L’inclusion laïque

Fév 9, 2016 | Res Publica | 1 commentaire

 

Entre le Premier ministre et le président de l’Observatoire de la laïcité, la hache de guerre est enterrée. Manuel Valls avait accusé Jean-Louis Bianco de « dénaturer la laïcité » par trop de complaisance à l’égard des islamistes et une violente polémique avait déchiré la gauche jusqu’à ce que le premier confirme le second à son poste…

Feu de paille ? Je n’en crois rien. Avec le début du débat sur le voile, en 1989, nous sommes entrés dans une période d’affrontements passionnés et confus sur les signes religieux, la construction de mosquées, les plats des cantines scolaires et les dérives communautaires. Entre islamophiles et islamophobes réels ou supposés, la bataille verbale continue et continuera de faire rage pour plusieurs raisons : la présence visible d’une nouvelle religion sur le territoire national et les violences islamistes commises en Orient puis en Europe créent une inquiétude réelle. Cette inquiétude est d’autant plus forte que, hors de tout débat théologique, une fraction de la gauche voit dans les musulmans les victimes du colonialisme tandis que l’extrême droite les dénonce comme agents d’une subversion radicale. Il est difficile, voire impossible, d’entrer dans le débat sans s’exposer aux excommunications fulminées par les inquisiteurs de l’un ou de l’autre camp.

Faut-il dès lors se retirer sur l’Aventin ? Le risque d’une « guerre civile de basse intensité » – selon l’expression de Jean-François Colosimo – est trop sérieux pour qu’on choisisse l’abstention. Il faut donc militer pour une définition rigoureuse de la laïcité sans exclure le débat sur le fait religieux. L’histoire et le droit de la laïcité nous ont été enseignés par Emile Poulat, qui fait référence (1). Notre éminent ami donnait trois définitions (2) de la laïcité :

– Une définition politique : la laïcité, c’est le régime politique qui succède à la catholicité. La catholicité était exclusive : les autres cultes n’étaient pas reconnus ou disposaient que de droits limités. La laïcité est inclusive : toutes les religions ont leur place dans la société.

– Une définition juridique : la laïcité, c’est la liberté publique de conscience pour tous les citoyens selon le principe affirmé à l’article 10 de la Déclaration de 1789 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.

–  Une définition historique : la laïcité, c’est la conséquence des guerres de religion et l’œuvre du « parti des politiques »  qui veulent le rétablissement de la paix entre catholiques et protestants par l’action raisonnée de l’Etat. Dès 1585, Pierre de Belloy affirme que « la République n’est pas dans l’Eglise, mais au contraire l’Eglise est dans la République ».

Concrètement, le principe de laïcité s’applique à tous les agents publics et à eux seulement : la laïcisation de l’espace public et des personnes qui y circulent n’est pas un impératif légal. Le régime de laïcité implique l’inclusion de toutes les religions, y compris des institutions ecclésiastiques (l’Eglise catholique au début du 20ème siècle) et des groupes religieux (les islamistes aujourd’hui) qui contestent notre régime de laïcité. Selon ses définitions, la laïcité ne renvoie pas la religion au domaine privé puisque l’exercice public des cultes est expressément autorisé.

L’histoire de la laïcité depuis un siècle montre que l’application du principe de laïcité se fait d’ordinaire dans un souci d’apaisement que partagent les représentants officiels des cultes. Depuis 35 ans, les polémiques autour de l’islam portent principalement sur des questions d’ordre public, de sécurité publique et de normes sociales : c’est selon ces critères qu’il faut apprécier, contester ou combattre le voile islamique, le salafisme et les diverses revendications communautaristes. Nous défendons quant à nous la liberté de critiquer les religions mais avons fait le choix de la neutralité bienveillante. Neutralité par respect de la distinction du politique et du spirituel. Bienveillance parce que les religions offrent des voies d’accès à l’universel. Quant aux croyants qui s’organisent en tant que tels pour la promotion politique d’un projet religieux, ils s’exposent à des répliques proportionnelles à la radicalité de leurs intentions.

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(1) Cf. entre autres ouvrages savants, l’exposé bref et lumineux publié sous le titre Notre laïcité, ou les religions dans l’espace public, DDB, 2014. Voir aussi l’entretien accordé par Emile Poulat à « Royaliste » en 1994, repris dans La nation et l’universel, IFCCE, Cité, 2015.

(2)  Je ne retiens pas ici la quatrième définition (l’émancipation des esprits par la raison) car Emile Poulat disait qu’elle pouvait s’opposer aux trois autres.

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1 Commentaire

  1. VINCENT Paul

    Je ne saurais la recommander aujourd’hui, mais cette tolérance a pu m’être bénéfique.
    Lorsque j’étais à l’école primaire et que pour un enterrement il n’avait pas d’autre enfant de chœur sous la main , le curé de Vaux-sous-Laon se permettait de dépêcher sa bonne auprès de mon directeur d’école, au demeurant un parfait laïque, avec un simple mot de sa part le priant de me libérer le temps de lui servir la messe, voire de l’assister jusqu’au cimetière.
    S’il ne s’était montré accommodant, ma mère catholique hyper-pratiquante se fut sans doute indignée et eut été tentée de me mettre dans l’école catholique du coin où l’enseignement était alors de mauvaise qualité. Ce qui l’eut peut-être retenue est qu’il était aussi payant et que cela eut été à l’époque un problème pour mes parents.
    Je tiens aussi à rendre hommage, cette fois à un prélat catholique, qui écœuré de l’usage peu chrétien qui en était fait par les religions en cette période de guerres de religions et de croisades, parfois franco-françaises, avait proscrit le mot de charité et avait inventé celui de bienfaisance. Il s’agit de l’Abbé de Saint-Pierre dont j’ai découvert l’existence étonnante dans un ouvrage de mon ami Dominique Suriano, ancien archiviste en chef de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris.