L’inconséquence chiraquienne

Juil 1, 1986 | Partis politiques, intelligentsia, médias

 

Après deux mois d’activités, il devrait être possible de donner une appréciation d’ensemble sur la politique du gouvernement Chirac. Tel n’est pas le cas. Et l’immense confusion qui règne dans les propos et les projets provoque un étonnement qui n’est pas joué. Certes, la « plateforme » de l’ancienne opposition, trop vague ou trop idéologique, ne pouvait manquer de susciter des déceptions. Mais je les imaginais plus tardives. Certes la situation personnelle de Jacques Chirac est délicate. Mais le Premier ministre est un vieux routier, qui bénéficie d’une longue expérience des affaires et sort d’une cure revigorante d’opposition. J’ajoute qu’il aime incontestablement son pays et cherche à le servir. Pourtant, que d’improvisations, de paris hasardeux et d’incohérences !

SYMÉTRIE ?

Faut-il s’en étonner ? Après tout, lorsqu’ils sont arrivés au pouvoir, les socialistes ont commis nombre d’erreurs techniques, de fautes politiques et psychologiques aggravées d’imprudences verbales, dont nous avions, mois après mois, dressé le catalogue. Il serait tentant de prendre son parti des bévues successives de la droite et de la gauche en posant comme loi de notre vie politique que tout changement d’équipe provoque des dégâts identiques au cours de la première année. Viendrait ensuite le temps de la sagesse…

Malgré des ressemblances formelles, la situation n’est cependant pas symétrique. Qu’on l’ait contesté ou non, force est de reconnaître que les socialistes avaient un projet politique. Malgré les retards, les défauts d’exécution et les inflexions ultérieures, il était apparu dès la première année du gouvernement Mauroy. Existaient : une politique de l’industrie et de la recherche, exprimée par Jean-Pierre Chevènement

– une politique sociale rapidement mise en œuvre,

– une politique régionale qui s’est traduite dans la loi de décentralisation,

– une politique de la Justice, incarnée par Robert Badinter,

– et une politique culturelle, que nous commençons déjà à regretter.

Très vite aussi, on s’aperçut que François Mitterrand avait une politique étrangère, ferme et fidèle à la tradition du pays. Je ne peux reprendre ici nos critiques, nos réserves, nos impatiences et nos refus – notamment dans le domaine de l’enseignement. Mais les adversaires les plus résolus de la gauche ne peuvent contester que celle-ci avait une vision d’ensemble. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils la contestaient si violemment.

ABSENCE

La différence entre 1981 et 1986, c’est qu’on cherche vainement aujourd’hui un projet cohérent. Le libéralisme n’est qu’un mot, qui recouvre toutes sortes de décisions contraires à ses principes, de mesures hâtives, de démagogie insolente. Il n’y a pas de politique économique et sociale. Nous avons eu, pour tout potage, une dévaluation inutile, surtout destinée à séduire les patrons et les agriculteurs, et une série de cadeaux aux mêmes clientèles. Il n’y a pas, notamment, de politique de l’emploi, mais des mesures dangereuses (quant au droit de licenciement) assorties d’incantations et de propos contradictoires. Ainsi, J. Chirac exhorte les patrons à investir, puis critique ceux qui tiennent de tels discours, se contredisant et désavouant son ministre des Affaires sociales tout en l’assurant, le même jour, de son amitié. C’est à n’y plus rien comprendre.

Il n’y a pas, non plus de politique financière, mais des promesses désordonnées, incompatibles avec la rigueur budgétaire proclamée. Et le Premier ministre donne lui-même l’exemple de l’irresponsabilité, lorsqu’il annonce une réduction de 8{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} sur toutes les tranches de l’impôt sur le revenu. Quant à la politique du logement qui semble se dessiner, elle est contraire aux principes du libéralisme, puisque l’Etat intervient massivement, et aux objectifs de lutte contre l’inflation. Somme toute, la seule impression qui se dégage en matière économique est que nous avons affaire à une politique de rentiers, valorisant les placements en or et dans la pierre au détriment des investissements productifs.

Le gouvernement se rattrape-t-il dans d’autres domaines ? Hélas ! La politique judiciaire traduit la pire idéologie sécuritaire. Elle grossira le nombre des prisonniers dans des établissements déjà surchargés, transformera la France en terre hostile aux étrangers et risque, comme le montrent Me Jouffa et Harlem Désir, de déstabiliser la population immigrée. Hélas ! La politique culturelle de M. Léotard, tombé par hasard rue de Valois, se réduit à des coupes sombres dans le budget et à une privatisation sans cause de TF1. Hélas ! En politique extérieure, qui n’est pas son affaire, J. Chirac s’obstine à faire des « coups » médiocres (les déplacements d’ambassadeurs) ou gênants (l’approbation de la stratégie militaire américaine) pour notre diplomatie.

Point de joie mauvaise dans ce rapide constat. Je dis et répète depuis des années que les diverses familles dites de droite (la gaulliste, la libérale, la démocrate-chrétienne) pourraient utilement contribuer à la vie du pays si elles daignaient s’inspirer de leurs véritables traditions. Aujourd’hui, je crains que l’inconséquence chiraquienne ne fasse entrer la vie politique dans une zone dangereuse. Aux déceptions nées de l’échec du « projet libéral », ne répondrait que l’opposition négative d’une gauche pas assez stimulée pour imaginer un nouveau projet. De la sensation de vide, pourrait naître le désir d’un ordre pur et dur qui viendrait, d’un coup apaiser à sa manière l’inquiétude moderne. A la fin de sa vie, Georges Pompidou dénonçait ce danger, qui semblait alors illusoire. Il s’est aujourd’hui terriblement rapproché.

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Editorial du numéro 452 de « Royaliste » – 1er juillet 1986

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