Si nous étions encore dans la Vème République démocratique et parlementaire, arbitrée par un président de la République assurant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le gouvernement aurait été, dès le 16 décembre dernier, contraint à la démission.

Pourquoi le 16 décembre ? Parce que c’est le jour où Jean-Paul Delevoye quitte le gouvernement. Le Premier ministre ne pouvait ignorer que le haut-commissaire à la réforme des retraites violait l’article 23 de la Constitution qui interdit le cumul entre une fonction ministérielle et “toute activité professionnelle”. Il aurait dû lui aussi présenter sa démission et celle de son gouvernement – ou bien le chef de l’Etat aurait dû la lui demander.

Tel n’a pas été le cas. Point troublé par ses fautes, Edouard Philippe s’est empressé de remplacer Jean-Pierre Delevoye par Laurent Pietraszewski, ancien cadre de choc du groupe Auchan. Peu après, on apprenait que Muriel Pénicaud, ministre du Travail et ancienne DRH du groupe Danone, était membre du conseil d’administration du forum de Davos, ce haut-lieu de l’entre-soi capitaliste.

L’osmose entre la puissance publique et le secteur privé a été à nouveau soulignée en ce début d’année par la Légion d’honneur décernée à Jean-François Cirelli, chargé des activités en France de BlackRock, le gestionnaire d’actifs qui avait été reçu à l’Elysée en 2017 (1). En pleine révolte contre la réforme des retraites, Emmanuel Macron ne pouvait signifier plus clairement aux Français le lien étroitement tissé entre la haute finance et le projet de loi sur les retraites. Il en résulte un surcroît de colère dans les rues du pays.

“Macron démission ?” Les deux mots entendus dans les cortèges résument un procès en illégitimité. Nous sommes un peuple millénaire qui a toujours attendu du chef de l’Etat, roi ou président, qu’il soit le serviteur de la justice. Saint Louis sous son chêne est toujours dans notre mémoire et, au siècle dernier, les Français ont souvent fait appel à l’arbitrage du Président pour résoudre leurs conflits. Cet idéal de justice fut plus ou moins bien servi par les rois et les présidents de la République mais l’intention, plus ou moins ferme, demeurait.

Il faut désormais employer le passé. Le principe de justice a été récusé par les petits maîtres-penseurs qui, avec Alain Minc, ont affirmé qu’il fallait désormais raisonner en termes d’équité. Puis nous sommes entrés dans la logique du quinquennat, qui est celle d’une hyperprésidence niant le jeu des pouvoirs. Et nous avons subi le “passage à l’euro” cette “monnaie unique” qui est un système de contrainte assurant, de l’extérieur, la régression sociale.

Beaucoup estiment que cette évolution est la conséquence d’un vice inhérent à la Constitution de 1958. Nous considérons pour notre part que nous avons vécu, par rapport aux révolutions de 1789, 1830, 1945 et 1958, une contre-révolution qui n’est pas, pour parodier Joseph de Maistre, une révolution en sens contraire – le retour à l’Ancien Régime – mais le contraire de nos révolutions pour la justice et la liberté. Amorcée par Jacques Chirac après 2002, cette contre-révolution s’est affirmée avec Nicolas Sarkozy puis François Hollande, avant qu’Emmanuel Macron ne lui donne un tour extrémiste. Dans le respect des formes électorales, nous sommes passés de la République à l’oligarchie – du gouvernement selon l’intérêt général dans le respect des principes de justice et de liberté à la “gouvernance” d’une caste qui fait prévaloir des intérêts particuliers, en l’occurrence ceux de la haute bourgeoisie financière.

La destruction de la République, par la droite puis par la gauche se réunissant dans une même communauté de vues et d’intérêts, a été concrétisée par le viol de la Constitution.

Le premier acte de cette forfaiture fut la négation du référendum de 2005 et l’adoption du traité de Lisbonne. Nous avons souvent dénoncé le viol de l’article 35 de la Constitution, puisque ce n’est plus le Parlement qui autorise les actes de guerre, puisque le Parlement n’est même plus à se prononcer sur nos opérations militaires à l’extérieur, alors que leur prolongation au-delà de quatre mois est soumise à l’autorisation de l’Assemblée nationale. Nous constatons aujourd’hui que le CETA est appliqué à titre provisoire, alors que le projet de ratification n’a toujours pas été présenté au Sénat.

Ce viol de la Constitution, qui porte sur bien d’autres articles, s’accompagne du franc mépris des règles administratives qui est l’une des caractéristiques de la macronie. Les membres du clan qui est en train de s’installer dans l’administration n’obéissent qu’à leur propre hiérarchie, dans le mépris du droit et des usages. C’est ce clan qui veut vendre ADP, privatiser la SNCF et EDF, qui vient de décider la privatisation partielle de Polytechnique au profit du groupe Total et qui tente d’ouvrir le marché des pensions aux groupes financiers.

A la trahison de la classe dominante, opposons une résolution sans faille.

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Editorial du numéro 1181 de « Royaliste »- Janvier 2020

 

  • Sur tous les cas évoqués, voir les enquêtes publiées par “Marianne”.

 

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