Cent jours font un chiffre rond. Le nouveau pouvoir n’a pas demandé d’être jugé sur un aussi bref délai et pourtant, les vacances à peine terminées, certains publiaient à grand fracas la fin de l’«état de grâce». Il faut beaucoup d’aplomb pour dire ce qu’il en est d’une réalité aussi impalpable. A moins que cette « révélation » ne traduise l’attente malsaine de l’opposition de droite qui, toujours dépourvue de projet de rechange, espère que l’effondrement de son adversaire suffira à lui donner la revanche.

Il ne peut être question de suivre la droite dans cette politique du pire. D’abord par ce que nous ne souhaitons pas le retour à l’ordre ancien, qui était celui du pur conservatisme. Mais surtout parce que, sans aliéner la moindre parcelle de notre indépendance, nous estimons qu’il faut continuer de donner ses chances à M. Mitterrand dont le projet politique rejoint, au moins partiellement, nos propres aspirations. Cela ne signifie ni l’inconditionnalité, ni l’approbation sans réserve, ni le soutien sans nuances : bien au contraire, la politique suivie depuis trois mois, souvent juste dans son principe, nous paraît marquée d’un certain nombre de fautes, d’incohérences et d’incertitudes.

PREMIERS CHANGEMENTS

Certes, les royalistes ne peuvent que se féliciter du projet de décentralisation : n’avons-nous pas toujours demandé la suppression de la tutelle des préfets sur les communes et les départements, et la reconnaissance de la région comme collectivité territoriale ? Il ne faudrait pas, cependant, que cette réforme demeure purement administrative – d’où la nécessité d’une décentralisation économique et culturelle – et que les structures centralisées des appareils politiques ne viennent pas détruire ce qui aura été juridiquement accordé. Nous ne nous plaindrons pas non plus des mesures de justice sociale – notamment en faveur des travailleurs immigrés- ni des plans de réforme fiscale, sous réserve toutefois d’un examen approfondi.

En revanche, le gouvernement aurait dû s’abstenir d’annoncer des mesures spectaculaires sans réflexion préalable. Ainsi l’affaire du vote des immigrés, mal préparée et vite retirée, ou encore cette décision, inutilement provocatrice, de commémorer la « date nationale » du 19 mars 1962. Enfin, comment ne pas être déçu par le projet de loi sur les radios libres, qui prévoit de simples dérogations, limite les possibilités de diffusion et laisse dans l’ombre la question – délicate il est vrai – du mode de financement.

Pour la plupart des Français, ces erreurs et ces timidités paraîtront d’une moindre importance que la conduite de la politique économique : c’est sur ce point, chacun le sait, que le gouvernement sera jugé. Or l’inflation n’est pas maîtrisée, il y a maintenant 1.800.000 chômeurs et le déficit de notre commerce extérieur atteint 3,8 milliards de francs.

Il est vrai que le gouvernement Mauroy hérite d’une gestion particulièrement catastrophique : personne ne saurait donc lui reprocher de ne pas avoir fait disparaître, en quelques mois, les conséquences des erreurs accumulées pendant sept ans. Il n’empêche que, depuis le 10 mai, la conduite de la politique économique a parfois semblé incertaine, voire incohérente. Comme si le « changement » n’avait pas été mûrement réfléchi tout au long des années d’opposition… D’une part, le projet industriel global est resté trop longtemps dans le flou. D’autre part, le gouvernement n’a pas cru devoir prendre immédiatement des mesures de protection de l’industrie nationale, tout en se laissant aller, sur le plan agricole et sous la pression de sa clientèle, à un protectionnisme caricatural, contre un pays – l’Italie – vers lequel nous exportons beaucoup, et en violation des principes européens qui lui sont chers !

LE PLAN MAUROY

La déclaration de M. Mauroy devant l’Assemblée, le 15 septembre dernier, est heureusement venue clarifier les choses. Il est bon que le gouvernement comprenne l’importance des mutations technologiques et décide de développer massivement la recherche. Il est utile de mettre en œuvre une politique de grands travaux qui permettra de relancer l’activité. Il est judicieux de concevoir l’aménagement du temps de travail de façon « négociée et multiforme » et de décentraliser les aides à l’emploi. Il faut aussi se féliciter de la conception développée par le Premier Ministre en matière de nationalisation même si, comme nous l’expliquons dans ce numéro, les mesures concernant les groupes Thomson et Matra nous semblent manquer de logique. Enfin, M. Mauroy a eu raison de mettre l’accent sur la reconquête du marché intérieur, qui est la condition de toute politique de relance et d’une lutte efficace contre le chômage. Encore faut-il cesser de concevoir la protection nécessaire de nos activités dans le cadre d’une Europe trop intégrée dans la zone atlantique et, après les déclarations d’intention, prendre les mesures concrètes qui s’imposent.

Reste à savoir quelle sera l’évolution des relations entre l’Etat et le parti majoritaire. Certes, M. Jospin a récemment déclaré qu’il « ne fallait pas confondre le gouvernement et le parti ». Mais alors, pourquoi M. Bérégovoy, secrétaire général de l’Elysée, a-t-il participé à l’ensemble des travaux du Comité directeur du Parti socialiste ? M. Mitterrand ne remplirait pas les devoirs de sa charge s’il laissait un Etat-P.S. succéder à l’Etat-Giscard. Telles sont nos approbations, nos réserves et nos doutes. Nous ne cesserons de les exprimer librement, sans souci de plaire à l’un ou l’autre camp.

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Editorial du numéro 343 de « Royaliste » – 24 septembre 1981

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