La victoire d’Emmanuel Macron, c’est celle de la classe dominante, toujours mobilisée pour la défense de ses intérêts et de ses territoires et qui sait, dans les grandes circonstances, manœuvrer comme un corps de bataille. Il ne s’agit pas d’une lutte des classes selon le schéma marxiste, entre bourgeois et prolétaires. L’oligarchie, cette élite du pouvoir, des affaires et des médias que Christophe Guilluy appelle « la France d’en-haut », est aujourd’hui la seule classe réellement organisée, qui parvient à se mobiliser selon une idéologie, autour d’un chef et sur des mots d’ordre qui lui permettent de maintenir sa domination.

Cette classe n’est pas un bloc mais elle sait faire bloc. Il y a une droite et une gauche oligarchiques, des partis opposés, des réseaux concurrents, des industriels et des financiers mais depuis 1988 et le gouvernement Rocard, la gauche s’est toujours accommodée de la droite, et réciproquement, au nom du « marché » européen puis mondialisé. A la suite du retrait de François Hollande, de l’élimination de François Fillon et de Benoît Hamon, le candidat d’En Marche, habilement positionné au centre, est apparu comme le candidat naturel de la classe dominante. La nature désigne ici un produit parfaitement fini de l’Ecole, de la Banque et de la Gouvernance qui, à la différence de Nicolas Sarkozy, trop voyou, et de François Hollande, trop vulgaire, maîtrise tous les codes de la respectabilité bourgeoise. L’élégance des hautes classes, perdue depuis la défaite de Valéry Giscard d’Estaing, est à nouveau incarnée – de surcroît par un homme jeune et bien fait.

La mobilisation de classe ne peut se faire que contre un ennemi. On ne saurait affronter directement les groupes sociaux qu’il faut maintenir dans la domination – ce serait dangereux. Par chance, le Front national se présente comme un ennemi tout à fait repoussant. François Hollande voulait faire oublier l’échec de son quinquennat en se présentant comme le héros de la résistance antifasciste et les candidats de la droite voulaient faire de même. Emmanuel Macron a repris le rôle, convoquant les suppliciés d’Oradour-sur-Glane, les victimes de la Solution finale et les héros de la Résistance contre un fascisme imaginaire.

Produit des humiliations nationales et des désastres sociaux provoqués par les recettes d’austérité, redoutable par les fantasmes ethniques qu’il diffuse, depuis longtemps consacré par les médias comme le parti de l’opposition radicale, le Front national a soudain révélé ses limites et sa médiocrité. Un état-major d’ordinaire arrogant, soudain paniqué par les sondages sur la peur provoquée par la sortie de l’euro, décide un changement de ligne ou de pied au cours duquel un épais brouillard est jeté sur la question monétaire. Puis la candidate se montre, au cours du débat télévisé contre son adversaire, telle qu’elle est : capable de lire des discours xénophobe et sécuritaires devant des publics conquis, capable de faire des promesses sociales pour séduire les électeurs en colère, mais incapable de comprendre les questions économiques et monétaires et de porter, plus haut que ses ambitions parlementaires, la révolte populaire qu’elle a exploitée.

Marine Le Pen reste la rentière du malheur et son parti occupe, à l’intérieur du système politique français, la fonction de l’indispensable repoussoir qui permet à la classe dirigeante de faire oublier, le temps d’une campagne, les effets désastreux de sa domination.

Les hautes classes, les groupes qui leur sont alliés et des propagandistes efficaces ont joué des peurs et des espoirs de la « France d’en bas » pour attirer des électeurs que, de bonne foi, ont cru à la menace fasciste et à la promesse de renouveau incarnée par un jeune « progressiste ». Tous ceux qui ont voté blanc ou se sont abstenus par hostilité aux deux candidats, tous ceux qui ont voté frontiste par rejet des hautes classes ne pourront pas croire aux replâtrages qui se dessinent dans l’oligarchie pour la perpétuation de l’ultralibéralisme. Dans cinq ans, face à une France encore plus meurtrie, la classe dominante voudra rejouer la grande mobilisation antifasciste contre les idiots utiles du Front national, avec messages compassionnels sur la fracture sociale et grands déploiements de chiffons bleus étoilés.

Qui nous sortira de ce piège ?

***

Editorial du numéro 1122 de « Royaliste » – 2017

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6 Commentaires

  1. Pierre LASSALLE

    Votre article intéressant sur le fond réussit ce tour de force de ne pas parler de la France Insoumise et c’est cela que je trouve précisément le plus inquiétant.

