La question communiste en 1999

Nov 1, 1999 | la lutte des classes

Organisée par une direction communiste qui est l’otage du gouvernement auquel elle participe, l’étrange manifestation du 16 octobre a réuni des forces (communistes critiques, trotskystes, syndicalistes CGT, chômeurs) qui récusent la politique libérale de Lionel Jospin. Cette contradiction est mortelle pour le P.C. Faute de trancher entre ses intérêts immédiats et son rôle historique, il laisse vide une place qui devra être comblée.

Peuple éminemment politique, les Français ont horreur des décombres, et les édifices en ruines ont tôt fait d’être remplacés. En d’autres termes, l’impression de déliquescence de la vie politique paraît largement exagérée. Ce sont des partis qui déclinent (le RPR, le P.C.) ou qui piétinent (Démocratie libérale) mais pas l’ensemble des formations politiques. Preuve en est l’existence d’un puissant courant national-populiste, maintenant relayé par le mouvement de MM. Pasqua et de Villiers.

Plus largement on peut affirmer, à la suite de Max Gallo, que le centre est représenté par une « grande coalition » qui rassemble les libéraux déclarés (l’UDF de François Bayrou), les chiraquiens du RPR, les socialistes fédérés par Lionel Jospin, et les Verts. De fait, les libéraux et les socialistes adhérent à l’idéologie du marché, cultivent le même européisme et acceptent pour l’essentiel l’hégémonie américaine. Un rapprochement dans le domaine de la « modernisation » des mœurs et en matière d’immigration est par ailleurs en train de s’esquisser entre droite et gauche.

Cette coalition se défera pour l’élection présidentielle, mais celle-ci se déroulera à partir de campagnes d’image, avec le concours de groupes et de partis socio-professionnels : la FNSEA et le MEDEF  pour Jacques Chirac, la CFDT pour Lionel Jospin. Une simple rivalité personnelle, qui a déjà joué paisiblement en 1995, et des oppositions minimes n’empêcheront pas la coalition de se reconstituer après 2002.

Souple, puisqu’elle permet l’alternance d’équipes de droite et de gauche, cette coalition est puissante car elle dispose du soutien tacite des féodalités industrielles et financières, de grandes corporations professionnelles, et de la chambre d’écho médiatique puisqueles sociétés capitalistes contrôlent une grande partie de la presse.

Cependant, cette coalition est fragile : le milieu dirigeant ne représente qu’une mince couche sociologique, et son programme néolibéral fait l’objet depuis quinze ans de votes de rejet ou de défiance de la part d’électeurs de droite (surtout gaullistes) et de gauche ( de tendance « jacobine ») que souhaitent que la France retrouve sa politique traditionnelle : Etat capable de protéger la société, pouvoir politique gouvernant une économie mise au service de l’intérêt national, diplomatie indépendante… Outre le risque systémique que présentera le futur krach boursier, annoncé par la plupart des économistes, nul n’ignore que le néolibéralisme favorise une accumulation, de plus en plus impressionnante, d’explosif social: chômeurs, travailleurs précaires, enseignants humiliés par Claude Allègre, paysans esclaves de la grande distribution, chefs d’entreprises petites et moyennes soumises à la dictature des monopoles,cadres surexploités, lycéens, professions médicales : de nombreux groupes socio-professionnels vivent dans l’humiliation, la peur, la colère, la haine, et l’affaiblissement de certains médiateurs politiques (crise du RPR et du PC) et sociaux (évolution réformiste de la CGT) accroît le risque de violence.

Dans cette situation révolutionnaire, comment se fait-il que le gouvernement parvienne à rester aussi facilement en place ? Cela tient au caractère stabilisateur des institutions de la 5ème République, à l’existence de la « grande coalition » évoquée plus haut, mais aussi à l’actuelle impuissance des oppositions radicales.

On se souvient que le Front national, désormais marginalisé, a vécu pendant quinze ans sur un territoire électoral soigneusement bouclé – ce qui ne l’a pas empêché de se placer par la faute de ses adversaires au centre du débat politique. La crise de la formation national-populiste met fin à une diversion (l’ethnisme comme ersatz de patriotisme) et le fait que l’antiracisme passe à l’arrière-plan permet le retour aux formes classiques d’anticapitalisme et d’antiaméricanisme que les contestataires de droite et de gauche peuvent également cultiver.

A droite, le mouvement de MM. Pasqua et de Villiers devrait recueillir une bonne partie de l’électorat national-populiste, la fraction gaulliste du RPR et la frange réactionnaire représentée par le sémillant féodal vendéen. Comme le Front national, ce mouvement est tissé de contradictions mais, comme la formation lepéniste, elle lui permettront de recueillir le maximum de soutiens. Plus classique que le Front national dans son composé idéologique (nationalisme de type boulangiste), plus rassurant dans son discours (xénophobie exempte de formules ouvertement racistes), le nouveau RPF est très attrayant car la défense de la souveraineté française est capitale pour toute une partie de la droite populaire et pour la gauche jacobine.

Cependant, le RPF reste cantonné sur les marges électorales (puisque Jacques Chirac va rassembler un grande partie de l’électorat du RPR et de l’UDF), et enfermé dans le camp de la droite en raison de la sociologie de l’électorat « souverainiste », et de la thématique xénophobe, ultralibérale et réactionnaire de Philippe de Villiers qui devrait décourager la plupart des électeurs de gauche.

