Réflexions sur les méthodes de scrutin – par Jérôme Malahan

Mai 17, 2018 | Billet invité | 2 commentaires

Quelle est la méthode de scrutin la plus satisfaisante et la plus souhaitable ? La question est peu souvent posée mais il paraît nécessaire d’y réfléchir, la dernière élection présidentielle française en date ayant montré les limites de la méthode du scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

Prenons 3 candidats A,B,C et considérons 30 électeurs ayant tous un ordre de préférences pour chacun des trois candidat, c’est-à-dire un candidat préféré aux deux autres et un second préféré au troisième. Supposons que par ordre décroissant de préférence : 9 choisiraient A>C>B 3 choisiraient A>B>C 9 choisiraient B>C>A 1 choisirait B>A>C 7 choisiraient C>B>A 1 choisirait C>A>B

En cas de scrutin uninominal on aurait le résultat A premier avec 12 B deuxième avec 10 C troisième avec 8

A est donc déclaré vainqueur en cas de scrutin uninominal majoritaire à un tour.

En cas de scrutin majoritaire à deux tours que nous connaissons bien, un second tour oppose A à B, avec le report des voix de l’électorat de C B gagne potentiellement avec 17 voix contre 13.

Cependant le candidat C bat n’importe lequel des deux candidats en cas de duel, par 17 voix contre 13 dans les deux cas, ce candidat semble donc plus consensuel.

Partant du postulat que notre système électoral n’est pas nécessairement juste car il peut amener au pouvoir un candidat assez impopulaire. imaginons comment le rendre plus juste  – sans exclure la possibilité d’améliorer notre système médiatique.

Prenons d’abord une méthode qui est théoriquement des plus justes : une variante de la méthode Borda indiquée, hélas sans référence précise, à la fin d’un article publié sur Wikipédia (1)

Soit un certain nombre de candidats déclarés. Chaque électeur vote pour un nombre au choix de candidat qu’il classe selon ses préférences.

Pour chaque bulletin, le candidat classé comme le préféré reçoit un point par nombre de candidats sur le bulletin, le deuxième s’il y a un point de moins que le premier, le troisième s’il y a un point de moins que le deuxième soit deux points de moins que de candidats sur le bulletin et ainsi de suite. Le candidat ayant le plus de points en additionnant chaque bulletin est élu. La méthode se distingue de la méthode Borda « classique », nous verrons en quoi.

Cette méthode possède l’avantage de faire élire un candidat à coup sûr et plus facilement consensuel en laissant une grande liberté à l’électeur : celui-ci peut ajouter autant de candidats qu’il souhaite sur le bulletin sans risquer nullement de faire battre ceux mieux classés, ce vote est donc des moins corruptibles.

Cette méthode présente cependant des difficultés à entre mises en pratique : il faudrait sans doute que l’électeur inscrive le nom de chacun des candidats qu’il favorise puis que les assesseurs lisent le bulletin de bas en haut pour répertorier chaque point. (On pourrait sinon demander à l’électeur de cocher son favori de chaque duel de candidats pour tous les duels possibles lorsque favori il trouve, mais cela demanderait plus de raisonnement encore aux assesseurs). Ces difficultés techniques sont à prendre en compte.

On peut imaginer un consensus entre cette méthode intéressante mathématiquement et le statu quo, en particulier dans le cas de l’élection présidentielle.

Etudions donc d’autres méthodes. Le vote Condorcet qui impose de classer tous les candidats par ordre de préférence et de designer un “gagnant de Condorcet” si et seulement si un candidat comparé en duel avec chacun des autres est donné vainqueur. Notons qu’il est probable mais pas certain d’arriver à un gagnant systématique par ce seul critère (on parle donc de “méthodes de Condorcet” au pluriel lorsque l’on évoque les différents moyens de résoudre un “paradoxe de Condorcet”(2), mais ce gagnant ne sera pas nécessairement le même qu’avec notre méthode Borda perfectionnée, car le système Condorcet ne peut pas mesurer l’intensité de la préférence d’un candidat sur un autre.

Prenons 3 candidats à nouveau A,B,C et cette fois-ci un collège de cent électeurs, supposons que lors du dépouillement du vote Condorcet on obtienne le résultat suivant : 53 électeurs votent A>B>C 43 électeurs votent B>C>A 2 électeurs votent C>B>A 1 électeur vote C>A>B 1 électeur vote A>C>B 0 électeurs votent B>A>C

En duel : B gagne contre C par 96{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} A gagne contre B par 55{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163} A gagne contre C par 97{9ef37f79404ed75b38bb3fa19d867f5810a6e7939b0d429d6d385a097373e163}

Il apparaît donc que le candidat C est rejeté par l’immense majorité de la population et que A est le gagnant de Condorcet.

Mais voyons un cas ou A n’est pas le gagnant selon notre méthode, et ou pourtant le dépouillement par méthode Condorcet serait le même que ci dessus :

45 candidats votent A 8 candidats votent A>B(>C)  42 électeurs votent B>C 1 électeur vote B

2 électeurs votent C>B(>A) 1 électeur vote C 1 électeur vote A>C(>B)

RESULTAT FINAL: Candidat C: 48 points (2×2 et 44×1) Candidat A: 63 points (9×2 et 45×1) Candidat B: 95 points (42×2 et 11×1)

Le candidat B semble donc finalement vainqueur, car le candidat A serait expressément rejeté par une grande minorité, alors que la majorité́ s’accommoderait du candidat B.

