Quelle identité européenne ?

Nov 13, 1989 | Chemins et distances

 

Les révolutions en cours dans l’Europe du centre et de l’est transforment la conception même de la Communauté européenne.

A-t-on assez remarqué que la grande échéance du Marché unique de 1993, présentée comme l’enjeu décisif de la fin de ce siècle, avait pris un formidable coup de vieux ? Sans même que les problèmes techniques aient été résolus, la promesse qui avait tant agité les esprits voici, deux ans est aujourd’hui devenue une question parmi d’autres, et sans doute pas la plus importante.

Ainsi, la révolution en cours dans l’Europe du centre et de l’est modifie et bouleversera peut-être les données et les conceptions qui semblaient les mieux établies en Europe de l’ouest. Les données ? L’évolution rapide de l’Allemagne de l’Est, dont l’identité est seulement idéologique, nous oblige à appréhender l’ensemble de la question allemande, et à envisager les diverses formes possibles d’une réunification qui modifiera sérieusement les équilibres au sein de la Communauté européenne. Quant aux transformations radicales que connaissent la Pologne, la Hongrie, et que connaîtra demain la Tchécoslovaquie, elles imposent à la CEE un élargissement de fait à cette « autre Europe » qu’elle ne saurait exclure.

CONCERTATION

Les conceptions ? L’Europe telle qu’elle se redessine ne peut plus être l’affaire des technocrates et des seuls économistes : qui ne voit en effet que le bouleversement est l’affaire des peuples et des nations, qu’il fait ressurgir de délicats problèmes d’identité et de légitimité politique, qu’il se fait au nom de valeurs, et que la difficile sortie du communisme exige la mise en œuvre d’une politique concertée entre les chefs d’Etat et de gouvernement ? Cela, François Mitterrand l’a d’autant mieux saisi qu’il a l’habitude de jouer ses parties avec plusieurs coups d’avance : le Président est convaincu de la réalité des révolutions à l’Est, de la nécessité de cogérer la sortie du communisme avec les dirigeants concernés, de l’urgence de l’aide économique et financière, sans que celle-ci fasse tomber les pays européens en voie de libération sous la coupe du capitalisme sauvage. On observe aussi que la politique française insiste également sur l’urgence d’une action concertée de la Communauté européenne en direction et en faveur de l’Est, ce qui est une manière de réaffirmer que la République fédérale fait partie d’un ensemble dans lequel elle continuera de s’inscrire…

DEFINITION

Mais il ne s’agit pas seulement de la stratégie extérieure de la CEE. C’est sa définition même qui doit être revue et précisée, comme l’a indiqué Jacques Delors dans une déclaration qui n’a pas été commentée. Interrogé sur la question allemande le 22 octobre dernier au « Grand Jury RTL-Le Monde », le président de la Commission européenne a décrit la CEE comme « un minimum de pouvoir au sommet et au-dessous des nations souveraines ». En quelques mots, voici révoqué tout le discours sur l’intégration-fusion dans le Grand Tout supranational qui, jusqu’à présent, exprimait la vérité officielle et le mythe moteur de ladite Communauté. Réapparaissent les « nations souveraines » dont on nous annonçait la mort prochaine, ainsi que la notion d’un pouvoir minimal résultant des nécessités de la concertation et de la coopération. Telle est la conception réaliste et positive que nous n’avons cessé pour notre part de préconiser. Il est heureux que le président de la Commission l’ait faite sienne.

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Article publié dans le numéro 524 de « Royaliste » – 13 novembre 1989

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