Mayotte en révolte, par François Villemonteix, membre du Conseil national de la Nouvelle Action royaliste

Mar 20, 2018 | Billet invité | 6 commentaires

Suite de la série : les Départements d’Outre-Mer en crise. Après la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, c’est au tour de Mayotte de se soulever. Crise qui était non seulement prévisible, mais inéluctable.

Les lecteurs attentifs de Mayotte Hebdo, l’hebdomadaire mahorais, le sentaient venir depuis des mois : l’exaspération de la population montait et tout allait finir par exploser[1]. Car la crise actuelle n’est pas épidermique : elle est profonde et s’aggrave depuis des années. Cela avait commencé dès le début de la décennie, par des manifestations portant d’abord sur les difficultés économiques ; puis plus récemment (2016-2017) sur des problèmes d’infrastructure et en particulier une pénurie d’eau dramatique liée à des systèmes de retenue (réservoirs) et de distribution déficients ; enfin depuis plusieurs semaines sur des questions de sécurité. Mais toutes ces révoltes ont deux origines plus profondes : l’indifférence pratiquement totale de la métropole, et les problèmes liés à l’immigration clandestine. La population est à bout et la France ne peut plus faire semblant de ne pas savoir ce qui se passe dans son DOM le plus récent. Alors le gouvernement va y envoyer quelques sous-ministres, soulever la soupape avec quelques promesses, y laisser quelques aumônes, en bref : essayer de faire baisser la pression dans la marmite, au moins pour quelques années, mais sans se donner la peine d’éteindre le feu. Classique.

On peut non moins classiquement prédire que dans ce cas tout finira très mal à Mayotte. Il faut donc agir, mais comment ?

Nous nous trouvons devant une situation où une crise violente, une forte fièvre, est due à des causes profondes. Cela impose deux étapes : soigner la fièvre, puis s’attaquer aux causes du mal.

Soigner la fièvre. Il faut le faire le plus vite possible, d’une part pour des raisons d’ordre public, d’autre part pour éviter une gangrène générale. Les causes immédiates sont connues, pas très différentes de celles que l’on a vu apparaître en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane. Ce sont les effets liés à un statut de DOM non maîtrisé. Trois causes majeures : (1) d’abord, et j’en parlerai plus loin, des problèmes de sécurité liés à l’immigration clandestine, bien plus déstabilisante que partout ailleurs en France ; (2) ensuite l’impuissance complète de l’administration locale, autant par manque de moyens que du fait du désintérêt marqué de la métropole qui ne veut qu’une chose des DOM : qu’ils se taisent. Alors, ce sont le manque d’écoles, d’infrastructures, l’insuffisance de la police et de la gendarmerie, comme partout dans les DOM ; plus, dans le cas de Mayotte, les pénuries gravissimes d’eau et l’état déplorable des structures de santé et d’enseignement. (3) Enfin des problèmes économiques liés à l’isolement, à la taille du marché intérieur ; à l’absence de  production régionale, induisant un chômage massif ; à une organisation commerciale de type colonial, où les réseaux de distribution sont confisqués par les importateurs. Rien que de très banal, puisque les mêmes causes ont produit les mêmes effets dans tous nos DOM. L’État a reçu le diagnostic, il a pu tester les remèdes, à Mayotte ou ailleurs, à lui de les appliquer intelligemment. Nous renvoyons le lecteur aux articles parus dans Royaliste sur toutes ces différentes crises.

