Ruines de la démocratie

Mai 17, 2010 | la lutte des classes

Quand les manifestants grecs fustigent sur leurs banderoles la ploutocratie, ils demeurent fidèles à l’enseignement de leurs philosophes et à leurs ancêtres qui inventèrent, à Athènes, la démocratie. Quand nous avons commencé à dénoncer l’oligarchie, nous avons craint que le mot soit pris dans un sens polémique. Tel n’est plus le cas depuis longtemps mais voici que la ploutocratie et l’oligarchie se concrétisent avec une violence encore plus forte que dans les premières années de ce siècle : les décisions sont prises contre les peuples, pour satisfaire les puissances d’argent, pour que les milieux dirigeants ne perdent ni la face, ni leur pouvoir. Angela Merkel, Dominique Strauss-Kahn, Jean-Claude Trichet, Pascal Lamy : tels sont les acteurs d’une tragédie qui finira par les détruire. Mais, sans voir que l’issue fatale se rapproche, ils continuent, par conjonction de nombreuses circonstances, de nous dominer.

Parce que les Grecs sont au cœur de l’histoire qui se fait, parce qu’ils peuvent y jouer un rôle décisif, exemplaire pour les autres peuples d’Europe, nous voyons clairement que cette crise est d’abord politique : les programmes d’appauvrissement qui sont décidés par les gens du FMI constituent d’abord un attentat prémédité contre la démocratie. Et c’est le démos d’Athènes, de Salonique et d’autres cités grecques qui le dit, avec ses mots tirés des œuvres d’Aristote et inscrits dans le même alphabet.

Le gouvernement grec avait été élu sur un tout autre programme – et ce sont les ordres de l’oligarchie qu’il se croit obligé d’exécuter. Nous aussi, nous avons connu ce viol du suffrage universel lorsque le dispositif du «traité constitutionnel » fut imposé par manœuvre, mensonge et intimidation aux peuples qui l’avaient refusé. Mais en Grèce c’est pire : le gouvernement a abdiqué sa souveraineté, il envoie sa police contre les manifestants qui l’ont élu et les Grecs viennent nous dire que leur pays est en train d’être acheté par des groupes financiers étrangers. Reprenant le principe premier de la morale politique, Blaise Pascal rappelait que « le propre de la puissance est de protéger ». Tel est le service essentiel et permanent que doit rendre le pouvoir, qui implique la juste répartition des biens et la démocratie qui est le régime légalement garanti des libertés publiques.

C’est cette protection permanente qui légitime le Gouvernement. Or c’est ce rôle protecteur qui a été abandonné par les gouvernements grec, portugais, espagnol, allemand, français… en somme par toute cette « gouvernance » qui ne parle plus au peuple dont elle a la charge, mais aux spéculateurs et aux agences de notation – c’est-à-dire à des sociétés de parieurs et à des incapables. Faire preuve de son efficacité, aujourd’hui, c’est montrer qu’on parvient à imposer, avec des arguments humiliants et imbéciles, une longue et cruelle punition à des peuples qui supportent depuis des années, voire des décennies, le poids des erreurs et des fautes des oligarques.

Hélas, le sang qui a coulé en Grèce, qui va couler dans d’autres villes européennes, ne les rendra pas à la raison politique. Un ministre allemand exige que le plan d’austérité soit appliqué par les Grecs « à la virgule près ». Alain Minc explique qu’il faut réussir la réforme des retraites – appauvrir les retraités – pour sauver la note donnée à la France par les agences américaines. Angela Merkel veut soumettre les pays de la zone euro à une discipline de fer et Dominique Strauss-Kahn va dans le même sens en préconisant la déflation. On parle d’un gouvernement économique comme instrument de contrainte – ce qui impliquerait un nouveau traité !

C’est dans cette épreuve inutile – les recettes ultralibérales ont échoué ou vont échouer – que nous vérifions la force des principes qui vont nous sauver. Tout est lié : la nation, la souveraineté, la démocratie, la justice sociale, le bien-être des citoyens, leur sûreté et leur liberté.

Les événements de ce début mai nous indiquent par quoi il faut commencer : la reconquête, par chaque Etat, de sa souveraineté monétaire. C’est avec des Etats souverains, qui auront les moyens de se reconstruire en assurant une prospérité croissante à leurs citoyens, que nous pourrons refonder une Europe fidèle à elle-même.

***

Editorial du numéro 970 de « Royaliste » – mai 2010

Partagez

0 commentaires