La vérité échappe, et le réel vacille. Voici le temps de l’illusion, du simulacre, de l’imposture. Le faux serait-il devenu une valeur-refuge ?

Ils courent sur la haute plaine, les souriants vainqueurs. Bas dessus-bras dessous, chemises blanches, cravates au vent, leurs visages joyeux disent déjà le demain qui chante… Chacun connaît cette affiche électorale, et sait que tout est faux. Chirac et ses amis sont en studio, ils disent « ouistiti-sexe » et ce n’est pas le vent des alpages, mais une soufflerie, qui fait voler leurs cravates.

On aurait tort d’incriminer la seule propagande politique. Celle-ci ne fait que refléter l’air du temps, la vogue actuelle du simili, du strass, du décor, de l’illusion qui se donne comme telle. Voici donc l’ère du faux (1) symptomatique d’une période de crise, dont l’excellente revue « Autrement » dévoile les multiples aspects. Masques et maquillages, mascarades et trompe-l’œil, mensonges et fausse monnaie sont bien sûr de tous les temps, mais jamais nous n’avons tant délaissé la chose même, jamais l’artifice n’avait exercé un tel pouvoir. A l’angoisse née de l’effondrement des valeurs et de la perte du sens, nous répondons par l’humour, le clin d’œil et le jeu des miroirs.

Le faux est sans doute plus amusant que le vrai. Plus sérieusement, on aurait tort de répudier vertueusement l’apparence, qui n’est pas sans secret. Mais il faut aussi se méfier de ses pièges. Nul ne le montre mieux que Jean Baudrillard, qui étudie le « malin génie de l’image », sa séduction perverse. Devant l’image, dit-il, nous sommes d’une naïveté totale, nous croyons qu’elle porte en elle une morale, un sens, une information. Tel n’est pas le cas. Si la peinture et le dessin faisaient rêver et donnaient à imaginer, le cinéma et la télévision détruisent la représentation et font disparaître le sens. L’image moderne est au-delà du vrai et du faux, du bien et du mal. La vedette de cinéma ne fait plus rêver, elle est le rêve même. L’érotisme filmique ne suscite pas le désir sexuel, ce sont les images, se multipliant à l’infini, qui sont devenues « le seul objet de notre désir ».

Devant cette image objective et transparente, obscène au premier sens du mot (qui est sur le devant de la scène) il n’y a plus de regard mais un œil fasciné. « Pour qu’il y ait regard, dit Baudrillard, il faut qu’un objet se voile et se dévoile, qu’il disparaisse à chaque instant… » alors que l’image moderne, qui montre tout, efface la surprise, détruit le secret, empêche l’imagination. D’où le paradoxe d’une image qui nous dit à la fois l’impossibilité du réel et de l’imaginaire. L’ère du faux est aussi l’ère du vide.

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(1)    Revue « Autrement » numéro 76 janvier 1986.

Article publié dans le numéro 445 de « Royaliste » –  12 mars 1986.

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