La place de l’égalité

Mai 29, 1989 | Res Publica

 

On la veut sans y croire. On l’évoque, on l’invoque sans jamais la réaliser. Mais quel est donc le statut de l’égalité ?

Qu’il est facile d’être anti-égalitaire, à la manière de Maurras qui célébrait « l’inégalité naturelle et protectrice », ou du RPR d’il y a quelques années reprenant la thématique de la Nouvelle Droite. Dire que l’égalité n’existe pas, c’est se décerner un double brevet d’anticonformisme, puisque la mentalité dominante est égalitaire ou égalitariste, et de réalisme.

D’ailleurs, un spécialiste de la question, qui nous a déjà donné de fortes « Leçons sur l’égalité » (1) ne la déclare-t-il pas introuvable ? Même l’égalité des nombres, nous dit Lucien Sfez (2), suppose l’effort d’une raison abstraite ordonnant un ensemble fini à l’intérieur duquel on pourra compter : « l’égalité ne peut naître que dans la frontière d’une loi ». Quant à l’égalité-sentiment des communautés fraternelles, elle suppose une autorité et n’exclut pas les rivalités. Pourtant, notre civilisation a toujours été en quête d’égalité. Sa première figure est grecque : c’est la libre communauté des citoyens-guerriers, qui exclut femmes et esclaves. La seconde figure est chrétienne : égalité des êtres humains devant Dieu, qui n’exclut pas les hiérarchies terrestres. Inoubliable éclat des égalités grecques et chrétiennes, purifié par le temps …

Mais les Lumières, l’égalité républicaine, la revendication socialiste et communiste ? Le monde moderne s’inscrit dans l’héritage grec et chrétien mais Montesquieu, Diderot, Rousseau puis la Révolution française ne font que brouiller la question, par trop d’analyses complexes et contradictoires. Si bien que l’égalité de 1789 ne brille que par actualisation de la démocratie athénienne et du christianisme. Encore un peu de temps, et l’hypothétique science de l’égalité succombera sous les coups du darwinisme sans que Marx parvienne à la restaurer dans l’ordre social et historique.

Concept vide, notion hybride, démentie par mille comportements sociaux, l’égalité survit cependant dans le système artificiel de la communication et surtout existe comme fait de culture, s’affirme comme statut symbolique effectivement fondateur de la vie en société. Introuvable et indispensable, l’égalité est « un autre mot pour dire l’identité, la mienne et la vôtre, pour dire tu et je, moi et toi » conclut Lucien Sfez. Sa leçon est, une nouvelle fois, décisive.

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(1) Leçons sur l’égalité, Presses de la FNSP, 1984.

(2) L’Egalité, PUF, Coll. Que Sais-Je ? 1989.

Article publié dans le numéro 516 de « Royaliste – 29 mai 1989

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