Chronique 50 : Lettre à Arnaud Montebourg sur la France, le socialisme et la gauche (2)

Jan 20, 2012 | Chronique politique, Res Publica | 1 commentaire

Monsieur le Député,

Vous auriez tort de vous réjouir de l’échec de la monarchie constitutionnelle en France. Cette forme de gouvernement républicain a assuré le passage de l’absolutisme à la démocratie chez nos voisins. Dans notre pays, la République « républicaine » s’est définie négativement – organiser l’humanité sans roi et sans Dieu – et plus précisément dans la négation de l’Etat monarchique et royal … Notre République est bien heureusement laïque et ce principe fondamental garantit la liberté : les métaphysiciens et les théologiens sont libres d’affirmer ou d’infirmer l’origine divine du pouvoir ; chacun peut pratiquer en France la religion de son choix ou professer diverses formes d’irréligion. Voilà qui satisfait le républicain que je suis et qui conforte le royaliste : l’affirmation laïque commence avec Philippe Le Bel – François Mitterrand en convenait – et chaque fois que la monarchie a mené une politique catholique ce fut une tragédie : la Saint Barthélémy et la Révocation de l’Edit de Nantes pèseront toujours sur notre mémoire.

Mais l’abolition de la monarchie ? Elle était concevable si les républicanistes avaient réussi à concevoir un Etat sans roi, ce qui supposait une refondation du pouvoir et une redéfinition de l’autorité légitime. De la légitimité, la gauche ne veut pas entendre parler et ses dirigeants successifs ont pensé qu’il suffirait d’établir une légalité républicaine. Toute la symbolique du pouvoir lui échappait mais, après tout, on pouvait estimer que c’était là une vieillerie. Cependant, il était tout aussi indispensable d’organiser le gouvernement de la nation selon le principe de la séparation des pouvoirs et c’est ce problème qui n’a jamais été effectivement résolu. A partir de 1789, on va d’un extrême à l’autre : on passe de l’Assemblée unique et souveraine au Comité de Salut public, du régime de stricte séparation des pouvoirs (le Directoire) au bonapartisme, du Second Empire autoritaire au régime d’Assemblée qui procède des Constitutions de 1875 et de 1946. Dans cette longue série d’actes constitutionnels manqués, la gauche n’a pas brillé par la pertinence de ses propositions : elle pense depuis 1789 que la Représentation nationale doit détenir la réalité du Pouvoir et que le gouvernement doit être réduit au rôle d’exécutant. On se méfie du Pouvoir, parce cela évoque la monarchie et l’Empire, mais on ne parvient pas à lui donner force et mesure. Le seul avantage de cette posture, c’est qu’on peut s’attribuer tous les prix de vertu démocratique : les élus du peuple sont avec le peuple – du moins ils l’étaient jusqu’aux années quatre-vingt – mais ils ne songent pas que le peuple demande à être gouverné raisonnablement. Et puis, cette vertu politique supposée n’a jamais protégé la gauche des vices qu’elle dénonçait. Nul n’ignore comment de nombreux militants de gauche passés du socialisme au communisme en sont venus à idolâtrer le pouvoir absolu. Vous vous souvenez comme moi de l’esprit courtisan qui régnait dans toute son obscénité au Château quand François Mitterrand était aux affaires. Certains socialistes sont encore à la parade dans les allées du Pouvoir, ce qui n’est vraiment pas glorieux pour des gens qui font la morale au peuple.

Hélas, la courtisanerie est de tous les temps et de tous les régimes. La monarchie française n’a pas été épargnée mais je vous rappelle tout de même que c’est Pascal qui a établi la distinction entre les grandeurs naturelles et les grandeurs d’établissement et indiqué la conduite à tenir à l’égard des hautes classes. Tout en prenant des poses démocratiques, les bourgeois socialistes vainqueurs en 1981 se sont acharnés à gagner l’estime de la bourgeoisie de droite, des médias et de la haute caste financière – comme s’il n’y avait pas d’autre moyen de respecter les électeurs et de se respecter. Je n’insiste pas sur cet égarement notoire car il y eut bien pire dans le ralliement à l’adversaire et le reniement des principes fondamentaux.

