Il faut bien entendu s’interroger sur les projets d’Emmanuel Macron et sur les manœuvres d’Edouard Philippe, puisque ces acteurs sont sur le devant de la scène. Souvenons-nous cependant qu’ils n’ont pas écrit la pièce. Celle-ci a été conçue à Lisbonne, à Bruxelles, à Francfort, à Berlin, sous nos yeux mais sans que nous soyons consultés. Et ce sont les mécanismes complexes des traités qui forment, contre notre volonté exprimée lors du référendum de 2005, le système au sein duquel MM. Chirac, Sarkozy, Hollande et Macron ont tour à tour joué leur rôle, dans des costumes de droite et de gauche qui ont fini par devenir semblables, à quelques nuances près.

Ce système énonce, pour la classe dirigeante, quatre règles de servitude volontaire : le respect absolu de l’euro, qui substitue aux dévaluations monétaires la dévaluation des salaires ; la règle d’or de l’équilibre de tous les comptes publics ; l’impératif de compétitivité, dicté par le principe de concurrence en tous domaines ; la libre circulation des capitaux.

Etape par étape, les traités régissant l’Union européenne ont privé les dirigeants français de leurs pouvoirs de décision en matière commerciale, monétaire et budgétaire. Masquée par des bribes d’idéologie néolibérale, cette servitude est allègrement supportée pour une raison toute simple : elle permet de faire des affaires d’autant plus fructueuses que le contexte juridique encourage le business. D’apparence polémique, cette affirmation s’est vérifiée au fil des informations et révélations récemment publiées.

Nous savions que l’Union européenne recommande à notre pays d’aligner les régimes de retraite du privé et du public afin de réduire de 5 milliards d’euros les dépenses publiques. Puis nous avons appris qu’une rencontre avait été organisée à l’Elysée entre plusieurs membres du gouvernement et Black Rock, le plus gros gestionnaire d’actif du monde, qui s’est publiquement réjoui du vote de la loi Pacte. Pourquoi ? Parce qu’elle favorise les plans d’épargne-retraite individuelle orientés vers les placements risqués – premier pas vers les retraites par capitalisation.

De mieux en mieux documentés, les liens entre les dirigeants français et les milieux financiers est illustrée par l’affaire Delevoye. Ce personnage avait “oublié” de déclarer un mandat d’administrateur bénévole à un organisme de formation qui a pour clients les principales sociétés françaises d’assurance. Puis on s’est aperçu qu’il occupait la présidence fortement rémunérée d’un groupe de réflexion sur l’éducation, Parallaxe, entre autres fonctions dont la liste n’est pas close. Cet amateur de réseaux et de prébendes viole ouvertement la Constitution. Pourtant, il n’a pas démissionné. Pourtant, ni le président de la République ni le Premier ministre n’ont exigé son départ immédiat du gouvernement.

Le clan affairiste qui pilote la réforme des retraites est au service de ses propres intérêts, qui coïncident avec les objectifs du patronat, formulés en 2007 par Denis Kessler : “défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance”. Le projet présenté par Edouard Philippe le 11 décembre se situe dans cette ligne : celle de la revanche du patronat compromis avec Vichy et les Allemands, celle d’une guerre de classe qu’il croit pouvoir gagner. La technicité du système des points, assortie de mensonges éhontés, ne parvient pas à cacher la volonté de ruiner les principes énoncés à la Libération (1).

La primauté de la justice sociale, qui impliquait que l’économie soit mise au service de cet objectif éminemment politique, a été effacée à partir de 1983 par les prétendues exigences de la “compétitivité”.

La solidarité nationale est récusée par la thématique du conflit de génération, serinée depuis des décennies par de grands médias. En l’occurrence, les jeunes nés avant 1975 vont être incités à haïr les vieux. Et les « vieux » mis au chômage à 50 ou 55 ans seront incités à détester ces autres « vieux » qui pourront partir avec le maximum de points après 64 ans – l’âge-pivot que le gouvernement prétend vouloir imposer.

L’universalité est censée caractériser le système de retraites par points mais c’est un mensonge doublé d’une imposture. A la libération, le principe d’universalité avait été atténué par le maintien des régimes spéciaux, mais les avantages procurés par ces régimes représentaient un objectif à généraliser. Aujourd’hui, au contraire, il s’agit de liquider les régimes spéciaux – sauf ceux dont bénéficient les grands patrons – pour généraliser la baisse des pensions selon la logique de déflation salariale imposée par la “monnaie unique”.

La démocratie sociale voulue par les législateurs de 1945 sera quant à elle réduite à une vague “gouvernance” paritaire placée dans le champ des contraintes avouées ou inavouables qui démontrent chaque jour leur terrible efficacité. Les syndicats ne pourront empêcher la retraite par capitalisation que la baisse du niveau des pensions rendra de plus en plus attractive – du moins pour ceux qui ont la possibilité d’épargner.

C’est maintenant qu’il faut obtenir le retrait total du projet.

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(1) Cf. sur mon blog la chronique consacrée aux origines de la Sécurité sociale.

Editorial du numéro 1179 de « Royaliste » – Décembre 2019

 

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