L’homme d’Etat, c’est l’homme des risques

Juin 9, 2008 | Res Publica

Qu’est-ce que homme d’Etat ? « Un homme capable de prendre des risques ». Le général de Gaulle, qui donnait cette définition, est exemplaire à cet égard : l’homme de Londres avait été condamné à mort par Vichy.

Le cas est exceptionnel et nul ne saurait souhaiter que se reproduisent les circonstances dans lesquelles un général de brigade à titre temporaire a affirmé sa légitimité, selon l’histoire et selon les impératifs de la défense nationale. La raison politique se défie des évocations romantiques et craint la gestuelle héroïque. Pour le service de l’Etat en temps de paix, le courage ordinaire suffit. Je l’ai souvent dit à des responsables de haut rang : la prise de risques politiques sérieux peut mettre en péril un siège de député ou un fauteuil de ministres mais pas la carte Vitale et les points de retraite.

Quels risques ? Celui de rompre avec l’oligarchie, de faire scission au sein d’un grand parti, de proposer un programme de gouvernement fondé sur des principes fondamentaux (ceux du gaullisme, du socialisme, du libéralisme…) et offrant de nouvelles perspectives. Au modeste courage politique, il faut ajouter cette aventure plus personnelle qui consisterait à penser et à agir sans les prétendus experts et autres conseillers en communication, sans regarder les sondages ni prendre au sérieux les mises en garde solennelles de trois éditorialistes et d’un quarteron d’intellocrates.

On m’opposera des campagnes électorales qui furent de formidables défis, des traversées du désert, des revanches inattendues. Je ne les néglige pas mais on ne peut confondre l’action qui a pour moteur une ambition personnelle et le service de l’Etat qui impose le sacrifice de tout ou partie de soi-même – à commencer par la perte de l’estime acquise dans la société des puissants. Beaucoup sont rentrés dans le rang par simple crainte de perdre une réputation tissée au fil des relations mondaines.

Le comportement excessif de Nicolas Sarkozy est à cet égard tout à fait remarquable: il ne respecte pas plus les convenances que le droit constitutionnel mais il se conforme aux usages et aux normes de ses amis du spectacle et de la finance.

Qu’y faire ? Les injonctions morales ne sont pas de notre ressort et de toutes manières ne serviraient à rien : par définition, les oligarques respectent les valeurs de l’oligarchie, qui sont à l’opposé de celles du commun. Je propose donc qu’on leur tienne le seul langage susceptible de les émouvoir : celui de leurs intérêts à moyen terme, en prenant en très haute considération le souci qu’ils ont de leur confort, de leur argent, de leur réputation.

Chers hiérarques socialistes et sarkoziens, songez un instant aux révolutions qui ont bouleversé les deux derniers siècles : il arrive toujours un moment où « les gens », comme vous dites, ne supportent plus les mensonges qui sont censés masquer l’incapacité, l’arrogance et la corruption d’une caste qui se croit d’essence supérieure. Epargnez-vous une vengeance populaire qui vous priverait de tout. Ayez le courage de vous sauvez-vous-mêmes en tenant à vos amis et complices un langage non moins salutaire :

« Chers patrons, qui pratiquez le « management par le stress » – entre autres cruautés – et jouissez de revenus inouïs, ne croyez-vous pas que vos salariés poussés à bout finiront par retourner la violence qui les frappe contre vous-mêmes?

« Chers dirigeants syndicaux ne pensez pas que les manœuvres et manipulations dont nous tenons ici le compte exact permettront de repousser aux calendes grecques l’explosion sociale que vous redoutez. En vous laissant humilier par Nicolas Sarkozy, en passant des compromis qui accélèrent la destruction de la protection sociale, vous finirez par provoquer, contre vous, des scissions salutaires ou des révolutions d’appareil.

« Chers banquiers, qui tentez de vous protéger contre tous les risques par des procédés d’une complexité inouïe, ne voyez-vous pas que vos spéculations entraînent des pertes colossales qui peuvent provoquer votre élimination ?».

Tous devraient comprendre que le risque suprême est de ne pas prendre de risques. Mais leur voracité m’inquiète : ils se hâtent de jouir de l’argent, du confort, de la considération comme s’ils étaient sûrs de bientôt tout perdre.

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Editorial du numéro 928 de « Royaliste »- 2008

 

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