Lettre ouverte à François Mitterrand

Juil 7, 1983 | Res Publica

 

Vous souvenez-vous ? Nous avons voté en votre faveur le 10 mai 1981. Pourtant, nous n’appartenons pas à votre tradition politique, nous ne nous reconnaissons pas dans ce Parti socialiste dont vous avez été le Premier secrétaire. C’est que nous sommes royalistes : cela signifie, notamment, que nous nous situons au-delà de la droite et de la gauche, que nous voulons un Etat arbitral capable de représenter la nation tout entière. Mais nous sommes, en même temps, des citoyens soucieux du présent et de l’avenir de leur pays. Aussi avons-nous souhaité éviter le pire, qui s’incarnait dans votre prédécesseur, et soutenir la possibilité de changement que vous représentiez. Cette « révolution tranquille », cette « nouvelle citoyenneté » promises, faisaient partie de notre projet. Nous voulions, comme vous, que l’Etat soit restauré dans sa dignité, que la décentralisation redonne au peuple ses pouvoirs autrefois confisqués, que des nationalisations affranchissent l’Etat de la puissance des grands groupes capitalistes. Venus, pour beaucoup, à la politique en Mai 1968, nous voulions que la vie soit enfin changée.

Oh ! bien sûr, ce soutien n’était pas sans réserves : vos vieilles tendances atlantistes nous inquiétaient, ainsi que la volonté de puissance d’un Parti socialiste dont nous avions souvent eu à déplorer l’intolérance. Comme le parti gaulliste pour le général de Gaulle, le P.S. représentait pour vous un risque majeur. Il n’était pas impossible de l’écarter : les institutions pouvaient vous y aider, ainsi que cet « état de grâce » qui fut, au commencement, une réalité.

Vraiment, pendant quelques mois, vous avez disposé d’atouts considérables. Non seulement pour réaliser des réformes économiques et sociales, mais aussi pour rétablir l’unité dans le pays. Il était possible d’associer des personnalités nouvelles à votre gouvernement, et même de gagner des sympathies dans l’opinion dite de droite en formant un projet clair et ambitieux pour l’ensemble de la nation.

Pendant presque deux ans, nous n’avons pas eu de regrets. La décentralisation s’esquissait, les nationalisations nécessaires étaient effectuées – non sans erreurs financières et structurelles – , un projet industriel s’ébauchait, en même temps qu’une politique sociale généreuse. Même sur le plan extérieur, nous nous prenions à espérer : votre discours de Cancun, vos voyages dans le tiers monde, votre appréciation des rapports de force en Europe semblaient annoncer une grande politique étrangère, conforme à la vocation de la France.

Etions-nous devenus des inconditionnels ou, comme on le dit parfois, des « royalistes de gauche » ? Assurément non. D’abord parce que nous maintenions fermement la distinction entre le projet présidentiel, que nous approuvions dans ses grandes lignes, et les méthodes fort contestables du parti dominant. Ensuite parce que nous avons exprimé, chaque fois que cela nous semblait nécessaire, nos inquiétudes et notre mécontentement. Il y eut l’affligeant congrès de Valence, qui mit fin à l’état de grâce. Il y eut la longue liste – pas encore close – des contradictions, des improvisations et des erreurs psychologiques de votre gouvernement. Les rappeler serait inutilement cruel…Il y eut enfin et surtout la faute initiale de votre politique économique : ce refus d’une dévaluation immédiate et massive, cette peur des mesures de protection indispensables, qui ont entraîné l’échec de la politique de relance.

Les résultats des législatives partielles de janvier 1982 et des cantonales auraient dû constituer un avertissement. Hélas, les mêmes erreurs se sont reproduites, la même incohérence s’est manifestée tandis que l’opposition, un temps assommée par sa défaite, retrouvait sa superbe. Cependant, rien n’était encore perdu : les élections municipales vous donnaient l’occasion d’une prise de distance à l’égard des partis de gauche et, vous le savez bien, d’une autre politique économique. Vous avez longuement hésité, avant de prendre le mauvais chemin : un gouvernement réduit aux seuls partis de gauche, une politique monétaire frileuse, une politique économique dite de « rigueur » qui compromet le projet industriel, sacrifie l’emploi, et se fonde, en définitive, sur le libéralisme éculé de vos adversaires de droite.

Pour nous, quelle amertume ! Tant de réformes gâchées et d’occasions perdues ! L’espoir né le 10 mai s’est évanoui et les meilleurs de vos partisans se découragent. Sans doute, tout n’est-il pas de votre faute : la crise est dure, la mécanique de l’Etat-Providence ne peut plus être utilisée, la société française est en train de perdre son identité en même temps que le sens élémentaire de la solidarité.

Mais convenez que vos choix du printemps n’ont fait qu’aggraver les choses ! Chaque semaine ou presque, trop de vos ministres offrent, par leurs erreurs, par leur incapacité, de nouvelles raisons de mécontentement. La jeunesse étudiante se révolte, les policiers sont en colère, le climat général se détériore dangereusement. Dans cette situation explosive, le pouvoir ne semble plus maîtrisé, les grands problèmes ne notre société ne sont manifestement plus dominés, la volonté de réforme semble épuisée. Nous ne souhaitons pas votre échec. Monsieur le Président : ce serait, Michel Jobert le disait récemment, celui du pays tout entier. Dans le domaine économique, dans l’ordre politique, nous attendons vos décisions. Mais il faut faire vite : désormais, le temps vous est terriblement compté.

***

Editorial du numéro 386 de « Royaliste » – 7 juillet 1983

Partagez

0 commentaires