Cette mise en perspective des rapports de force politiques souligne l’importance de la question communiste.

A gauche, la contestation populaire (révolutionnaire, patriote jacobine, hostile aux Etats-Unis et à l’Europe capitaliste) reste faible et dispersée, donc sans impact réel ou durable sur l’opinion publique comme en témoigne les actions – nécessaires – de la Confédération paysanne, des comités de chômeurs ou de certains groupes syndicaux. Comme on l’a vu pendant la guerre contre la Yougoslavie, le Parti communiste demeure le seul pôle de rassemblement de la gauche radicale, patriote et révolutionnaire. Il se trouve donc placé devant une responsabilité historique, au regard de laquelle le poids de ses complicités passées (moralement et politiquement considérable) pèse peu en termes stratégiques. Pour ne prendre qu’un exemple, les communistes est-allemands rassemblées dans le PDS, qui ont laissé de cruels souvenirs, ne cessent de gagner des suffrages (surtout en Allemagne de l’Est) au détriment des sociaux-démocrates.

Le problème, c’est que le Parti communiste français ne joue plus son rôle dans la société française. Dirigé par un brave homme en quête de reconnaissance politique et sociale (Robert Hue à New-York, le même en tenue de soirée au festival de Cannes…), ce vieux parti est devenu l’otage des socialistes. Les avantages qu’il en tire (quelques années de survie) ne compensent pas l’hémorragie de ses cadres et de ses militants. Surtout, la Place du Colonel-Fabien renonce peu à peu à assumer et à actualiser l’héritage des communismes français (1) dans lequel entrait l’imaginaire révolutionnaire (1793 et 1917), une de nos traditions ouvrières (figurée par le Métallo), l’élan patriotique de la Résistance (les FTP), la référence aux conquêtes de la Libération, la protestation sociale virulente (la « fonction tribunicienne », par référence au tribun de la plèbe), et un anti-impérialisme caractérisé par la dénonciation de la politique américaine.

Ces abandons sont mortifères car le Parti communiste devait son audience populaire et sa représentativité au mélange de fierté ouvrière, de solidarité internationaliste et de patriotisme français qui entrait dans la composition de sa culture, de sa « contre-société » et de son projet (2). Le Parti est grand sous le Front populaire (les Trois couleurs et le combat antifasciste en Espagne), et au sortir de la guerre de libération nationale. Au contraire, la tactique « classe contre classe » l’isole et l’entente avec le socialisme « bourgeois » le condamne.

Depuis trois ans, le Parti proteste contre l’Europe d’Amsterdam, les privatisations, la flexibilité et la précarité croissantes, mais finit par tout accepter en brandissant les quelques concessions que lui fait son allié pour mieux le tenir en laisse. Il en résulte à gauche un grand vide qui désoriente et désespère le peuple patriote et radicalement contestataire. C’est ce vide qui permet à la coalition néo-libérale de gouverner. Elle dominera le terrain tant qu’un mouvement populaire de gauche, équilibrant le nationalisme autoritaire, ne se sera pas rassemblé autour d’un nouveau tribun de la plèbe. Bernard Tapie, qui avait interprété ce rôle de manière caricaturale aux élections européennes de 1994, avait recueilli un nombre important de suffrages qui restent disponibles pour celui qui saurait incarner la tradition patriotique révolutionnaire.

Le programme politique de ce futur rassemblement existe (la reconstruction de l’économie nationale et de la société française selon les principes du Préambule de 1946), et d’innombrables énergies sont disponibles. Il manque le « Grand homme » qui se montrera capable de mener l’action de salut public en réalisant l’alliance du peuple des exploités et des humiliés contre le milieu dirigeant.

La gauche, qui redoute le « pouvoir personnel », n’aime pas envisager cette possibilité. Pourtant, elle n’a pu remplir les missions qu’elle s’étaient fixées que grâce à Gambetta, Jean Jaurés, Léon Blum et, dans une certaine mesure, François Mitterrand. On sait que la nature politique à horreur du vide. Un jour où l’autre, un « grand homme » répondra à l’attente, pour le meilleur ou pour le pire car la haine sociale est telle que les solutions de terreur ne peuvent être exclues. Et si la gauche ne l’engendre pas, il viendra des profondeurs de l’histoire nationale et transcendera tous les camps. Cela s’est déjà vu. Dans les années qui viennent, rien n’empêche que nous assistions (que nous participions ?) à l’avènement d’un nouvel homme d’Etat.

***

(1) cf. Roger Martelli, Le Rouge et le Bleu, Essai sur le communisme dans l’histoire française, Editions de l’Atelier, 1995 ; et du même auteur, Faut-il défendre la nation ?E. La Dispute, 1998.

(2) cf. Philippe Robrieux, Histoire intérieure du parti communiste, Fayard, 3 tomes, 1980-1982. Le meilleur témoignage sur le communisme de la Résistance et de la Guerre froide est celui de Dominique Desanti, Ce que le siècle m’a dit, Plon, 1997.

 

Article publié dans le numéro 736 de « Royaliste » – 1999

 

 

 

Partagez

0 commentaires