S’attaquer aux causes profondes. Ou plutôt à LA cause profonde : l’immigration venant des Comores. Avant toute analyse, quelques chiffres : Mayotte a une superficie de 376 km2 pour une population de 260 000 habitants. Soit une densité de 680 habitants par km2, double de celle des trois autres DOM insulaires et des Comores elles-mêmes (800 000 habitants sur 2600 km2). Si l’on excepte Paris et l’Île de France (980 h/km2), Mayotte est la région la plus densément peuplée de France, deux fois plus que sa dauphine, la Martinique. La surpopulation est le grand problème de l’île, ce qui met immédiatement en lumière les effets additionnels catastrophiques de l’immigration. Mais cette dernière a des caractéristiques très particulières, qui font que la réaction simpliste de renvoi hors des frontières n’a pas de sens. Et pour comprendre, il faut faire un petit voyage dans le passé, au moins jusqu’à la moitié du XVIIIème siècle. C’est en effet à partir de cette époque que l’archipel, jusque-là homogène, se scinde en deux, du fait de guerres incessantes et ruineuses entre les sultans d’Anjouan et de Mayotte. En 1841 ce dernier, épuisé, vendra sa couronne à la France pour une rente viagère de 1000 piastres ! En 1843, Mayotte est donc française, 50 ans avant le reste de l’archipel (1896), vis-à-vis duquel elle gardera toujours un statut différent : elle sera colonie, les 3 autres îles, protectorat. Ces conflits permanents et cette histoire politique séparée ont fait que, si culturellement Mayotte est comorienne, politiquement elle ne veut rien avoir à faire avec les autres îles. Aussi, quand en 1972, puis en 1976, des referendums sur l’indépendance sont organisés, Mayotte vote massivement (63 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}, puis 90 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} !) pour rester française. Lisez : pour ne pas dépendre d’Anjouan (qui elle a voté à 99 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} pour l’indépendance). Voilà qui a changé complètement la donne : d’île périphérique à l’abandon qu’elle était quand Moroni était la capitale de l’archipel (1958-1976), Mayotte s’est retrouvée de très loin l’île la plus riche des quatre avec un PIB par habitant de 7900 euros, contre moins de 850 aux Comores.

Cela dit, il ne faut pas penser que les différends politiques font de Mayotte une région culturellement différente des autres Comores. On touche là du doigt ce qui sera sans doute le grand défi du futur : à la différence des autres DOM, Mayotte n’est pas seulement une région périphérique souffrant d’éloignement, c’est aussi une « civilisation » différente du reste de la France, du fait d’une organisation sociale coutumière fondée sur l’Islam. Ce qui différencie Mayotte des autres DOM, c’est l’absence de peuplement créole. Sa population vient exclusivement d’apports (massifs) d’esclaves d’Afrique de l’Est par des sultans arabes. Pas de brassage de populations, pas de métissage. Et cela saute aux yeux : le touriste retrouvera, à la Réunion voisine, une France tropicale métissée, avec sa culture originale (la langue créole en particulier, issue de l’imbrication de langues apportées par les immigrations successives, sur un fond de vieux français), mais finalement miscible sans grand problème dans la culture française générale. Alors qu’à Mayotte, il sera plongé dans l’Afrique Noire musulmane, avec son langage propre, issu du swahili, et ses coutumes parfois incompatibles dans certains aspects -comme la polygamie, pour ne parler que d’elle- avec la culture de notre pays. Ceci fait que les habitants y ont pour le moment plus de points communs avec les autres Comoriens qu’avec leurs compatriotes français (métropoles et DOM-TOM). On peut craindre qu’une question de cette importance ne puisse se résoudre qu’avec le temps, en trois ou quatre générations.

L’immigration n’est donc pas un problème simple. On le voit, elle présente deux caractéristiques : d’une part elle déstabilise profondément un département qui est déjà surpeuplé par rapport à ses capacités d’emploi, d’accueil, de « santé sociale », et elle aboutit à l’existence d’une clandestinité, et par conséquent d’une délinquance considérable. Selon l’INSEE[2], 41 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} des adultes de Mayotte sont nés à l’étranger (aux Comores), et sur ces immigrants, seuls 15 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} ont obtenu la nationalité française.  D’autre part c’est une immigration culturellement « intérieure », au sein d’un même peuple, mais entre deux pays différents, pour des raisons exclusivement économiques. Ce qui montre l’absurdité de solutions du type « droit du sang » qui taillent dans des familles, alors que les questions d’intégration, d’assimilation etc. ne se posent qu’en termes de revenus à Mayotte. Heureusement, n’oublions pas que tout ceci n’est qu’un « petit » problème à l’échelle de la France, puisque les dimensions absolues de ces populations sont faibles. Les Comores, c’est Marseille ; Mayotte, c’est Montpellier. Enfin, pratiquement 100 {9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} de l’immigration vient d’un seul pays (si l’on omet celle, plus marginale, issue de Madagascar).

