Lutte des classes : fragiles victoires

Avr 9, 2006 | la lutte des classes

Lorsque le référendum sur le « traité constitutionnel » fut annoncé, la victoire du Non était improbable. Pourtant, l’imposture juridique et l’ultra-libéralisme firent l’objet d’un rejet massif et motivé.

Dans les premiers jours de février dernier, il ne paraissait pas possible d’empêcher le Premier ministre de détruire le contrat de travail (1) avec la complicité de son ministre de l’Intérieur. Pourtant des manifestants, comptés en centaines de milliers puis en millions, ont mené contre le CPE une formidable bataille d’arrêt avec l’assentiment d’une grande partie de la population.

La preuve est faite que, dans sa grande majorité, le peuple français récuse l’idéologie dominante et rejette le catalogue des « réformes » de régression que les oligarques voudraient lui imposer. Tous ensemble, nous avons montré que l’individualisme avait des limites et que notre résignation apparente cachait une immense impatience.

Pendant les années d’attente, les Français sont devenus de plus en plus lucides sur le milieu dirigeant et ils ont acquis une excellente compréhension des techniques de propagande et d’intimidation mal camouflées sous l’idéologie de la « communication ». Le chômage, la contrainte salariale, les privatisations, le passage à l’euro, les délocalisations et les formes multiples de la violence managériale leur ont donné une connaissance directe ou indirecte, toujours éprouvante, des systèmes de destruction et d’exploitation qui sont à l’œuvre.

Qu’il s’agisse des chefs de la droite ou de la gauche, des patrons de médias, des gens du Medef ou des principales figures du capitalisme financier, le milieu dirigeant n’a pas affaire à des réactions de mauvaise humeur (la « grogne ») et à des poussées de colère d’un peuple d’enfants mais à la révolte raisonnée de la plupart des salariés. Dire que cette révolte est « populiste » ne changera rien. Nous sommes dans un mouvement à longue portée : commencé en novembre 1995, il s’est exprimé par les votes de rejet de 1997 et de 2002, lors du référendum de 2005 et dans la révolte contre le CPE.

Ceux qui participent à cette contestation radicale tiennent ces faits pour évidents. Les oligarques semblent ne pas saisir la nature du danger qui les menace. Il y a chez eux une peur sourde, compensée par le déni de démocratie et un formidable mépris pour le peuple français, qui serait trop bête pour comprendre leurs manipulations, et trop veule pour ne pas vouloir être forcé. Tels que les rapportent nos quotidiens, les fantasmes virils de Dominique de Villepin sont à cet égard tristement significatifs.

Ce mépris du peuple est dangereux : qu’ils se voient acculés, qu’ils refusent de reconnaître leurs erreurs et leurs fautes par orgueil de classe, qu’ils se prennent pour Bonaparte ou qu’ils soient aveuglés par leur ambition, les oligarques iront jusqu’au bout de leur logique belliqueuse. Ceci non sans consentir aux replis tactiques qui leur permettront de préparer de nouvelles offensives, avec d’autres mots et de nouvelles dispositions législatives.

Dans cette guerre sociale, Nicolas Sarkozy reste le plus inquiétant de tous les stratèges. A la première occasion, il tentera de réveiller les pulsions communautaristes en espérant substituer ce type de violence à la lutte de classes.

Surtout, le futur candidat s’est approprié le rapport Camdessus de 2004, qui est à la pointe de l’ultra-libéralisme : privatisation des services de l’Etat, réduction de la dépense publique, réforme très bienveillante de la fiscalité du capital et tant d’autres propositions inacceptables pour la majorité des Français. Parmi celles-ci, la mise en forme juridique du chantage qui consiste à donner le choix entre le chômage et un emploi flexible « faiblement rémunéré » : tel serait le contrat unique qu’on cherche à imposer aux salariés et que Nicolas Sarkozy, tactiquement hostile au CPE,s’empresserait de faire adopter s’il entrait à l’Elysée et s’il avait l’appui d’une majorité au Parlement.

Intelligent, dénué de convictions et de scrupules, habité par son ambition, Nicolas Sarkozy reste l’adversaire principal, celui qui risque d’effacer par la ruse et la démagogie nos victoires partielles et encore si fragiles.

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(1) Cf. l’article de Nicolas Palumbo : « L’hallali a sonné », Royaliste 875, 6-19 février 2006.

 

Editorial du numéro 880 de « Royaliste » – 2006

 

 

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