Pire, mille fois pire : la trahison massive de militants de la gauche non-communiste qui se sont jetés dans la Collaboration. C’est là un terrible secret, que la gauche a réussi longtemps à cacher, en raison de l’absence de travaux scientifiques sur cette question. Moi aussi, j’ai longtemps cru que la gauche collabo se réduisait à quelques poignées de militants abusés par les personnages toujours cités : Jacques Doriot, Marcel Déat, René Belin, secrétaire général de la CGT. C’est Simon Epstein qui a révélé l’ampleur de la trahison dans deux livres accablants (1) qu’il résumait en ces termes : « L’étude des trajectoires individuelles, au travers de centaines de biographies collaboratrices, le montre bien. C’est la gauche pacifiste (ce n’est pas l’extrême droite nationaliste ou fasciste) qui fut le vecteur principal de la Collaboration. D’où cette conclusion, fort logique. Les antiracistes sont nombreux dans la Collaboration parce que les secteurs de l’opinion où l’antiracisme fut fort, avant la guerre, sont précisément les secteurs qui, pendant la guerre, nourriront la Collaboration » (2).

Je sais bien que l’extrême droite évoque la Collaboration de gauche pour faire oublier la trahison de Joseph Darnand, de Robert Brasillach, de Lucien Rebatet, de Xavier Vallat et de tant d’autres figures du nationalisme et du national-catholicisme qui vécurent le coup de force pétainiste comme une revanche sur le Front populaire. Je n’oublie pas que la Résistance compta dans ses rangs d’admirables militants socialistes, tels Pierre Brossolette, Léo Lagrange et Marx Dormoy. Et nous devons tous nous souvenir, face aux ricanements de l’extrême droite, de l’hommage que Léon Blum, au procès de Riom, rendit à Jean-Pierre Timbaud, secrétaire de l’Union des syndicats métallurgiques CGT de la région parisienne, exécuté par les Allemands  à Chateaubriand le 22 octobre 1941 : « …il a été fusillé et il est mort en chantant La Marseillaise, cette Marseillaise que, malgré tout, nous avions réappris aux ouvriers à chanter, peut-être pas La Marseillaise officielle, peut-être pas La Marseillaise des cortèges officiels et des quais de gare, mais La Marseillaise de Rouget de l’Isle et des volontaires de l’an II, La Marseillaise du groupe de Rude, La Marseillaise de Hugo, ailée et volant dans les balles. C’est comme cela qu’est mort le petit Timbaud et que sont morts beaucoup d’autres» (3).

Vous l’avez compris : je ne cite pas Simon Epstein pour accabler la gauche mais pour prier ses actuels dirigeants de renoncer à la légende d’une gauche qui n’aurait jamais cessé, depuis 1789, de représenter la vertu politique. Comme toutes les familles politiques françaises, vous avez eu votre part d’épreuves. A vous comme aux autres militants, elles enseignent la fragilité de tout engagement, les risques de l’abandon et du reniement auxquels nous sommes tous exposés, à tout instant. « Qui fait l’ange, fait la bête », souvenez-vous…

L’arrogance d’un Lionel Jospin à l’égard des patriotes de droite, à l’égard des hommes et des femmes de la Résistance de droite, n’était pas supportable. Pas plus que la « découverte » des amitiés bizarres de François Mitterrand que nul n’ignorait mais dont les socialistes se sont émus quand le président de la République était affaibli par la maladie. Ce mépris des bien-pensants, qui cachait les compromissions de l’Occupation, était d’autant moins supportable qu’il s’exprimait au moment où la gauche décidait, au nom du « réalisme », de liquider l’héritage de la  Libération.

Je ne vais pas reprendre ce procès justifié, qui vous est d’ailleurs intenté par des militants de gauche qui campent à vos marges et je ne vous rappellerai pas les textes de Léon Blum sur les nationalisations et sur la protection sociale. Permettez-moi cependant un souvenir : lorsque nous avons célébré le soixantième anniversaire du Programme du Conseil national de la Résistance, avec Jacques Nikonoff qui était alors président d’ATAC, les dirigeants du Parti socialiste se signalaient par leur absence. Qu’ont-ils fait du socialisme patriote de Jean Jaurès et de Léon Blum qui disait ceci : « Tous, nous voulons la grandeur de notre pays. En cela, je crois que l’esprit de la Résistance coïncide avec toute notre tradition socialiste. Mais la grandeur de notre pays, nous la voulons d’abord dans un effort de concorde intérieure, pour réaliser la justice sociale » (4). De quel droit les dirigeants socialistes ont-ils contribué à détruire l’œuvre économique et sociale de la Libération qui était le bien commun de toutes les forces de la Résistance – ce bien commun que la droite libérale et le patronat s’emploient à effacer de notre législation ?

