La question irakienne… en 2002

Déc 31, 2002 | Chemins et distances

Indispensable si l’on veut suivre les événements du Moyen-Orient et saisir les difficultés de la reconstruction de l’Iraq, l’ouvrage de Pierre-Jean Luizard détruit au passage les illusions entretenues par les admirateurs français de Saddam Hussein et les mensonges de la propagande américaine.

En temps de guerre plus encore qu’en période de paix, gare aux experts des cafés du commerce médiatisé, aux pamphlétaires déguisés et aux agents d’influence ! Petit pays ruiné par un dictateur médiocre, l’Iraq a néanmoins entretenu ses propagandistes rétribués, écoutés avec componction par une poignée de dupes. A l’autre extrême, les officines américaines de communication ont présenté l’Iraq sous les traits du chef diabolique menaçant la paix du monde.

Les arrière-plans manichéens conviennent au spectacle des opérations militaires. Mais ceux qui se soucient des conditions politiques de la paix au Moyen Orient savent qu’il leur faut balayer les clichés et prendre la mesure de la complexité des choses. Vu de loin, l’Iraq est un pays qui vit sous une dictature agonisante et qui s’apprête à instaurer la démocratie. Mais plus on s’en rapproche, plus on découvre les contrastes et les contradictions qui font que la question irakienne est aussi délicate à appréhender par les chancelleries que par les Irakiens eux-mêmes. Comment l’honnête homme européen peut-il s’y retrouver ?

Pour ce morceau de l’Orient compliqué, une réponse : acheter le livre de Pierre-Jean Luizard (1), lire attentivement ces pages écrites par un chercheur arabisant, qui connaît intimement l’Iraq et l’ensemble du Moyen-Orient, conserver le volume portée de la main lorsque les problèmes de la reconstruction du pays commenceront de se poser.

En attendant l’issue militaire, de solides révisions historiques s’imposent. Le proche avenir n’est certainement pas déterminé tout entier par le passé, mais il importe de se souvenir que l’Iraq est un ensemble récent, constitué après la première guerre mondiale par la réunion de trois vilayet ottomans placés sous l’égide d’une monarchie à l’anglaise sous influence britannique. Il est indispensable d’étudier la diversité des peuples (arabes, kurdes), des religions (sunnites, chiites, chrétiens, assyriens), des groupes sociaux et politiques, des tribus qui entrent dans la composition du pays. Composé instable, explosif dans la mesure où chaque groupe humain a été tour à tour bourreau et victime d’un ou de plusieurs autres.

Bien entendu, Pierre-Jean Luizard montre comment Saddam Hussein a installé sa dictature constamment sanguinaire : massacres, de terreur méthodique, exploitation de rivalités et assassinats au sein de son propre clan. Honte, honte à ceux qui, dans certains partis de gauche, célébraient le progressisme du parti Baas et le caractère laïc de l’Etat irakien. Le Baas n’est que la vitrine d’une tyrannie familiale, Saddam Hussein a ruiné l’économie d’un pays riche d’eau et de pétrole, et ce prétendu nationaliste, soutenu par la famille Le Pen, a conforté son pouvoir par l’éclatement de la société irakienne en tribus. Découvrant ou redécouvrant cet enfer, on devine la haine de la population irakienne (militaires compris) pour le raïs et pour ses hommes de main.

Mais c’est surtout l’avenir que Pierre-Jean Luizard éclaire remarquablement. Au-delà de la confrontation entre Saddam Hussein et les Etats-Unis (dont le jeu diplomatique fut pour le moins fluctuant), il faut prendre en compte la politique de l’Iran, de la Turquie, les intérêts géostratégiques et pétroliers des parties en présence… Aux rivalités extérieures, qui vont s’accentuer dans les mois à venir, il faut ajouter les luttes entre les représentants de l’opposition – qui reflètent les conflits et les ressentiments accumulés au fil des décennies. Kurdes de différentes tendances, nationalistes arabes, chiites, communistes, libéraux sont autant d’étiquettes qui recouvrent des alliances et des inimitiés qui réservent de dangereuses surprises. « Lors des sanglants événements de l’automne 1996 au Kurdistan, écrit P-J. Luizard, le clan arabe sunnite des Takriti [celui de Saddam] s’est allié au clan Kurde des Barzani contre l’autre clan kurde des Talabani, l’intérêt du clan passant devant celui du mouvement national kurde ». On voit dans quelle poudrière les anglo-américains viennent d’entrer, toutes fusées allumées.

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(1) Pierre-Jean Luizard, La question irakienne, Fayard, 2002. 20 €.

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