En conclusion, nous voici devant un problème qui n’admet que deux solutions : soit on ferme les frontières, avec des murs, des gardiens, des miradors et finalement des mitrailleuses pour couler les « kwassa-kwassa »[3] avant qu’ils ne débarquent leurs immigrants. C’est évidemment inadmissible –et sûrement inefficace. Soit on fait que l’attractivité de Mayotte diminue suffisamment pour que les comoriens n’éprouvent plus le besoin de s’y rendre. C’est faisable, sans grever sensiblement le budget de notre pays. Oui, mais comment ? La solution ne peut passer que par des accords avec les Comores, lesquels, s’ils peuvent s’élaborer entre Paris et Moroni, doivent passer par l’Union européenne, seul interlocuteur reconnu. C’est d’ailleurs une bonne chose dans ce dossier, car on ne pourra taxer notre pays de néo-colonialisme comme c’était le cas dans les résolutions onusiennes des années 1970. En outre, un habitant de l’archipel comorien sur trois est déjà européen. Alors qu’inclure dans ce traité ? Des investissements massifs pour améliorer les infrastructures ; la remise à niveau des capacités du pays en éducation et santé ; la relance de l’économie avec des débouchés garantis ; la coopération, etc. Cela exigera probablement un statut particulier pour les Comores vis-à-vis de l’Union européenne, un peu comme Porto-Rico, devenu « Etat libre associé » aux Etats-Unis. Le risque d’un possible appel d’air est peu vraisemblable, l’archipel étant à la fois minuscule et isolé au milieu de l’Océan Indien. Ce sera enfin un test en modèle réduit de ce qu’il faudra faire un jour, et à grande échelle, entre l’Europe et l’Afrique.

François VILLEMONTEIX

[1] Nous l’avions d’ailleurs signalé en avril 2017 : voir Royaliste n° 1120.

[2] https://www.insee.fr/fr/statistiques/2656589#titre-bloc-9

[3] Embarcations de pêche à moteur hors-bord utilisées par les passeurs

 

 

Partagez

6 Commentaires

  1. cording

    Quelques observations impertinentes :
    – le statut de département est-il vraiment approprié à ce confetti de l’Empire selon le titre d’un livre de Jean Claude Guillebaud paru en 1976.
    – la comparaison avec Porto Rico n’est pas fondée parce que cette île bien plus proche géographiquement des USA et qu’elle est en banqueroute et que de longue date beaucoup de ses habitants ont émigré aux USA où personne ne songe à faire de cette île un 51è état de la Fédération.
    – l’UE déliquescente se moque totalement de ce bout de France si loin de tout, ne lèvera pas le petit doigt elle qui a si mal à résoudre ses propres problèmes continentaux. Si elle acceptait ce ne serait qu’a minima, autrement dit bien loin du compte.
    – quant à l’accusation de néocolonialisme de la part de certaines personnes ou pays on n’est pas obligé de les écouter sinon Mayotte ne serait pas restée française en considérant le vote de 1976 des 4 îles des Comores et non île par île. De plus quant il s’agit de passer aux actes donc de résoudre les problèmes l’on entend plus personne. Les gens qui parlent haut et fort et brandissent leurs mains blanches en réalité n’ont pas de mains.