  2. Limoge

    En réponse à M. Lassale.
    Le parti de M. Mélanchon est l’exact pendant du F.N. sur le bord gauche. Il suffit de réfléchir quelques secondes pour le comprendre, ne serait-ce qu’au vu de l’énorme publicité qu’il a reçu des médias aux ordres pour ces élections. N’a-t-il pas été sélectionné parmi les « grands » ? Grand Leurre oui que ce trotskiste qui a TOUJOURS voulu dissoudre notre patrie dans le magma « européen » !
    Le seul candidat qui ait eu à la fois la hauteur de vue, la pertinence des analyses et la stratégie d’union nécessaire pour permettre à la France de renaître,était M. Asselineau qui, précisément pour cela, a été vilipendé et moqué après avoir été férocement « blacklisté » pendant dix années.
    Blacklisté des médias, mais ici même aussi, ailleurs aussi, et c’est cela qui est significatif des raisons pour lesquelles nous sommes tombés si bas, pour lesquelles, hélas, notre pays a toutes chances de disparaître après cette opération qui a été voulu par l’oligarchie euro-atlantiste précisément pour cette disparition. Il n’y a plus de français qui veuillent réellement le retour de notre patrie à la liberté et s’en donnent les moyens.

    • Jacques Payen

      Limoge, je partage votre commentaire dans son entièreté.

      La France Insoumise incarne l’internationalisme indécrottable qui poursuit son incantation sempiternelle d’une « Europe sociale », laquelle est totalement exclue par les Traités.

      Quant à nos compatriotes qui veulent vraiment se donner les moyens d’un libre arbitre véritable, d’une indépendance active en coopération avec le vaste Monde, il sont une infime, infime, minorité.

      Ceci explique le calamiteux résultat du 7 Mai, où a même fait défaut cette intelligence collective qui, souvent, dans les élections d’importance, permettait de créer un rapport de forces positif.

      Cette élection fut celle de toutes les débandades.

      Sauf pour l’oligarchie.

    • Gautier

      @ Limoge et Jacques Payen

      François Asselineau est effectivement le plus clair au niveau de l’Europe mais évacue complètement les questions de l’identité française, de la lutte contre l’islam conquérant et de la reprise en mains des territoires perdus de la République : il fait donc partie des responsables de l’impasse politique française dénoncée par M. Renouvin.

      Fillon a eu cette habileté (noyée malheureusement dans un programme européiste et de purge thatchérienne) de proposer qu’il y aurait tous les ans un débat au Parlement sur l’immigration (pour décider combien on laisse entrer d’étrangers sur notre territoire).

      Pour moi qui dit débat dit l’opportunité de confronter des chiffres, de se débarrasser des fantasmes d’identité heureuse aussi bien que catastrophistes.
      Bien sûr il a été inaudible mais pourquoi aucun candidat (autre que Marine Le pen dont le fond de commerce sur l’immigration lui permet de ne pas en parler) n’a proposé ce que je considère comme une nécessité de base de la démocratie, à savoir qui entre sur notre territoire et pour quoi ?

      Pour en revenir à Asselineau : à quoi cela servirait de retrouver notre souveraineté si c’est pour la confier à une république gangrenée par les islamistes ? (question posée à peu près dans ces termes par Eric Zemmour à un prétendu souverainiste mais je ne sais plus lequel)

  3. Philippe Cayrel

    Seul contre tous, avec la quasi-totalité des médias le dénigrant, « l’ennemi repoussant » a néanmoins attiré 7.5 millions d’électeurs soit un tiers des suffrages exprimés.

    Ce n’est pas Le Pen mais Mitterrand, qui fut décoré de la Francisque par Pétain. Mitterrand et non Le Pen qui fut l’ami fidèle de Bousquet organisateur de la rafle du Vel d’Hiv. Que Macron l’ex (?) socialiste puisse utiliser la mémoire des victimes d’Oradour sur Glane et du nazisme à des fins électoralistes aurait dû faire hurler d’indignation les familles des victimes du nazisme et tous les donneurs de leçon prétendument antifascistes !

    Simple manant, je ne me déplace pas en carrosse mais en train de banlieue : en heures creuses, j’y suis souvent le seul européen, également le seul francophone… L’invasion de l’Europe par des flots de migrants musulmans n’est malheureusement pas un fantasme… pour le constater il faut se rendre dans des quartiers et des banlieues que vous ne fréquentez sans doute pas.

    Les idiots utiles, me semble-t-il, sont ceux qui, par crainte d’un fascisme fantasmé, ont voté pour Macron alors qu’ils abhorrent ses idées : à ce que je sache le Front National et Debout la France respectent le processus démocratique et ne proposent ni le retour la monarchie, ni de substituer une dictature à la démocratie. Ceci dit, les monarchies constitutionnelles d’Europe sont souvent plus démocrates que certaines républiques mais, de par son histoire, le peuple Français n’acceptera jamais de revenir à la monarchie, fusse-t-elle constitutionnelle.

  4. Kazmierczak

    Merci pour cet article essentiel. Au premier tour, près de 60{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des électeurs ont voté pour des candidats représentant le rejet de l’oligarchie. Mais l’on voit également se découper une France des villes (pro oligarchique) et une France des champs (pro populiste).
    Personnellement, je pense qu’utiliser le stratagème du Front Républicain deviendra de plus en plus caduc.
    On verra très rapidement si le nouveau président sera capable de garantir la paix civile