Je voudrais que vous m’expliquiez cette lamentable dérive, qui a commencé en 1983. Est-ce par antigaullisme que les dirigeants socialistes ont fait l’impasse sur le patriotisme ? Est-ce par internationalisme qu’ils ont adhéré à l’atlantisme et à la supranationalité européenne – à l’exception de courants minoritaires ?  Les voici Gros Jean comme devant : la crise terminale de l’euro, qui ébranlera profondément l’Union européenne, les prive de la mythologie pauvre de « l’Europe sociale ». Comme le peuple français est resté patriote, il se détourne du Parti socialiste, qui ne peut espérer qu’un vote de rejet en faveur d’un candidat qui n’a pas l’air de savoir que la guerre sociale fait rage en France et en Europe.
Je ne suis pas socialiste, ni « royaliste de gauche », mais je suis persuadé que notre démocratie en péril a besoin d’un parti socialiste d’autant plus solide dans ses principes et son projet – la justice sociale – que le Parti communiste n’est plus que l’ombre de lui-même. Sinon l’alternance sera un leurre et la France sera exposée à la violence.

La France… Il faudrait que vous commenciez par assumer toute son histoire, comme Charles Péguy le souhaitait – ce qui n’empêchera pas le débat entre les différentes familles politiques. Il faudrait que vous reconnaissiez enfin que la République a besoin de Grands Hommes – au lieu de couvrir de beaux discours sur la démocratie vos rivalités et vos haines personnelles. Il faudrait que vous réfléchissiez à la nécessité d’une institution démocratique de l’autorité, capable par sa médiation de garantir la justice et la liberté. Nous avons fait nos choix. Nous voudrions connaître les vôtres.

***
(1)    Simon Epstein, Les Dreyfusards sous l’Occupation, Albin Michel, 2001 ; Un paradoxe français. Antiracistes dans la Collaboration. Antisémites dans la Résistance, Albin Michel, 1998.
(2)    Simon Epstein. Entretien accordé à « Royaliste », numéro  936 – 1er au 14 décembre 2008.
(3)    Léon Blum au procès de Riom, repris dans Blum, Discours politiques, présenté par Alain Bergougnioux, Acteurs de l’Histoire, Imprimerie nationale.
(4)    Blum, discours politiques, « Les devoirs et les tâches du socialisme », op. cit. p. 241.

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1 Commentaire

  1. CRIBIER

    Cette autorité politique,comme toute médiation, ne peut être par
    définition, qu’indépendante des parties de la nation (à savoir
    précisément des partis, mais aussi des clans, des groupes de
    pression et des divers intérêts de classe ou corporatistes).
    Comment être à la fois membre de la nation et indépendant de ses
    composantes, pour être en capacité d’exercer une médiation au sein
    de la nation, et d’incarner celle-ci comme symbole référent de
    l’unité nationale au service de tous ?

    Ceci ne peut-être possible, sans une condition d’extériorité qui
    n’est autre que la légitimité. Dans les sociétés primitives, la
    communauté ne s’en remettait-elle pas à un pouvoir extra-ordinaire
    pour assurer sa protection et sa cohésion ? Pouvoir légitime, qui
    par ses dons,connaissances,sagesses,exploits,qualités et vertus
    reconnus de tous,était naturellement admis comme légitime à
    défendre l’intérêt général, et supposé bénéficier d’un lien
    privilégié avec « les dieux » pour avoir hérité de tels bienfaits de
    la nature et d’une telle protection (qu’il soit chef guérisseur,
    sorcier,roi-prêtre,roi-juge,grand sage ou chef de guerre …).

    Cette extériorité, qui devient nécessairement sacrifice (et non
    privilège ou usurpation) au service du bien commun, que l’on nomme
    légitimité, et qui conditionne l’exercice d’une réelle médiation
    est au-delà de la simple légalité, elle fait nécessairement corps
    avec toute l’histoire de la nation et ne se conçoit que dans la
    durée, ou par des faits exceptionnels, reconnus par tous comme
    bénéfiques pour la vie ou la survie de la nation.

    Qu’en est-il de tout cela dans la VIème république prônée par
    Arnaud Montebourg ? Qui y est en mesure d’endosser la fonction et
    de quelle manière ? Qui peut légitimement y assurer une telle
    médiation et comment ? Il serait intéressant de connaître les
    réponses à ces questions, mais aussi de regarder dans notre propre
    histoire et celles des autres pays européens, notamment celles des
    royautés démocratiques.