jean-Marie Denquin est implacable. C’est pourquoi elle est salutaire.

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(1) Jean-Marie Denquin, La monarchie aléatoire, Essai sur les constitutions de la Vè République, Collection Béhémoth dirigée par Denis Alland et Stéphane Rials, PUF, 2001. 91,33 F.

 

Article publié dans « Royaliste » – 2001

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