« Le sel de la souveraineté »

Sep 7, 2017 | Res Publica | 1 commentaire

 

Emmanuel Macron lit des livres et le fait savoir. Dans l’entretien publié le 31 août par Le Point, le président de la République cite Fernand Braudel et Emmanuel Levinas, fait allusion au Léviathan de Thomas Hobbes, évoque la « révolution copernicienne » du chômage et déclare que dans notre « monde schumpetérien » il faut libérer le processus de « destruction créatrice ». C’est impressionnant, aussi impressionnant que le beau parleur des dîners-en-ville pour qui tout pari est pascalien et tout impératif kantien.

Il ne suffit pas d’enchaîner les citations, il faut encore qu’elles soutiennent la cohérence d’une pensée. Par exemple, on peut douter que la philosophie de Levinas soit compatible avec la « destruction créatrice » dans les sociétés ultralibérales. Il ne suffit pas non plus d’aligner les belles formules sur le nouvel humanisme et sur un « héroïsme politique » qui serait à retrouver : il faut en donner la traduction politique précise si l’on ne veut pas être accusé de payer le peuple de mots sonores. Nous verrons si l’humanisme et l’héroïsme se concrétisent dans les mois qui viennent mais il y a au moins un point sur lequel Emmanuel Macron se montre plat sophiste – lorsqu’il expose ses projets pour l’Union européenne.

Selon le président de la République, « l’Europe doit retrouver le sel de la souveraineté ». L’expression est énigmatique. Faut-il y voir une référence biblique au sel de l’Alliance, une référence évangélique à la terre des hommes nourrie du sel des vertus cardinales et théologales ? L’élu du 7 mai se place certes dans le domaine de la croyance – « je crois en l’Europe » – mais ce n’est vraiment pas la peine de désigner les hauteurs où souffle l’Esprit si c’est pour nous vendre les salades défraîchies de l’Europe démocratique, de l’Europe de la défense et des « standards communs en matière sociale, fiscale et environnementale » qui seraient à « retrouver ».

Emmanuel Macron dit que sa croyance le rend « lucide, donc critique ». Il devrait donc avoir la lucidité de reconnaître que les organes de l’Union sont anti-démocratiques, que l’Europe sociale est aussi incompatible avec la logique ultralibérale que « l’Europe qui protège sur le plan commercial », dont il souligne par ailleurs la nécessité. Il devrait donc avoir la lucidité de reconnaître que la zone euro est un système de contrainte politique régenté par l’Allemagne au lieu d’annoncer qu’il va plaider pour que la zone euro se dote d’une capacité budgétaire, d’un parlement et d’un exécutif. Construire une usine à gaz pour dix-huit pays dans l’usine à gaz des vingt-sept Etats-membres : ce n’est pas avec ça que l’élu du 7 mai va pulvériser l’hydre populiste.

L’Union européenne est un tel nœud de contradictions qu’il faudrait trancher dans le vif, faire exploser la zone euro, quitter l’Otan et présenter un plan d’organisation confédérale du continent européen assorti de programmes de coopération interétatiques en vue du nouveau mode de développement. Emmanuel Macron est engagé dans la voie contraire, celle de l’enfermement européiste. Ses propos sur la grandeur d’une France qui doit « redevenir une puissance tout court » visent à adoucir l’aveu brutal énoncé un peu plus haut en ces termes : « …je crois que l’Europe est le niveau approprié pour recouvrer notre pleine souveraineté dans les domaines qui ne relèvent plus du seul champ national… ».

En vague écho aux théories du Contrat, Emmanuel Macron nous dit que la souveraineté nationale que nous avons perdue sera retrouvée dans l’Europe souveraine, dont le citoyen français demande la protection de la même manière que chez Hobbes l’individu livré à la guerre de tous contre tous renonce à la liberté au profit du Léviathan – l’Etat absolutiste –  qui va désormais le protéger. Le schéma macronien exclut la démocratie qu’il invoque dans le même texte et constitue une parfaite illusion : la souveraineté nationale, que nous avons refusé d’abandonner en 2005 mais qui a été livrée par morceaux à Bruxelles et Francfort, ne peut être recouvrée au niveau européen parce qu’il n’y a pas d’Etat souverain, légitime et légalement constitutionnel mais un empilement d’organes étrangers au principe de séparation des pouvoirs et placés sous domination allemande. Nul ne sera dupe de ce tour de passe-passe.

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Editorial du numéro 1127 de « Royaliste » – 2017

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1 Commentaire

  1. Denis Monod-Broca

    Encore et toujours une « autre Europe »

    Cohn-Bendit est partisan d’une « Europe souveraine faite de nations souveraines ». Il l’a souvent dit. La formule est toute simple mais la proposition est absurde : soit une nation est souveraine soit elle se fond dans un ensemble lui-même souverain. Les deux ne sont pas possibles à la fois, ou bien « souverain » n’a plus de sens. Ni le canton de Vaud, ni le land de Bavière, ni l’état de Californie n’est souverain. La Suisse, l’Allemagne, les USA le sont. Dans une Europe devenue puissance souveraine la France n’aurait plus aucune souveraineté. Ni les autres pays-membres d’ailleurs, sauf le pays dominant l’ensemble s’il y en a un, en l’occurrence l’Allemagne. Croire le contraire, c’est prendre une vessie pour une lanterne. Chercher à nous le faire croire c’est nous prendre pour des imbéciles.
    À Cohn-Bendit, il suffit de ces quelques mots. À Macron il a fallu hier la colline de la Pnyx, une mise en scène publicitaire façon Hollywood, le soleil se couchant derrière le Parthénon illuminé et un long prêche ampoulé plein de bons sentiments, de formules toutes faites et de poncifs éculés… mais l’absurdité est la même chez l’un et chez l’autre : une nation pourrait selon eux à la fois être souveraine et ne pas être souveraine. C’est dénué de sens.
    Les européistes et les eurosceptiques se rejoignent sur un point : l’actuelle menaçant ruine, il nous faut une « autre Europe ». Mais ils se séparent sur ce que devrait être cette « autre Europe » : les européistes poursuivent un rêve désormais irréversiblement impossible, les États-Unis d’Europe, les eurosceptiques, eux, pour la plupart, appellent de leurs vœux une très réaliste « Europe des nations ». Le rêve malheureusement tient toujours le haut du pavé, il mène au pire. L' »Europe en construction », trop prétentieux projet, moderne tour de Babel, s’effondrera. Difficile d’en douter.