Les Français aiment leur armée. Pourtant, Catherine Durandin montre (1) qu’ils ne sont pas assez soucieux des sacrifices consentis par les soldats, du ressentiment qui gagne le corps des officiers, de l’affaiblissement qui est provoqué par les économies budgétaires, de l’évolution vers une privatisation de la guerre…

 Au 20ème siècle, l’armée française a connu bien des bouleversements : les guerres de masse pour la défense du territoire national, les guerres coloniales, la dissuasion nucléaire qui a radicalement changé les données stratégiques puis maintes opérations extérieures en Afrique, dans les Balkans, en Afghanistan. Au fil des commémorations, le souvenir des deux guerres mondiales reste très vivant mais les déchirures de la guerre d’Algérie sont passées sous silence ; les Français, qui aiment leur armée d’autant plus fort qu’ils ne font plus leur Service, n’ont pas suivi avec une attention soutenue les sacrifices qui ont été consentis par nos soldats dans des missions de maintien de la paix ou lorsqu’ils ont été fourvoyés dans l’agression de la Yougoslavie ou dans l’absurde guerre d’Afghanistan. Et si les « guerres humanitaires » ont la faveur des médias, le colonel Goya rappelait récemment que les « guerres sans ennemi » où nous tentons aimablement de nous interposer, ont coûté la vie de 158 soldats français au Liban, 55 en ex-Yougoslavie et 27 en Côte d’Ivoire.

Certes, la guerre est devenue invraisemblable en Europe de l’Ouest et cette perspective paraît aujourd’hui tellement étrange que la mort de nos soldats, au loin, est regardée comme un accident : après l’embuscade d’Uzbin en 2008, des familles ont porté plainte afin que la justice détermine les fautes éventuelles du commandement ! Si certains ne comprennent plus la guerre et le fait qu’on puisse y mourir pour la France, cela tient surtout à l’attitude des dirigeants politiques qui peuvent engager l’armée – en Libye, au Tchad – mais qui voudraient qu’elle coûte de moins en moins cher. Pour eux, la Défense nationale est un budget comme les autres, qui doit être réduit comme les autres pour satisfaire à un dogme imbécile. Il importe peu, aux yeux des comptables, que les soldats sous-équipés soient mal protégés.

D’où l’immense malaise que souligne Catherine Durandin : « les soldats ne revendiquent pas d’être traités en héros – ce sont des professionnels – mais ils n’admettent pas d’être les boucs émissaires de politiques mal conduites ou incertaines  – c’est le cas en Afghanistan – et de tomber sous les flashs des médias qui veulent répondre au besoin d’émotionnel émanant de la société civile ». Ce malaise peut conduire au ressentiment et à la colère, sans que l’Armée soit tentée d’intervenir dans le champ politique comme ce fut le cas pendant la guerre d’Algérie. Pourtant, malgré les difficultés qui l’assaillent, l’Armée attire : chaque année, elle reçoit 15 000 jeunes – 10{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} sont des filles – et en recrute huit à neuf mille. L’antimilitarisme a disparu : 85{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des lycéens font confiance à l’Armée, regardée selon son image traditionnelle et dans un refus de la guerre qui est le fruit de la mentalité générale.

L’avenir est sombre. La frénésie des coupes budgétaires va continuer, le Livre blanc rédigé après la sortie du livre de Catherine Durandin confirme la déflation et l’orientation occidentaliste marquée sous le précédant quinquennat par le retour dans le commandement intégré de l’Otan (2). Autre menace : le développement du mercenariat, pourtant interdit et punit par la loi. Nous risquons cependant de glisser sur la pente où les Anglais et les Américains nous ont allègrement précédés. Il y a un marché de la sécurité pour la protection des navires de commerce et des entreprises installées dans des pays instables ou plus largement, dit un rapport, pour la « gestion » du maintien de la paix. La demande existe et l’offre est déjà représentée en France par des « entreprises de services de sécurité et de défense » (ESSD) qui ne demandent qu’à croître et à prospérer. On se souvient des exactions commises par les mercenaires en Irak et en Afghanistan, qui devrait inciter à proscrire les sociétés militaires privées. Mais il semble que les dirigeants politiques seront un jour ou l’autre forcés de plier devant une évolution qui est considérée comme inéluctable parce qu’on sait qu’ils n’auront pas la volonté de résister à ce qui constitue une atteinte inadmissible à la souveraineté de l’Etat.

Dans sa conclusion, Catherine Durandin examine les solutions qui permettraient de renforcer notre armée. La création d’une Garde nationale ? La thèse séduit maints esprits mais on ne voit pas l’intérêt de créer une nouvelle gendarmerie – alors que la Gendarmerie nationale accomplit remarquablement les tâches qui lui sont confiées. En revanche, il paraît judicieux de développer les deux composantes de la réserve, « opérationnelle » et « citoyenne »…

De notre point de vue (3), il est essentiel d’inverser l’ordre des priorités en soumettant les questions budgétaires aux impératifs de la défense du territoire, au développement du secteur de l’armement – qui doit être nationalisée – et à la nécessité de mener nos opérations extérieures de manière autonome.  Rompre avec l’austérité budgétaire, faire du budget le moyen et non la fin d’une politique, cela implique la sortie de la zone euro qui nous permettra de retrouver la capacité de créer toute la monnaie nécessaire à la réalisation du projet national. Gardons à l’esprit ce objectif  stratégique.

***

(1)    Catherine Durandin, Le déclin de l’armée française, François Bourin Editeur, 2013.

(2)    Cf. l’étude de Benoist Bihan : Défense & Sécurité Internationale, numéro 93, juin 2013.

(3)    CF. la motion sur la politique militaire de la France adoptée lors du 32ème congrès de la NAR, Royaliste numéro 1034.

Article publié dans le numéro 1039 de « Royaliste » – 2013

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1 Commentaire

  1. OLIVIER COMTE

    Je ne suis pas la presse française et l’ idée extravagante
    que les familles des soldats morts puissent dénoncer et demander réparation, pour faute, au commandement, me semble suivre tristement l’ exemple britannique.
    Ces actions irresponsables étant soutenues par une presse
    britannique qui exploite un nationalisme démagogique et dénonce toujours le manque d ‘équipement.
    En France, la presse avait cru devoir soutenir un scandale imaginé de sévices sexuels chez les sapeurs pompiers, les accusés n’ ayant pas été soutenus par le commandement.
    L’ idée de combats sans morts soutient évidemment la corruption du devoir et de l’ honneur patriotiques par le mercenariat.
    Le plus important reste l’ ignorance ou le mépris des nécessités budgétaires. Particulièrement du rôle central que
    l’ industrie d’ armement a toujours joué dans le développement de la recherche et de l’ industrie française.
    Le fiasco du rejet du RAFALE par nos amis Suisses semble vite oublié.
    Le Front National vit sur le seul passé militaire de la France, exploité de façon partisane, et n’ a aucune politique de Défense.