La violence et l’Etat

Mai 6, 1982 | Res Publica

 

Le terrible attentat de la rue Marbeuf a relancé de façon particulièrement cruelle le débat sur la sécurité qui agitait, l’autre semaine, les sphères gouvernementales. Rien n’était plus néfaste que les déclarations intempestives de M. Defferre qui tentait, pour satisfaire certaines revendications policières, une sorte de coup de force à l’intérieur du gouvernement. De retour du Japon, le Président de la République a mis bon ordre à la confusion qui s’était installée, à la grande joie de l’opposition. Le trouble demeure cependant, quant à la conception du pouvoir politique exprimée par le Premier Ministre. En essayant de dépasser la controverse juridique, M. Pierre Mauroy a développé, dans son fameux article du « Monde », une thèse sur l’exemplarité du débat public dans le gouvernement qui a relancé, sur un autre plan et avec d’autres acteurs, la polémique. Faute tactique qui se doublait d’une erreur grave sur la nature de l’Etat. En assimilant les polémiques entre ministres aux controverses entre les dirigeants socialistes pendant les congrès et les conventions du P.S., le Premier Ministre a montré qu’il ne faisait guère de différence entre l’Etat et le parti.

La confusion est dangereuse. Non parce qu’elle annonce un totalitarisme dont les socialistes n’ont pas les moyens, mais parce qu’elle empêcherait, si elle devait inspirer l’action du gouvernement, que soient posées les conditions de la justice sociale dans notre pays. Il faut dire, encore une fois, que l’Etat ne peut être partie prenante dans le jeu des forces politiques et sociales et, en même temps, arbitre entre ces forces. Que l’Etat est fait pour servir l’ensemble de la communauté nationale et non les intérêts et les clientèles de tel ou tel parti politique. Qu’un Etat qui serait confisqué par la gauche ne remplirait pas plus sa mission que celui qui, après le départ du général de Gaulle, était tombé aux mains de la droite.

La Constitution de la Vème République permet une indépendance relative de l’Etat, et rend l’arbitrage juridiquement possible. M. Mitterrand l’a compris et rien, dans l’attitude qu’il observe depuis un an, ne permet de dire qu’il se comporte en partisan. Il est dommage que le Premier Ministre, tout en accomplissant courageusement sa tâche, ne paraisse pas comprendre que l’Etat n’est pas une organisation comme les autres, que le service éminent de la Justice ne peut être ramené au rôle joué par un parti politique, et que les débats de congrès ne peuvent être comparés à l’expression de l’autorité de l’Etat. Il est étonnant que ces vérités simples n’inspirent pas encore pleinement ceux qui ont reçu la charge des affaires publiques. Or cette question est rien moins que théorique, au moment où l’Etat et la nation ont à affronter l’épreuve du terrorisme.

LOGIQUE DE LA VIOLENCE

Spectateurs lointains, et souvent indifférents, des drames d’Italie et d’Espagne, les Français sentent qu’ils risquent maintenant d’être directement confrontés à cette violence ouverte. Or le pire est à craindre, si celle-ci se développait. Chacun sait que, par-delà les personnes et les biens, le terrorisme cherche à « déstabiliser » la société. Or le relâchement des liens sociaux rend la France particulièrement vulnérable à une telle entreprise. Dans un pays où les certitudes s’estompent, où les solidarités entre les personnes s’atténuent, la peur née d’une violence aveugle peut engendrer, très rapidement, une haine tout aussi aveugle qui put se retourner contre n’importe quel groupe, contre n’importe quelle personne. C’est dire que, dans une telle situation, chacun doit devenir responsable de tous les autres. Et que, si cela n’est pas possible dans un premier temps, ceux qui parlent, écrivent et agissent doivent donner l’exemple de la fermeté, du calme, et de la lucidité.

Il faut malheureusement constater que cela ne s’est pas produit après l’attentat de la rue Marbeuf. Loin de manifester leur solidarité dans l’épreuve, certains responsables politiques n’ont vu dans ce nouveau drame qu’une occasion de régler des comptes. Ainsi, il était particulièrement scandaleux d’entendre un ancien président de la République, qui avait eu une attitude douteuse au moment de Copernic et qui avait couvert des propos indignes, donner des leçons au gouvernement. Pire encore : la semaine de l’attentat, paraissait dans « Paris-Match » une enquête sur l’arrestation d’une jeune fille soupçonnée de terrorisme. Ce numéro « agrémenté » de photos aguicheuses (qui durent être retirées) était annoncé par une publicité massive : « dites-vous, concluait le texte, que Joëlle pourrait être quelqu’un de proche de vous ». Ces mots, écrits par un irresponsable, sont fait pour vendre du papier. Mais ils contiennent un appel à la chasse aux suspects, à la délation, voire à la vengeance aveugle. Si nous en venons à penser que notre voisin peut être un terroriste, si nous en venons à pourchasser ceux ou celles qui correspondraient au portrait-robot du jour -tantôt une étudiante en pantalons, tantôt un homme au teint basané – nous entrerons dans la logique qui conduit à l’éclatement de la société.

Il ne faut pas permettre aux terroristes d’enclencher certains mécanismes, utilisant la démagogie ou la crapulerie de ceux qui se prétendent les meilleurs défenseurs de l’ordre. Heureusement, la réaction de l’Etat a été, cette fois, exemplaire. En distinguant soigneusement entre le terrorisme importé de l’étranger et les actions de nos jeunes révoltés, le gouvernement et le Président de la République ont montré qu’ils comprenaient l’enjeu de la lutte et mesuraient les véritables dangers. Il importe qu’au moins sur ce terrain l’Etat soit compris et soutenu par les citoyens et par ceux qui prétendent inspirer l’opinion publique.

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Editorial du numéro 359 de « Royaliste » – 6 mai 1982

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