    • Francois Villemonteix

      Bonnes remarques, et je ne peux que souscrire a votre pessimisme sur la volonté de l’UE à agir. Mais je propose ici une solution -je n’en vois pas d’autre- sans prejuger de la compréhension et de la bonne volonté de ceux à qui elle s’adresse.
      Etait-ce une bonne idée de donner un statut de DOM à Mayotte ? Probablement pas, mais ce qui est fait est fait. Je doute que les mahorais acceptent de changer de statut.
      Je ne pense pas que reproduire à l’identique le statut de Porto-Rico soit possible ; mais je ne vois pas comment faire pour remonter le PIB/habitant des Comores si l’on ne donne pas à l’archipel des droits particuliers (exemption de droits de douane, subvention sur les transports, droits particuliers pour les étudiants à venir en Europe, que sais-je ?). Donc un statut spécial, sans pour autant en faire le 29eme Etat de l’UE.
      Enfin la déclaration que  » 1/3 des habitants de l’archipel sont européens » n’est qu’administrative. Les mahorais représentent 1/3 des habitants de l’archipel, et étant francais ils sont administrativement déjà européens. Comme il s’agit d’une seule communauté culturelle, donner aux 2/3 restant un statut favorisé ne me paraît pas stupide.
      En tout cas, merci de vos commentaires, ils enrichissent le débat

      • cording

        Dans mon esprit il n’était pas question de faire adopter aux Comores un statut comme celui de Porto Rico, ni même le 28è état de l’UE ( 28 parce que la GB en est quasiment partie) en plus d’une UE déliquescente.
        Vos propositions pour les Comores me paraissent fondées et réalistes cependant si les étudiants comoriens viennent en France étudier il y a de grandes chances qu’ils y restent au détriment de leur pays qui a et aura besoin d’eux pour se développer. Alors pourquoi ne pas créer une université à Mayotte qui admettrait les Comoriens?

  2. cording

    De plus vous vous contredisez en disant  » un habitant de l’archipel comorien sur trois est déjà européen  » alors que plus haut vous vous employez à démontrer que déjà Mayotte est plus culturellement comorienne que française donc a fortiori les 3 autres îles des Comores sont bien ni françaises ni européennes, culturellement et juridiquement. Cela n’empêche pas de leur apporter l’aide que vous exprimez nécessaire, à juste titre, pour commencer à résoudre les problèmes de Mayotte.

  3. Francois Villemonteix

    Voici les propositions de l’Etat, telles que les détaille Le Monde du 27 mars : « D’un côté, le ministère des outre-mer plaide pour un renforcement de la coopération avec les Comores, en exigeant en contrepartie des engagements des autorités comoriennes à lutter contre l’immigration clandestine. [D’un autre côté] le ministère des affaires étrangères en pince toujours pour une vieille chimère qu’il entend réactiver : la communauté de l’archipel des Comores. Une idée notamment portée par la direction Afrique-océan Indien du ministère des affaires étrangères, qui estime qu’une partie des responsables politiques comoriens serait prête à renoncer à l’idée de Mayotte comorienne. Il s’agirait dès lors de proposer une association entre Mayotte et les Comores dans le cadre d’un accord de coopération régionale ».
    http://www.lemonde.fr/politique/article/2018/03/27/mayotte-desaccord-au-sommet-de-l-etat-sur-les-relations-avec-les-comores_5276982_823448.html#G5zoThJtJHPZ1v7x.99

    Il est intéressant de lire les réactions des lecteurs : les vieilles batailles anticolonialistes réapparaissent, et c’est assez logique, puisque cette « communauté » se heurte à deux positions incompatibles : celles des Mahorais qui ne veulent pas appartenir aux Comores, et celle de Moroni qui réfute le referendum de 1976 et considère Mayotte comme comorienne. Dans les deux cas, la France est prise en otage. Voilà pourquoi il me semble que c’est par l’UE que doit se passer cet indispensable rééquilibrage des niveaux économiques des deux parties.

    • cording

      La France n’est prise en « otage » que parce qu’elle le veut bien. Laissons donc certains parler qui seront aussitôt aux abonnés absents lorsqu’il faudra payer pour aider les Comores. A cet effet l’UE n’est pas la malvenue, bien au contraire. Elle peut contribuer à un habillage pour faire « passer la pilule » aux gens qui ne savent faire que de la morale et qui n’ont pas de mains lorsqu’il faut passer aux actes.