Face à des dirigeants de la SNCF soumis à Vichy et aux Allemands, le peuple cheminot a participé à la Résistance avec vaillance et efficacité. Jean-Pierre Richardot raconte cette histoire et révèle la figure exemplaire et trop longtemps ignorée de Léon Bronchart.

 

On a fabriqué le mythe de la France unanimement résistante pour mieux le déconstruire, accuser les Résistants de mensonge et dénoncer une France veule non moins mythique. Dès le début de l’Occupation, nul ne pouvait ignorer qu’il y avait parmi les Français des traîtres et des résignés. Cette vérité pénible ne fut pas oubliée à la Libération, ni après. On fusilla, on emprisonna maints agents de la Collaboration mais certains échappèrent à la justice grâce aux solidarités corporatives, partisanes ou spirituelles…

La SNCF fut à l’image de la France occupée : en son sein, il y eut des héros et des salauds. On ne saurait s’en tenir à cette considération générale et il faut remercier Jean-Pierre Richardot de mettre vigoureusement les choses au point (1). Les complices actifs des Allemands se trouvaient à la tête de l’entreprise publique : le directeur général, Robert Le Besnerais, collabore sans états d’âme et organise la lutte contre les cheminots résistants avec une efficacité qui lui vaudra les éloges de Vichy ; le président de la SNCF, Pierre-Eugène Fournier, accepte quant à lui de prendre la présidence du Service de contrôle des administrateurs provisoires (SCAP) et organise de novembre 1940 à mars 1941 la spoliation des Juifs selon le droit allemand. A leur suite, beaucoup de hauts responsables de la SNCF exécuteront sans discuter les ordres de la puissance occupante et du pouvoir de fait établi à Vichy : pour eux, les trains transportant les soldats allemands et leur matériel doivent partir et arriver à l’heure, de même que les convois de déportés politiques et raciaux. Comme les policiers et les gendarmes qui raflent les Juifs et pourchassent les résistants, ces fonctionnaires ne sont pas des partisans du nazisme ou de Vichy : ils se contentent d’obéir aux ordres terribles qu’on leur donne. Mais quand un préfet courageux donne l’ordre aux gendarmes de ne pas voir les Juifs cachés dans les villages cévenols, ils ne voient rien…

A l’opposé, le peuple cheminot. Jean-Pierre Richardot ne dit pas que tous les employés ont participé à la Résistance mais il décrit un mouvement de masse d’où procèdent les petits gestes de fraternité et les formidables exploits : l’un recueille les lettres jetées par les déportés enfermés dans les wagons, l’autre transporte un évadé tandis que des groupes bien organisés font dérailler les trains. Les Allemands se vengent impitoyablement et dans nos gares les listes de cheminots morts pour la France disent l’ampleur des sacrifices qu’ils ont consentis.

Au fil de cette histoire racontée avec précision et passion, on rencontre beaucoup de fortes personnalités : Edmond Michelet, Jacques et Mireille Renouvin, l’abbé Alvitre, un corrézien qui prêtait sa soutane aux poseurs de bombes, à l’insu de son évêque ce qui va presque sans dire… Mais c’est un cheminot inconnu – ou presque – qui est la figure centrale du livre : Léon Bronchart, engagé volontaire en 1914, prisonnier, évadé, sergent-chef décoré de la médaille militaire française et anglaise est un homme tout simple qui n’entre pas en résistance : il est tout simplement résistant, dès juin 1940, faisant passer la ligne de démarcation aux courriers clandestins et à des fugitifs. C’est ce cheminot qui, le 31 octobre 1942, refuse de conduire un train de déportés et qui plus tard fera plier tout un conseil de discipline. Ouvrier et soldat, Léon Bronchart fut un saboteur de génie. Ses multiples activités lui vaudront d’être arrêté en même temps que son fils par la Gestapo. Il survivra aux camps de concentration et reprendra sa vie simple et fervente dans la fidélité à ses compagnons disparus. Devenu Garde des Sceaux en 1958, Edmond Michelet lui fera décerner les plus belles décorations. Mais la SNCF n’a toujours pas reconnu ce patriote exemplaire. Il n’est pas trop tard pour réparer ce qu’on doit s’efforcer de considérer comme un oubli.

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(1) Jean-Pierre Richardot, SNCF – Héros et salauds pendant l’Occupation, Editions du Cherche-Midi, 2012.

 

Article publié dans le numéro 1027 de « Royaliste » – 2013

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