Nous vivons depuis 1958 dans une monarchie élective. Est-il possible d’en venir à une monarchie pleine et entière sans changer de Constitution ?

Alors qu’il était président de la République, le général de Gaulle avait confié à un témoin digne de foi (1) qu’il avait songé à aller plus loin que la monarchie élective. Le projet a échoué mais il peut être repris et le comte de Paris a plusieurs fois indiqué comment cet aboutissement logique de notre régime politique aurait pu se traduire en droit, dans le respect de la volonté du peuple français. La première étape pourrait être l’élection du Prince à la présidence de la République dans les formes que nous connaissons depuis 1962. Pendant une période plus ou moins longue, l’exercice du pouvoir ne changerait guère puisqu’il faudrait avant tout démontrer la qualité du service rendu dans la conduite des affaires. Puis se poserait la question de la modification de nos institutions dans le sens monarchique. Là encore, le principe démocratique ne saurait manquer d’être entièrement respecté, puisque le consentement populaire est un des éléments fondamentaux de la légitimité…

La seule solution concevable serait de soumettre à référendum la question de l’instauration de la monarchie, selon la procédure prévue par l’article 11 : le Président peut soumettre au référendum tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics. Tel serait bien le cas. Comme on l’a fait en 1962, le référendum porterait sur la modification des articles 6 (« le président de la République est élu pour sept ans au suffrage universel direct ») et 7 (qui concerne les modalités de cette élection). Inscrit dans le nouvel article 6, le principe de la dévolution héréditaire du pouvoir s’accompagnerait, à l’article 7, des règles de la succession. Certains juristes ne manqueraient pas de souligner une difficulté, en se fondant sur l’alinéa 5 de l’article 89 qui stipule que «la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l’objet d’une révision ».

Il est possible d’évacuer la question en soumettant au même référendum la suppression de cet alinéa. Il serait préférable de traiter le débat au fond en s’interrogeant sur le contenu du concept de République. La République est incontestablement une philosophie, une morale et elle a été un parti, mais elle n’a jamais pu se définir sur le plan institutionnel et, historiquement, elle s’est traduite par l’absence d’Etat. Nul ne peut établir ce qu’est en réalité la « forme républicaine du Gouvernement » selon la tradition républicaine toujours invoquée. Force est donc de se référer à l’étymologie, et de concevoir la Res publica comme un Etat de droit. Telle était la définition classique qui subsista jusqu’à Jean-Jacques Rousseau : dans Le Contrat Social, celui-ci indique que « tout gouvernement légitime est républicain ». Donc la monarchie est républicaine en ce sens et il ne serait pas nécessaire de supprimer l’alinéa 5 de l’article 89, ni même de modifier l’article 2 qui définit la France comme « une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Dans la très grande majorité de ses articles, la Constitution actuelle pourrait sans difficulté aucune devenir la loi fondamentale d’une monarchie démocratique et parlementaire. Son titre II définit fort clairement les pouvoirs du chef de l’Etat et reprend les grands principes d’arbitrage, de continuité, d’indépendance nationale et d’intégrité du territoire qui étaient ceux de la monarchie capétienne. Les pouvoirs du Parlement demeureraient inchangés, ainsi que l’organisation des rapports entre Gouvernement et Parlement, qui a fait ses preuves. Quant aux rôles respectifs du chef de l’Etat et du Premier ministre, ils se verraient stabilisés et clarifiés, dans une coexistence et selon une alternance démocratique exemptes de toute arrière-pensée. Parce que le Premier ministre ne serait plus le candidat automatique à la charge suprême, parce que le chef de l’Etat ne verrait plus en lui un rival, le climat politique se trouverait radicalement transformé, le gouvernement pourrait effectivement conduire la politique de la nation, et les partis cesseraient d’être des terrains de manœuvre des « présidentiables » pour retrouver leur rôle propre.

Sur le plan constitutionnel comme ailleurs, le principe monarchique contient une dynamique apaisante et novatrice.

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(1) Philippe de Saint Robert, « Les septennats interrompus », Laffont.

Article publié dans le numéro 453 de « Royaliste » – 2 juillet 1986

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