Depuis que le président de la République s’est rendu à Versailles, le 29 mai pour recevoir Vladimir Poutine puis le 3 juillet pour la réunion du Congrès, on discute dans les médias de l’incarnation du pouvoir, de la monarchie et même des trop fameux « deux corps du roi ».

Jean-Luc Mélenchon se décerne un brevet de républicanisme en fustigeant ces mauvaises manières réactionnaires sans voir que ses sempiternelles diatribes n’émeuvent pas les foules. Le chef de la France insoumise ne comprend pas que la plupart des Français ont totalement intégré la vieille monarchie capétienne à l’histoire nationale, et qu’ils aiment la Révolution française anti-absolutiste tout autant que les grands constructeurs de l’Etat, Louis XIV, Bonaparte et de Gaulle, qui ont incarné de manière différente un pouvoir souverain toujours voué à la grandeur de la France.

C’est à juste titre qu’on se demande comment le chef de l’Etat nouvellement élu va incarner sa fonction et Emmanuel Macron a fort bien compris qu’il fallait flatter l’imaginaire monarchique des Français. Il s’est placé avec élégance dans le cadre du Louvre, de Versailles puis récemment de Chambord, devinant que nous sommes tous portés à confondre la bonne incarnation du pouvoir et la belle apparence – illusion que l’imagerie médiatique et le journalisme courtisan viennent chaque jour renforcer.

Ce spectacle hautement significatif ne nous dit rien sur la manière dont Emmanuel Macron exerce le pouvoir politique dont il a été investi. La politique, c’est de l’histoire et du droit. Si l’on veut s’interroger sur la monarchie aujourd’hui, il faut se souvenir que l’histoire de la monarchie capétienne a continué après 1789. La Révolution a tenté d’associer la royauté et la représentation nationale dans une première Constitution qui fut un échec. Mais on oublie trop souvent que la Restauration si mal nommée est le moment où s’invente le régime parlementaire et on oublie aussi que les institutions de la IIIème République ont été conçues pour un roi qui finalement n’est pas venu. La Constitution gaullienne fut un prolongement réussi de notre histoire institutionnelle et nous avons vécu, de 1962 à l’an 2000, dans un régime de monarchie constitutionnelle, élective, parlementaire et démocratique dans lequel les principes de souveraineté nationale et de souveraineté populaire pouvaient être effectivement exercés en différents moments de la temporalité politique.

La manière dont le président de la République incarne aujourd’hui le pouvoir ne peut être examinée en référence à l’absolutisme, moment révolu de la construction de l’Etat, mais selon la Constitution de la Vème République, originellement conçue et mise en œuvre comme monarchie républicaine. Or le débat sur la fonction présidentielle, qui avait un sens jusqu’à la fin du siècle dernier, est devenu complètement irréel. Nous l’avons dit cent fois : le quinquennat adopté en 2 000 a fait disparaître la fonction présidentielle, arbitrale, et c’est désormais un chef de gouvernement qui s’installe à l’Elysée tous les cinq ans, qui fait du Premier ministre un chef de cabinet et qui dirige le parti dominant. Ce chef de gouvernement est, depuis Jacques Chirac, le représentant du « bloc élitaire » qui a proscrit le recours au référendum depuis son désaveu en 2005 et qui utilise l’euro comme système de contrainte sociale. Le retour dans le commandement intégré de l’Otan et la soumission volontaire aux traités européens ont envoyé aux oubliettes l’exigence d’indépendance nationale dont le président de la République doit être le garant selon l’article 5 de la Constitution.

La gouvernance oligarchique se moque comme d’une guigne du Préambule de 1946 qui établit les principes de la démocratie sociale. La gouvernance macronienne respecte encore moins que les précédentes le principe de la séparation des pouvoirs inscrit à l’article 16 de la Déclaration de 1789 puisque le parti présidentiel est devenu aussi hégémonique qu’obéissant.

Quand les principes fondamentaux de l’ordre constitutionnel sont violés, quand la souveraineté nationale est vouée à totalement disparaître dans la « souveraineté européenne », quand l’organisation pyramidale du pouvoir, favorisée par la crise des partis traditionnels, paralyse la vie parlementaire, il n’est plus possible de décrire notre régime comme une monarchie républicaine, démocratique et sociale, dans laquelle la fonction de chef de l’Etat serait effectivement incarnée.

***

Editorial du numéro 1136 de « Royaliste » – 2018

 

Partagez

1 Commentaire

  1. Jacques-André Libioulle

    Macron, président funambulesque, n’entend-il pas, en transférant l’exigence d’indépendance nationale en exigence de souveraineté européenne, en faisant de la gouvernance oligarchique la gouvernance de l’universel, nous faire nous incliner devant la hauteur impérative non contestable et glorieuse de ses vues? Il me paraît y avoir là une velléité despotique sous-jacente. Et le voilà maintenant frayant avec les dictateurs, Erdogan et Xi Jinping, non pour avaliser leur gouvernance bien sûr, mais pour leur faire entendre -donc accepter- ces fameuses « valeurs universelles »! S’ils y consentent (hum!) de juteux contrats commerciaux seront à l’appui. Mais comment peut-on vouloir imposer, paradoxalement, des « valeurs universelles », donc contraignantes, là où ces mêmes valeurs doivent naître spontanément d’une progression endogène, d’une élévation des niveaux sociétaux? Est-ce le cas en Turquie? En Chine?
    Ne plaisantons pas avec le funambulisme! C’en est assez déjà de se trouver sur la corde raide!