Non à l’esclavage !

Mai 20, 2013 | la lutte des classes | 2 commentaires

Lors de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, le président de la République a prononcé de fortes paroles sur « l’impossible réparation » et sur la lutte à mener contre le racisme. C’était le 10 mai. Beaucoup, ce jour-là, avaient encore à l’esprit la catastrophe de Dacca, survenue le 24 avril : 1120 travailleurs du textile sont morts à la suite de l’incendie et de l’effondrement de l’immeuble Rana Plaza où étaient installés leurs ateliers. Il ne s’agissait pas d’un fait isolé : le 24 novembre 2012, 112 personnes avaient péri dans l’incendie de l’usine de textile Tazreen Fashion, également dans la banlieue de Dacca et l’on estime que, depuis 2005 au Bangladesh, deux mille travailleurs employés dans ce secteur ont été tués et plusieurs milliers blessés à cause de leurs effroyables conditions de travail.

Nous sommes donc confrontés à l’une des formes actuelles de l’esclavage : en Asie, en Afrique mais aussi en Europe des hommes et des femmes travaillent enfermés dans des ateliers, reçoivent des salaires de misère, sont maltraités lorsqu’ils protestent.  Lors de la commémoration du 10 mai, le président de la République aurait dû réagir. Non pour exprimer sa compassion, dont les esclaves modernes n’ont que faire, mais pour annoncer les premières mesures destinées à mettre fin à cette situation intolérable.

Car il y a des responsables, ces responsables sont coupables et ces coupables sont connus. Ce sont les donneurs d’ordre, autrement dit les entreprises américaines et européennes qui passent les commandes à très bas prix aux ateliers du Bangladesh et d’ailleurs. Nul n’ignore les conditions de travail infligées à celles et ceux qui travaillent pour Apple en Chine. A Dacca, l’usine Tazreen Fashion fabriquait des maillots pour les boutiques des parcs Disney et on a retrouvé dans les ruines du Rana Plaza les étiquettes de l’italien Benetton, de l’anglais Primark, de l’espagnol Mango, de Tex qui est vendu en France dans les magasins Carrefour… Ces entreprises sont esclavagistes car leurs profits proviennent des salaires de misère versés aux salariés de la sous-traitance. Selon une enquête récente (1), le coût du travail est de 1,90 € sur une pièce qui est achetée 10 € à sa sortie d’usine au Bangladesh et qui est revendue entre 30 et 60 € dans un magasin français.

Bien entendu, les entreprises capitalistes affirment qu’elles ne maîtrisent pas les conditions de la production dans les pays lointains et soulignent aujourd’hui les efforts qu’elles font pour humaniser les conditions de travail. Ce discours est parfaitement hypocrite et les chartes signées ne changeront rien puisque c’est la pression sur les prix qui conduit les sous-traitants à sous-payer et à maltraiter leurs salariés.

Bien entendu, les économistes ultralibéraux feront valoir que la grande pauvreté a diminué au Bangladesh, qui bénéficie d’un remarquable taux de croissance. Mais cela signifie que le libre-échange conduit les pays pauvres à se spécialiser dans la sous-traitance et que leur population salariée a le choix entre la grande pauvreté et la pauvreté à 30 centimes de l’heure. Pendant ses  rares instants de loisirs, elle peut regarder comment prospère la classe des exploiteurs locaux et calculer les gains inouïs des donneurs d’ordre occidentaux.

Contre l’esclavage moderne, il faut encourager l’action des associations et des syndicats qui soutiennent les revendications des travailleurs exploités. Il faut surtout que le gouvernement français s’engage dans une politique destinée à faire cesser les pratiques esclavagistes et à aider les populations victimes de l’ultra-concurrence.  La loi française doit préciser l’étendue de la responsabilité pénale des entreprises quant aux infractions commises sur l’ensemble de la chaîne de production. C’est compliqué ? Cela prendra du temps ? C’est vrai mais on peut commencer par imposer aux distributeurs une mesure très simple : l’étiquetage comportant le prix payé au producteur d’origine. Cette transparence des marges est seule susceptible de produire à la fois des effets psychologiques, économiques et politiques.

A l’égard de l’Europe et du monde, l’engagement de la France contre l’esclavage doit être exemplaire. Ou plutôt : nous voudrions qu’il le soit.

***

(1)    La Croix du 8 janvier 2013.  http://www.la-croix.com/Actualite/Economie-Entreprises/Economie/Comment-se-decompose-le-prix-d-un-vetement-fabrique-au-Bangladesh-_NG_-2013-01-08-896562

 

 

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2 Commentaires

  1. François Gerlotto

    Le lien entre la fin de l’esclavage et le début du prolétariat est évident. L’Angleterre, qui a la première milité pour l’abolition de l’esclavage est aussi celle qui a développé le plus cette forme « capitaliste » d’esclavage moderne, de façon parfaitement synchrone. Je ne suis ni sociologue ni économiste, mais il me parait clair que la dénonciation de l’esclavage y a été facilitée par le froid calcul qu’un prolétaire était une main d’œuvre plus disponible et moins couteuse qu’un esclave. Je me souviens avoir eu une discussion avec un ami qui défendait avec passion le fait que Charles Darwin était un ardent anti-esclavagiste. A la lecture des ouvrages du même Darwin, on ne doute pas qu’en effet l’esclavage lui paraissait une monstruosité, et cette affirmation se retrouve dans plusieurs parties de son oeuvre. Son opinion sur l’esclavage était très claire et parfaitement dans la ligne d’une vision Victorienne anglo-saxonne : d’un côté il signale (La Filiation de l’homme, Ed. Syllepse, 2000, p. 205) « l’esclavage, bien que bénéfique à certains égards dans les anciens temps, est un grand crime » ; mais de l’autre il constate que les sauvages que l’on réduit en servitude ne présentent pas les mêmes capacités intellectuelles et morales que les hommes blancs, et en particulier les anglo-saxons. A ce propos, et même si elle est un peu hors-sujet, je ne résiste pas au plaisir de citer cette phrase extraordinaire : « Le remarquable succès des Anglais en tant que colons, par rapport aux autres nations européennes, a été attribué à leur énergie audacieuse et tenace ; résultat que l’on illustre bien en comparant les progrès des Canadiens d’extraction anglaise et française » (id., p. 230)… Par ailleurs sa vision des « prolétaires », en particulier chez ses compatriotes (par exemple une comparaison hallucinante reprise de Greg, entre Irlandais négligents et crasseux se reproduisant comme des lapins et Ecossais économes, ambitieux, austères mais hélas peu prolifiques), entre dans un cadre de sélection naturelle : c’est du fait de leurs tares que les classes pauvres le sont, et elles sont par nature incapable de se prendre en charge. A partir de là il devient même moral de les exploiter, puisque sans cela elles seraient vouées à la barbarie. La base conceptuelle et morale était mise en place, le darwinisme social allait permettre de transférer sans heurts le besoin en main-d’oeuvre d’un esclavage de plus en plus couteux et contraignant vers un prolétariat libérant l’employeur de toute contrainte, même morale.
    Ce qui est désolant, et Bertrand le démontre très bien, c’est que cette vision, compréhensible dans un contexte victorien, n’a pas évolué d’un iota et les multinationales la reproduisent à l’identique dans leurs délocalisations…

  2. fabrice B

    Et dans ce rapport de forces, si on songeait à soutenir les syndicats ?