L’épreuve du terrorisme

Oct 1, 1986 | Res Publica

 

Face au terrorisme, il faut dire et répéter inlassablement les évidences qui permettent de résister à la panique et aux mauvais réflexes que les poseurs de bombes veulent provoquer. Leur menace pèse sur chacun, Français de naissance ou de choix, immigrés, hôtes étrangers, et notre capacité commune de résistance dépend de l’attitude de chacun.

Nous savons que la violence terroriste n’est pas aveugle, mais diabolique au premier sens du mot : elle cherche à dissocier la nation et l’Etat, à déstabiliser la société, donc à distendre ou à détruire les liens qui nous unissent. En jetant la suspicion sur le pouvoir, le terrorisme vise à l’affaiblir. En semant la mort, il veut que nous fassions pression sur ce pouvoir affaibli pour qu’il cède. Céder, c’est consentir è vivre sous le chantage permanent, scandé de nouveaux attentats car on ne cède jamais assez, ni assez vite. Céder, c’est réduire la politique à une série de mesures prises dans la panique ou dans la peur de la panique. C’est accepter qu’il n’y ait plus de justice. C’est finalement compromettre l’unité même du pays car un pouvoir discrédité n’est plus reconnu par les citoyens, car les groupes dissociés se protégeront et se vengeront par eux-mêmes.

L’UNITE

Cela, nous l’avons presque tous immédiatement compris. Nous savons que, par-delà son aspect policier, l’épreuve est essentiellement politique puisqu’elle met en jeu la légitimité du pouvoir et, au sens le plus fort du terme, la solidarité sociale (1). Et nous savons par conséquent comment relever le défi terroriste, vivre un temps, peut-être longtemps, sous sa menace et finalement l’écarter. S’affirme en effet une ligne de conduite individuelle et collective dont personne ne doit ou ne devrait dévier :

– le pouvoir politique doit être soutenu tel qu’il est, dans sa légitimité telle qu’elle est. Cela signifie notamment que les supputations sur la coexistence doivent être renvoyées à des temps plus paisibles, que la continuité et la fermeté de l’action diplomatique de la France doit être encouragée, que les mesures techniques de protection doivent être acceptées, sous réserve de critiques ultérieures. Ce consentement ne signifie pas une soumission aveugle à l’autorité. L’adhésion donnée est en même temps une exigence : si le pouvoir est reconnu et soutenu, c’est parce qu’il est le garant de l’unité du pays, de la justice et de la liberté en celui-ci. Si les citoyens ont, le temps de l’épreuve, à mettre entre parenthèses les critiques et les conflits qui peuvent l’affaiblir, le pouvoir doit donner l’exemple de l’unité et veiller au maintien de l’Etat de droit. Toute contradiction au sein de l’Etat, toute entorse aux principes de la Justice, toute mesure arbitraire (2), seraient exploitées par des terroristes qui cherchent à démontrer l’illégitimité de l’Etat et à nous dresser contre lui.

– Le maintien et le renforcement de la solidarité sociale dépendent aussi de l’attitude de tous ceux qui ont une influence sur l’opinion, qu’il s’agisse des représentants des familles spirituelles, des responsables politiques, des syndicalistes, des journalistes. Nul n’attend d’eux un unanimisme béat et une apologie de tous les actes du pouvoir. Les débats, les enquêtes, les luttes politiques et sociales doivent continuer comme en temps ordinaires, ne serait-ce que pour prouver que la démocratie fonctionne malgré la terreur. Mais qui mettrait en doute la légitimité de l’Etat, qui exciterait l’opinion contre des boucs émissaires, qui inciterait au viol des règles de droit, entrerait dans le jeu du terrorisme.

EXCEPTIONS

Chacun constate que le Président de la République, le Premier ministre et les membres du gouvernement, l’ensemble des autorités morales et spirituelles et la plupart des responsables politiques suivent cette ligne de conduite. Trois exceptions doivent cependant être relevées et condamnées :

– D’abord la polémique indécente qui a opposé deux anciens patrons du SDECE-DGSE, MM. Marion et de Marenches. Sortant de leur devoir de réserve pour régler des comptes personnels et politiques, ils ont tous deux jeté un doute grave et vraiment superflu sur l’efficacité des services secrets, M. Marion allant jusqu’à mettre en cause la capacité du Président de la République.

– Ensuite les critiques inopportunes du Parti communiste sur les mesures anti-terroristes, qui visent à ruiner la confiance nécessaire, et les déclarations de M. Lajoinie sur la responsabilité d’Israël et des Etats-Unis dans les attentats. Souvent distrayant, le délire ordinaire de la direction communiste passe la frontière du ridicule pour tomber dans l’odieux.

– Enfin la provocation du Front national appelant à manifester à Paris le 22 septembre. Professionnel du patriotisme et de l’anti-terrorisme, M. Le Pen est apparu, devant l’Opéra, sous son vrai jour : irresponsable, démagogue, et aussi odieux que M. Lajoinie quoique que d’une autre manière. Quand un Premier ministre est confronté au terrorisme, on ne lui jette pas de défi. Quand la police doit assurer la protection de la population, on ne la distrait pas de sa tâche en bravant l’interdiction de manifester. Quand le pays est meurtri, on ne songe pas à ramasser des voix. Enfin, et surtout, on n’incite pas à la haine des immigrés et des étrangers quand on a sous les yeux la liste des victimes du terrorisme. Rue de Rennes, il y a eu cinq morts : une Française de naissance, deux Français nés aux Comores, une Française d’origine marocaine et une autre d’origine tunisienne. Parmi les 39 blessés graves, on dénombre 24 Français et 15 étrangers : un Comorien, quatre Algériens, deux Portugais, deux Egyptiens, deux Libanais, un Panaméen, un Tunisien, un Marocain et un Iranien (3). M. Le Pen ne sait pas ce que c ‘est que la France.

***

(1) Cf. notre dossier en page 6 et 7.

(2) Aux côtés de cent organisations, la NAR a condamné l’expulsion de tout étranger sur lequel aucune charge ne pèse.

(3) « Le Monde » du 23 septembre.

Editorial du numéro 455 de « Royaliste » – 1er octobre 1986

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