Mais en réalité́ l’électorat du candidat A aurait pu se montrer beaucoup plus citoyen, ou beaucoup plus politicien selon le point de vue, les 45 A auraient pu voter A>C de cette façon le résultat aurait été bouleversé : C 93 points au lieu de 48 et A 108 points au lieu de 63.

Bien que cet aspect ne nous était pas apparu au premier abord, contrairement à la méthode Borda classique où en ajoutant C derrière A on aurait favorisé la possibilité́ pour C d’entre devant A sur le tableau final, on a ici favorisé A contre B. Le point commun est que dans les deux cas on a défavorisé le candidat B par rapport au candidat C comme 42 des électeurs de B ont favorisé C par rapport à A.

Car la méthode Borda “classique” est telle : Pour un nombre n de candidats on attribue au candidat classé en tête de l’ordre de préférence un nombre n-1 de points, au deuxième mieux classé un nombre n-2 de points, au troisième un nombre n-3 etc… et ce quelque soit le nombre de candidats présents sur le bulletin.

Notre méthode avait l’avantage par rapport à la méthode Condorcet de laisser la possibilité à un camp de faire un geste envers un autre, en leur disant mathématiquement “Si vous préfériez le candidat moqué de l’immense majorité́ à notre candidat, cela signifierait que notre candidat n’est peut-être pas le meilleur pour incarner notre commun”. Mais cet avantage parait négligeable tant le phénomène parait curieux à l’échelle d’une grande population.

Dressons donc notre comparaison entre les différentes méthodes étudiées jusque là :

Tableau méthodes scrutin

Nous devons finalement lui préférer la méthode Condorcet, en raison du risque de multiplications de candidatures. À la différence des scrutins majoritaires, ou deux candidats similaires sont incités à ne pas se présenter tous deux, nous pourrions avoir le phénomène inverse, en effet supposons que le parti d’un candidat X veuille maximiser les chances de son challenger face à un candidat Z ? Pourquoi ne pourrait-il pas présenter également un candidat Y qui ne pourrait au pire que voler la victoire à X. Certes cette double candidature pourrait-être un gaspillage d’énergie mais elle pourrait très bien favoriser X dans sa confrontation à Z par la possibilité du vote X>Y>Z.

Faisons maintenant un point sur les méthodes de votes par notes, ou le candidat choisit une note parmi un certain nombre pour chaque candidat. Il existe deux types de systèmes fondés sur ce vote par note, les méthodes qui privilégient la note moyenne (tel le “jugement majoritaire”) et celles qui privilégient la note médiane, tel le “vote par valeur” (3).  La première catégorie rejoint foncièrement la méthode Borda, et la deuxième les méthodes de Condorcet. Les votes par notes ont l’avantage d’être un peu plus clairs pour les électeurs dans l’isoloir, mais le dépouillement n’est pas là non plus simple.

Puisqu’il nous faut trancher et que l’on souhaite pouvoir facilement dépouiller tous les bulletins de France (Nous n’avons pas ici étudié bien qu’y ayant songé la possibilité́ de ne dépouiller qu’une partie des bulletins, en tirant au sort un échantillon de bulletin sociologiquement représentatif ou en ne convoquant qu’un échantillon d’électeur qui poseraient d’autres problèmes) :

Nous rappelons à ce stade notre aspiration à plus d’égalité dans le traitement médiatique de chaque candidature, néanmoins voici le système que nous préconisons : vote par approbation avec limite de 4 noms par bulletin (l’électeur note sur son bulletin, ou insert un bulletin uninominal pour chaque candidat qu’il approuve sans dépasser 4 noms) les 4 candidats avec le plus de faveurs sont qualifiés pour le second tour

– second tour par vote Condorcet, en cas de triple égalité (à la première place) troisième tour entre les trois candidats selon la méthode Borda, qu’on appelle méthode dite “Black”(4)

et en cas de quadruple égalité vote par approbation avec limite de 2 noms par bulletin parmi les 4 candidats.

On peut cependant envisager une méthode de Condorcet sur plus de candidats dans le cas d’un électorat réduit, comme pour la présidence d’une assemblée.

Jérôme MALAHAN

(1) : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Méthode_Borda#Chez_les_.C3.A9lecteurs

(2) https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Paradoxe_de_Condorcet

(3) http://www.votedevaleur.org/co/votedevaleur.html )

(4) https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Méthode_Black )

 

 

 

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2 Commentaires

  1. Franck Boizard

    C’est totalement irréaliste pour une raison simplissime : un nombre important, faussant le vote, des électeurs ne comprendrait pas le système.

    Les études dans certains pays sur les votes à multiples propositions montrent qu’il y a une incompréhension significative.

    Alors avec ce système digne du cerveau fumeux d’un Polytechnicien …

    • Malahan

      Je suis d’accord